Par Momar Khoulé BaThilmakha, 21 nov (APS) – Cent trente-sept ans après sa mort, la mémoire du héros national du Sénégal, Lat Dior Ngoné Latyr Diop (1842-1886), continue d’être vénérée dans sa contrée natale de Thilmakha où des voix commencent à s’élever pour réclamer une ‘’rectification’’ du découpage administratif en vue de regrouper dans cette commune du département de Tivaouane l’essentiel des sites historiques liés à ce personnage épique.L’anniversaire du décès du Damel du Cayor à la bataille de Dékheulé en 1886 contre les colons français, a été célébré le 27 octobre dernier. Cette célébration a été encore une occasion pour attirer l’attention des autorités sur la dispersion des lieux de mémoire de Lat Dior, partagés essentiellement entre les communes de Darou Marnane (Kébémer) et Thilmakha (Tivaouane).Né en 1842 à Thilmakha Ngol, Lat Dior a été le premier Damel qui ne portait pas le patronyme Fall, raconte Moustapha Dieng, un de ses petits-fils. Jusqu’à ce qu’il évince son oncle Samba Yaya Fall qu’il soupçonnait d’être à la solde de l’administration coloniale française, les Fall régnaient sans partage sur le trône du Cayor.A 19 ans, il s’empare des rênes du royaume, avec l’aide de son demi-frère Amadou Makhourédia encore appelé Gankal, bouleversant ainsi un ordre établi, où le pouvoir revenait d’office aux Fall, selon Dieng qui habite Thilmakha.Il précise toutefois que son grand-père avait du sang Fall, du côté de sa mère, descendante de Sakhéwar Fatma Diop qui était le roi du Guet. Jusqu’à sa mort, Lat-Dior infligea de lourdes défaites aux colons français, lors des batailles de Ngol-Ngol, Mékhé, ou encore de Paoskoto.Des victoires nettes sur le colon, dont a témoigné, selon Moustapha Dieng, Faidherbe, alors administrateur colonial de la France au Sénégal, en ces termes : ‘’Depuis vingt-cinq ans, Lat-Dior nous avait toujours combattus, soit par les armes, soit par ses agissements. Il nous infligea autrefois un désastre sanglant à Ngol Ngol, où cent-trois de nos hommes sur cent-quarante restèrent sur le terrain en 1869, ses cavaliers détruisirent presque entièrement, à Mékhé, l’escadron de spahis sénégalais’’.Il s’était farouchement opposé à la construction d’une ligne de chemin de fer traversant son royaume, et qui était le signe à ses yeux, de la volonté des colons de s’installer définitivement et de renforcer leur domination.Thilmakha engage le combat de la rectificationCheikh Samb, griot attitré, historien et chantre de cette figure dont il défend les valeurs intrinsèques, comme la bravoure et le respect de la parole donnée, ne cache pas son étonnement de voir aujourd’hui le mausolée de Lat Dior relever de la commune de Darou Marnane.Cette mémoire vivante de l’histoire du Cayor voit cette situation comme une “injustice”, que tous les habitants de Thilmakha qui s’honorent de vivre avec des petits-fils de Lat-Dior, doivent dénoncer, selon lui.Il n’est pas le seul dans ce combat pour une “rectification dans les plus brefs délais”, de ce qu’il considère comme un préjudice à l’endroit de la commune de Thilmakha. Cette collectivité où résident la plupart des membres de la lignée de Lat-Dior, est, à son avis, mieux placée pour abriter le mausolée du héros national.Le maire de Thilmakha, Cheikh Ibra Ndiaye, adopte la même position. “J’ai déjà engagé le combat de la rectification. Quand on célébrait l’anniversaire de la mort de Lat-Dior Diop le mois dernier (octobre), j’ai informé le ministre de la Culture Aliou Sow. Ce dernier a promis d’en informer le président de la République”, rapporte l’élu.L’étrangeté de ce découpage géographique saute aux yeux du visiteur qui quitte Darou Marnane pour Dékheulé où Lat Dior a livré sa dernière bataille contre les colons français. Il doit rouler sur 2 km à l’intérieur de Thilmakha, avant de voir apparaître à gauche d’une piste sablonneuse, le sépulcre du roi-martyr.Le maire de Thilmakha n’entend pas se contenter d’une redéfinition des frontières avec la commune voisine de Darou Marnane. Il réclame une maison des hôtes à Thilmakha, pour bien recevoir les nombreuses délégations qui viennent se recueillir sur la tombe du héros national du Sénégal, ou pour des enquêtes historiques.Cheikh Ibra Ndiaye plaide aussi pour le bitumage des trois kilomètres de piste qui relient le mausolée de Lat Dior à la route nationale.Pour convaincre les plus hautes autorités du bien-fondé de la rectification de cette partie de la région de Thiès, frontalière de celle de Louga, le maire peut compter sur le soutien du conseiller départemental, Abdoulaye Lô.