Par Sokhna Bator Sall et Souleymane GanoDakar, 25 juin (APS) – La Maison rose de Guédiawaye, un centre d’accueil de femmes et filles désespérées, violentées ou violées, mais aussi de bébés, demeure un refuge social pour combattre la souffrance. Situé non loin du stade Amadou Barry, dans la grande banlieue dakaroise, cet établissement est logé dans un bâtiment à étage de couleur identique à son nom, face aux bureaux de la Sonatel, la société nationale des télécommunications. Les lieux servaient autrefois de locaux au tribunal de Guédiawaye.La Maison rose, dont la vocation est d’accueillir des femmes en détresse, garantit à ses pensionnaires un environnement où filles et mères retrouvent le sourire et la joie de vivre après avoir été cassées suite à un choc antérieur.Elle fonctionne à temps plein comme n’importe quel autre service, avec un personnel accueillant et dévoué, à l’accueil de femmes et de filles qui arrivent toujours sous le choc, désespérées. De passage le temps de se remettre d’une mauvaise expérience, elles repartent avec une réelle envie de continuer à vivre pleinement et à se battre en profitant des opportunités offertes par un métier appris entre temps. Déterminées et engagées à sauver d’autres victimes à leur tour.“Cette maison accueille des femmes, des enfants et des bébés qui naissent et qui arrivent en souffrance après avoir vécu souvent des histoires très difficiles”, explique Mona Chasserio, fondatrice de la Maison rose, qui dit avoir elle-même vécu une grande partie de sa vie “à l’envers”, en France.“J’étais la première à m’occuper des femmes de la rue. Dans mon premier parcours, je travaillais dans des industries pharmaceutiques avec des chercheurs et des savants jusqu’au jour où j’ai eu une ouverture spirituelle. J’ai compris que je pouvais soigner la mal-à-vie et qu’il fallait aller à la source du mal”, dit-elle à une équipe de l’APS.Elle souligne que sa pratique du scoutisme musulman comme catholique, lui a permis “de regarder la nature, de dominer la peur et de développer [ses potentialités], pour amener d’autres femmes à faire de même.Le scoutisme étant “une valeur forte pour la nature, l’idée de m’occuper des enfants m’est venue” de ce côté-là. “Cet amour s’explique du fait que je suis mère de deux enfants et que je viens d’une famille matriarcale. J’ai toujours été avec les femmes”, avance-t-elle.“De fait, ajoute Mano Chasserio, j’ai tout quitté pour m’occuper des femmes de la rue pendant vingt ans en France. J’ai développé une philosophie selon laquelle on apprend à se connaitre avec la violence et la souffrance.”“Après l’Orient et l’Occident, je me suis retrouvée au Sénégal, un pays de réflexion où il y a la spiritualité, beaucoup de choses intéressantes. Ainsi, je suis arrivée à Guédiawaye au moment où l’ancien tribunal venait d’être restauré, raconte-t-elle. Il donnait une architecture que je recherchais. Un lieu qui convient, car l’image reflète le fait qu’une fois à l’intérieur, les femmes en souffrance renaissent”.La fondatrice de la maison rose, établissement créé il y a de cela 13 ans, se prévaut d’une expérience “d’une trentaine d’années de comment accompagner les femmes pour leur renaissance”. D’autant que “la souffrance reste la chose négative” et que ”tout ce que l’on peut vivre de négatif nous sert à nous arrêter un moment de notre histoire pour savoir qui nous sommes.”Elle fait observer que les pensionnaires de son établissement sont des femmes et jeunes filles toutes “très jeunes. C’est rare de voir une âgée de 30 ans”, même s’il y a des “petites filles âgées de 12 à 13 ans qui ont accouché.”“C’est problématique. Nous avons développé des ateliers dans cette maison qui permettent de retrouver l’insouciance et apprendre à se connaître. Il s’agit aussi de séances devant leur permettre de développer tout ce qui est en elles”, a indiqué Mme Chasserio, selon qui “il s’agit de transformer une souffrance en vie pour un meilleur vécu”.