De l’envoyé spécial de l’APS, Alioune Diouf

Ankara, 27 juil (APS) – Anitkabir, un grand complexe abritant le mausolée de Mustafa Kemal Atatürk, dans le quartier de Çankaya, à Ankara, la capitale turque, est le symbole de la vivacité de l’héritage du fondateur de la République de Turquie, il y a presque cent ans.

En ce samedi matin, vers 10 heures, déjà, l’endroit est pris d’assaut par une foule de visiteurs de tous âges et de toutes les couleurs. Des journalistes venus d’Afrique, des Balkans et d’Asie, qui viennent de boucler un atelier sur le journalisme en période de catastrophe, découvrent un autre élément du gigantisme de l’Etat turc.

L’entrée est filtrée, grâce à un portique électronique.  Pour des raisons de sécurité, quelques agents veillent à ce que personne ne prenne de photo ni ne filme l’accès. Les nombreux visiteurs doivent descendre de leur voiture, faire la queue pour passer le contrôle à travers ce portique, avant de remonter à bord, rouler encore au moins un kilomètre et poursuivre le trajet à pied.

Au-devant, il faut arpenter de larges escaliers au-dessus desquels sont érigés à gauche et à droite, deux bâtiments en forme cubique, surmontés d’une toiture pyramidale. Debout et statiques à côté de ces édifices sous le chaud soleil d’été, deux gardes en uniforme vert, tenant un fusil se font face.  Tout comme se font face aussi trois statues géantes d’hommes à gauche et de femmes à droite, l’une d’entre elles tenant un vase.

Après avoir monté les escaliers, il faut emprunter l’Allée des Lions, une grande voie pavée de blocs rectangulaires et bordée de part et d’autre, de statues de lions. Après une assez longue marche, on se retrouve dans un grand espace pouvant accueillir des milliers de personnes, et entouré de constructions de style néoclassique turc. Erigé en hauteur à gauche de la place, le mausolée de Mustafa Kemal, un imposant bâtiment avec de hautes colonnes, trône sur les autres, dont un musée mais aussi la sépulture du successeur de Atatürk, Ismet Inönü, qui a dirigé la Turquie de 1938 à 1950.

Bâti sur une colline, sur un espace vert, le complexe a été réalisé de 1944 à 1953 par les architectes turcs Emin Onat et Orhan Arda, dont le projet a été retenu à l’issue d’un concours. Le corps de Atatürk y a été transféré le 10 novembre 1953.

Ici, tout a été fait en grand comme pour impressionner le visiteur, mais aussi pour montrer l’envergure donnée au père de la Turquie moderne. De longues marches mènent aussi à l’édifice au fond duquel se trouve le tombeau de Mustafa Kemal encore appelé Atatürk (le père des Turcs).  Des poteaux de balisage à corde avec des anneaux dorés, délimitent le passage qui mène à la sépulture de l’ancien président. Le bloc de marbre taillé sous lequel il repose, est illuminé par les rayons du soleil qui jaillissent de l’extérieur à travers une sorte de baie vitrée.

Des gardes veillent au grain pour éviter tout débordement de la foule hétéroclite, dont des gens venus en famille. Ils préparent le cérémonial de dépôt de gerbe et de salut militaire en l’honneur de Atatürk, prévu dans quelques minutes. Partis du bas du mausolée, deux soldats tenant la gerbe arpentent les marches au pas ralenti.

Ils sont suivis d’hommes en costume bleu et cravate, ainsi que d’enfants et de femmes tous tenant des drapelets turcs.  Sur l’un des flancs de cette procession des photographes et des cameramen tentent d’immortaliser le moment. Un clairon retentit quand ils arrivent près du tombeau.

C’est seulement après ce bref recueillement, que le public est autorisé à s’approcher davantage. Non contents d’avoir filmé l’arrivée du cortège, des gens viennent se photographier devant le sépulcre qu’ils ont en arrière-plan. Pour Bilge, une jeune fille turque, Atatürk reste un héros national, aussi bien pour les personnes âgées que pour la jeune génération. Le portrait de l’homme est visible partout dans les rues d’Ankara, accroché à la façade de nombre d’immeubles, d’espaces commerciaux ou érigé en statue dans certaines places publiques.

Le cérémonial se poursuit à la sortie du mausolée où, sous les ordres de leur supérieur, huit soldats en armes font des démonstrations, sous les regards attentifs des visiteurs, dont certains ne peuvent s’empêcher d’applaudir.

La troisième séquence de la parade se tient autour d’un mât géant qui s’élève tout droit à côté du musée d’Atatürk et de la guerre d’indépendance, avant que les hommes en uniformes ne marchent au pas cadencé vers la sortie de la place.

Véritable attraction pour les touristes étrangers, le complexe n’en est pas moins visité par les Turcs eux-mêmes.  Ici, un groupe d’Africains se photographient avec leur hôte, là-bas, ce sont des touristes espagnols d’un âge assez avancé qui suivent attentivement les explications de leur guide. Un peu plus loin un groupe de citoyens américains noirs et blancs discutent.

Le kémalisme reste encore très vivace

Selon Talha, un ressortissant turc qui habite à cinq minutes de marche de Anitkabir, le mausolée de Atatürk est “comme un temple”. “Les gens considèrent le kémalisme comme une religion, une sorte d’idéologie”, explique-t-il, non sans préciser qu’il n’est pas kémaliste. Pour lui, si Atatürk est un héros national, pour les uns d’autres pensent le contraire et estiment que les choses doivent changer.

Bien qu’il reste encore très vivace, le kémalisme qui a consacré la laïcisation et l’occidentalisation de la Turquie, au lendemain de la dislocation de l’empire ottoman et l’abolition du Califat, ne fait pas l’unanimité. “La société turque, dit un des formateurs lors d’un atelier de journalisme de catastrophe,  est divisée entre une frange très portée vers les valeurs occidentales et une autre profondément ancrée dans ses traditions”, notamment islamiques. Au lendemain de la guerre d’indépendance turque de 1919 à 1922, Atatürk est élu président de la nouvelle Turquie, qui abolit l’année suivante plusieurs siècle de Califat.

Les six grands principes du parti unique, le Parti républicain du peuple (CHP encore actif), créé en 1923 par Atatürk et issus de la révision constitutionnelle de 1937 devinrent par la suite, l’idéologie officielle de la République turque. Il s’agit du républicanisme, du nationalisme, du populisme, de l’étatisme, du laïcisme et du progressisme.

Aujourd’hui, la Turquie est dirigée par le Parti de la justice et du développement, l’AKP, un parti qualifié d’islamo-conservateur, dont le leader Recep Tayyip Erdogan fait régulièrement référence à l’islam, même s’il affiche son attachement à la laïcité et à la démocratie. Arrivé au pouvoir depuis 2014, Erdogan a inauguré un nouveau palais présidentiel doté d’une mosquée de 3.000 places ouverte au public.

Il a été réélu le 28 mai dernier pour un troisième mandat, à la tête d’une Turquie musulmane certes, mais d’une société profondément sécularisée où hijab et tenues occidentales parfois très osées se croisent dans la rue. L’empreinte du kémalisme reste encore visible comme une marque indélébile sur la société turque, alors que le pays fêtera le 29 octobre prochain le centenaire de sa république.

ADI/ASB/ASG

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