“Je te donnerais quelque chose de meilleur que ce que tu cherches’’M. Lô estime que ce qu’il considère comme une “erreur administrative”, a privé la commune de Thilmakha de beaucoup d’opportunités. La collectivité perd beaucoup en image et en retombées, quand elle organise des festivités célébrant le héros national, sans sa sépulture, qui se retrouve dans une autre circonscription, déplore-t-il.“Aucune action pour convaincre les autorités de la République ne sera de trop pour faire de la tombe du héros national la principale attraction des touristes, historiens, concitoyens désirant mieux connaître les endroits qui ont marqué (sa) vie”, promet Abdoulaye Lô.Dans ce sillage, il soutient d’ailleurs que même Mbacké Cadior, par où Lat-Dior est passé avant de rejoindre Dékheulé le jour de la bataille fatidique, doit être rattaché à Thilmakha.Lamine Diba, étudiant en histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, est venu sur le champ de bataille pour voir de visu les lieux de cet affrontement qui a coûté la vie au héros national, et se renseigner davantage sur la bravoure de Lat Dior.“Je suis ici, parce que ma thèse porte sur Lat Dior Diop”, note Diba qui fait partie de ceux qui pensaient que Dékheulé est un village de la commune de Thilmakha.Pour lui, les informations sur le courage de Lat Dior Diop et la stratégie qu’il avait adoptée il y a 137 ans face à ses ennemis, seraient incomplètes, sans un détour à Thilmakha, une commune où vit aujourd’hui la plupart de sa descendance.“Avant de venir ici, je pensais que le héros national reposait aux côtés de ses grands-parents”, confie le thésard, qui trouve très légitime l’idée du maire de Thilmakha d’un rattachement de Dékheulé à sa commune.De ce qui reste du legs de Lat Dior, ses descendants retiennent en plus de la vaillance, le respect de la parole donnée. Moustapha Dieng raconte qu’avant d’aller à Dékheulé, son rendez-vous avec la mort, Lat Dior était allé faire ses adieux à Serigne Touba, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, fondateur de la confrérie mouride.“Serigne Touba lui dit : ’Lat Dior, si tu restes ici, je te donnerais quelque chose de meilleur que ce que tu cherches”, poursuit-il. “Je n’ai aucun doute que vous avez ce pouvoir, mais j’ai déjà donné ma parole’’, répondit le Damel du Cayor.Serigne Touba se retira alors dans sa chambre et en ressortit avec un boubou qu’il remit au résistant, en lui ordonnant de le mettre, narre Dieng, selon qui, Lat Dior était parti à Dékheulé en portant cet habit que lui avait offert le marabout.Dans le souci de préserver jalousement leur héritage, la famille Diop avait institué ce qu’elle appelait le ‘’Pencum Thilmakha’’, une chefferie à la tête de laquelle était intronisé le plus âgé de la famille de Sakhéwar Fatma. Mais cette initiative a fait long feu.Face au vide laissé par la disparition de Sakhéwar Fatma, le village de Thilmakha (village de l’aveugle) avait été abandonné. Bien qu’il fût enterré sur place, ses talibés et ses voisins avaient fini par quitter le village, raconte M. Dieng.Vers 1896, soit dix ans après la mort de Lat Dior, poursuit son petit-fils, Cheikh Ahmadou Bamba aurait ordonné à Mame Abdou Abass Diop de refonder Thilmakha, non pas sur les ruines de l’ancien village, mais entre le village de Ndongo et de Thilla.MKB/ADI/ASB/OID/ASG
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