SENGAL-SANTE-PORTRAIT
Dakar, 7 mars (APS) – Mame Diarra Kébé, une ancienne hôtesse de l’air, s’est donnée pour sacerdoce de redonner de l’espoir aux femmes atteintes de cancer, un combat qu’elle mène depuis plus d’une décennie et qu’elle considère comme une ”mission divine”.
C’est en 2013 que Mame Diarra Kébé est atteinte d’un cancer du sein, une pathologie dont elle guérit la même année. Elle crée alors l’association ‘’Cancer du sein Sénégal’’ dont elle préside aux destinées.
Aujourd’hui, elle est convaincue que son combat relève d’une mission divine et tente de persuader les femmes malades que le cancer n’est pas une fatalité.
‘’Je pense que mon engagement (…) est une mission divine. Je refuse que le cancer soit une fatalité et je dis toujours aux gens que c’est une maladie comme une autre. C’est comme si vous aviez la grippe ou le paludisme, ça peut guérir (…) à condition de s’y prendre tôt’’, argumente-t-elle.
Née en Côte d’Ivoire où elle a grandi, Mme Kébé travaillait comme hôtesse de l’air à Air Afrique, la défunte compagnie aérienne panafricaine au sein de laquelle elle fit la rencontre de son futur mari sénégalais. Elle décide alors de s’installer au Sénégal.
La soixantaine révolue, cette dame au teint marron ne manque jamais l’occasion de rappeler ses origines sénégalaises.
Assise dans les locaux du siège de son association, elle revient sur les circonstances qui ont conduit à sa création, expliquant que son cancer ne lui a jamais fait perdre goût à la vie.
‘’Je me souviens que j’étais bien dans ma peau. Mais, quand je venais à l’hôpital, je discutais avec les femmes en radiothérapie et je voyais vraiment cette gêne-là, le fait qu’elles cachaient leur maladie à leur propre famille. Je crois que ça a été l’élément déclencheur’’, rappelle-t-elle.
Aujourd’hui, cette mère de trois enfants garde en mémoire le fait que, durant sa maladie, elle avait le soutien de tout le monde. Et grâce à celui de son époux, son association a pu voir le jour.’’ Depuis, nous nous battons pour sensibiliser, informer mais surtout, soutenir celles qui sont malades’’, dit-elle.
Elle précise que le suivi et la prise en charge psychosociale sont au cœur des missions de l’association qui est forte de plus de 200 membres.
Mame Diarra Kébé rappelle qu’en créant cette association en 2013, l’objectif était surtout de décentraliser les activités, aussi bien en termes de soins que de sensibilisation de cette maladie. L’association compte des membres aussi bien à Dakar qu’à l’intérieur du pays, comme Touba, Saint-Louis, ou encore Dagana.
‘’Pour la petite histoire, quand on a créé l’association, on a décidé de faire des dépistages, en mettant l’accent sur les régions où il n’y avait pratiquement aucune infrastructure de prise en charge du cancer, contrairement à Dakar qui abrite un centre de cancérologie’’, confie-t-elle. Elle signale que l’association a pu dépister plus de dix mille femmes à travers ses activités.
La prise en charge du cancer, un parcours du combattant
La présidente de l’association ”Cancer du sein Sénégal” se souvient de son long parcours pour venir à bout de son cancer. ‘’Je pense que j’ai dû commencer au mois de janvier pour enfin être opérée en avril, avant de terminer mon traitement au mois de septembre’’, déclare-t-elle.
Elle explique qu’après l’opération, il fallait attendre l’examen anatomopathologique, lequel consiste à analyser les prélèvements biologiques (cellules, tissus et organes) du patient.
‘’C’est à ce moment que l’on vous annonce que vous pouvez faire une radiothérapie (traitement local) ou une chimiothérapie (traitement sur l’ensemble de l’organisme) qui va tuer les cellules cancéreuses’’, avance-t-elle.
Mame Diarra Kébé parle d’un ‘’long stress’’ qui peut aller jusqu’à six mois en moyenne pour une personne qui vient d’être diagnostiquée à un stade précoce.
‘’J’ai envie de dire aux femmes que le cancer, c’est comme une femme enceinte: chacun a son cancer et chaque corps à sa façon de réagir. Il y en a qui réagissent très bien à la chimio. Mais, il y a des cancers qui récidivent au cours des trois premières années, certains peuvent même réapparaître dix ans après le premier diagnostic’’, dit-elle.
Il faut d’après elle parcourir de nombreuses étapes avant de disposer du diagnostic final. ”Pour le cancer du sein par exemple, il faut passer par une mammographie pour constater une masse, ensuite une biopsie où il faudra attendre 15 jours à un mois, pour avoir les résultats”, explique-t-elle.
‘’Si les résultats confirment que vous avez un cancer, il faut ensuite faire un bilan d’extension, puis un scanner, un bilan sanguin, une échographie du cœur et tout cela ce n’est pas simple’’, dit-elle.
Entre le diagnostic et le traitement, le malade peut débourser entre 900 mille et 1,3 million FCFA, précise-t-elle.
Cas inquiétants de cancers du sein chez de jeunes femmes
Mame Diarra Kébé dit avoir constaté un phénomène inquiétant au cours de ses activités: le cancer du sein chez la jeune femme.
‘’En 2023, nous avons lancé une campagne pour offrir à des femmes qui ont subi la mastectomie, c’est-à-dire l’ablation du sein, des soutien-gorge pour prothèse mammaire, mais dans les demandes, la tendance variait entre 23 et 45 ans’’, explique-t-elle, l’air ahuri.
A l’en croire, l’association a même accueilli en octobre dernier, une fille âgée de 17 ans atteinte d’un cancer. C’est un cas extrêmement rare, relève-t-elle, rappelant que cette pathologie touche généralement des femmes ménopausées et âgées de 50 ans et plus.
Selon les dernières statistiques, le cancer du sein, bien qu’étant le deuxième cancer le plus fréquent au Sénégal après celui du col de l’utérus, cause encore un grand nombre de décès, soit 976 par an. Approximativement, 70 % des femmes atteintes du cancer du sein décèdent dans le pays, conséquence d’un dépistage trop tardif selon les spécialistes.
D’après Mme Kébé, les femmes qui témoignent généralement dans certaines émissions organisées au cours de la campagne Octobre Rose sont des femmes âgées de moins de 40 ans. Cette situation montre l’importance de mettre l’accent sur la sensibilisation en direction des jeunes femmes.
L’acceptation de la maladie, une voie de guérison
Mame Diarra Kébé est formelle. Les familles ne doivent pas marginaliser les personnes vivant avec le cancer, quel qu’en soit le type, mais plutôt les accompagner. ‘’Il faut essayer d’enlever de l’esprit de ces personnes qu’elles sont malades afin qu’elles vivent mieux leur maladie, c’est important’’, insiste-t-elle.
Elle organise souvent durant les activités de prise en charge psychologique à l’hôpital, plusieurs séances de bien-être alliant esthétique, coaching et relaxation au profit des femmes atteintes de cancer mais aussi des accompagnants et du personnel médical.
Avec le temps, celle que tout le monde appelle affectueusement ‘’Tata Diarra’’ s’est forgée une belle réputation auprès des malades du cancer. Ainsi, certains vont même jusqu’à l’assimiler à une conseillère matrimoniale au sein des couples qui se battent contre le cancer.
Et c’est tout naturellement que l’ancienne hôtesse de l’air s’empresse de montrer des photos où elle s’affiche fièrement avec les malades qu’elle a soutenus dans leurs moments de souffrance.
‘’Parfois, il y a des malades que je ne connais même pas. On se croise par exemple dans un hôpital et elles reconnaissent ma voix, m’interpellent et prient pour moi ‘’, dit-elle avec un brin de sourire aux lèvres.
Selon elle, ‘’c’est une grande satisfaction de voir une malade que vous avez accompagnée, guérie et qui reprend le cours normal de sa vie’’.
Elle se souvient d’une jeune fille atteinte de cancer et qui a fini par se marier après avoir combattu la maladie.
‘’Elle m’a appelée pour m’annoncer qu’elle a eu son bébé. Je suis allée au baptême, j’ai rencontré ses parents avec qui j’ai échangé et cela m’a énormément fait plaisir’’, raconte-t-elle.
Mme Kébé évoque aussi l’histoire d’une autre femme atteinte d’un cancer des poumons et qui faisait la navette entre Paris et Dakar. ‘’ Je l’ai beaucoup rassurée en lui disant de suivre correctement son traitement et de ne surtout prendre aucun médicament traditionnel tout en gardant la foi’’, raconte-t-elle.
Selon elle, cette femme a aujourd’hui guéri de la maladie. Aussi, est-il important de redonner de l’espoir aux malades, de leur apporter beaucoup d’amour et de soutien, surtout durant leur traitement, souligne-t-elle.
En 2024, l’association ‘’Cancer du sein Sénégal’’ a, selon sa présidente, pris en charge plusieurs femmes pour un montant de plus de 30 millions de FCFA.
Aujourd’hui, le vœu le plus ardent de Mme Kébé reste l’acquisition d’un camion mobile. Selon elle, celui-ci devra permettre d’assurer un bon maillage du pays à travers des campagnes de sensibilisation et de dépistage dans les zones les plus reculées du pays.
SKS/MF/ASG/SBS/HB/OID