“Quand elles arrivent, elles s’emploient à diverses activités sociosportives comme le théâtre, le yoga, entre autres, de manière à stimuler et développer tout ce qui est en elles. Le vendredi, elles font un récapitulatif de tout ce qu’elles ont vécu comme émotion dans la semaine, et au fur et à mesure, on les voit évoluer” a-t-elle ajouté.Elle estime que le plus intéressant, “c’est de transformer le négatif en positif et devenir ce qu’elles sont. C’est à la fois un travail individuel et de groupe parce que justement, elles sont assez nombreuses. Nous avons des mères très jeunes avec 14 bébés en charge. Ce sont des bébés aimés […]”, qui, autrement, seront tués ou abandonnés.Il y a un temps pour se changer, un temps pour chacune d’entre elles, s’empresse-t-elle de lancer, affirmant que la Maison rose apporte des solutions à “beaucoup de problèmes. Les personnes qui y sont, cherchent leur identité […], nous faisons un travail particulier, nous avons des femmes provenant de partout, de la sous-région et d’ailleurs”.Le but recherché par l’établissement est d’amener les pensionnaires à “faire un travail sur soi pour transformer la souffrance. Elles développent des métiers d’art selon la qualité de chacune. D’autres font des poupées en crochets magnifiques, la création de chaussures avec de la récupération. On transforme leur souffrance en vie. Ce que l’on fait, c’est la qualité et non la quantité.”“Nous dépendons du ministère de la Justice et nous avons un +Rapid protection+, car nous formons des associations et près de 130 personnes à Pikine et nous travaillons avec les autorités administratives, les Badiénu Gox [marraines de quartier], entre autres, avec des codes de violence pour qu’à chaque fois qu’il y a des cas, que cela soit enregistré au niveau du quartier et que cela soit traité immédiatement afin que le mécanisme soit en marche”, poursuit-elle.“Nous avons fait beaucoup de choses pour que les souffrances soient visualisées et traitées. C’est un travail de fond que nous menons avec la justice. Chaque cas est unique. D’autres structures nous confient des enfants à élever ou violentés”, insiste la fondatrice de la Maison rose.Des contraintes financières“L’Etat ne donne pas un sou. Nous nous appuyons sur l’Unicef qui nous croit car nous faisons un travail humain. Nous avons énormément souffert avec le Covid”, a-t-elle renseigné, avant d’ajouter : “Nous espérons que des financiers vont nous appuyer pour cette structure qui accueille des talibés en passant par des femmes violentées ou brûlées, des filles et bébés. Nous en enregistrons présentement 14, en plus des triplés qui viennent de nous rejoindre”.“Du nouveau-né jusqu’à 5 ans, nous intervenons pour aider l’enfant à se développer”. C’est dire que le travail de la Maison rose concerne le temps de la grossesse, de la naissance et celui de l’enfant, relève sa fondatrice.“C’est plus l’humain qui m’intéresse, l’universel mais aussi le spirituel. Comment apprendre à voir l’au-delà pour renaitre”, résume-t-elle, en assenant : “Il faut apprendre à cheminer pour se connaitre soi-même”.Elle juge qu’il vaut mieux “soigner la violence et la souffrance que d’aller voir le juriste”, ce qui veut dire “aller aider celle qui souffre afin qu’elle transforme sa souffrance en vie et qu’elle reparte demain faire ce qu’elle a envie de faire”. “Je soigne beaucoup plus aujourd’hui que je ne le faisais avec les médicaments”, note-t-elle.Témoignages de victimesNDN, ce sont ses initiales, est une Congolaise vivant au Sénégal depuis mars 2021. Suite au décès de sa grand-mère en septembre de la même année, elle a été confrontée à des moments difficiles pour surmonter ses problèmes.“J’ai décidé de chercher des compatriotes congolais au Sénégal, [avant finalement de rejoindre la maison rose]”, témoigne-t-elle. “Après ils sont parvenus à me trouver un job dans un restaurant à Liberté 6”, un quartier de la capitale sénégalaise. “Au retour de mon lieu de travail, un 5 juin 2022 dans la soirée, descendant d’un car de transport en commun, un homme me tamponna à l’épaule. Nous avons échangé en s’excusant l’un envers l’autre, nous nous sommes dit de petits mots. Il m’a demandé d’où je venais, car se disait-il, mon accent lui donnait celui d’un Congolais”, a-t-elle raconté.Un début de familiarité dont a profité cet inconnu pour lui demander de l’accompagner. “Un peu hésitante au début, j’ai par la suite accepté.” Il s’en est suivvi des “bavardages inutiles” sur une maladie dont elle souffrirait. Et puis une invitation à son appartement à Diamalaye. “Je l’ai suivi jusque chez lui. Après une prise de médicaments inhalés de manière insouciante, je me suis réveillée sur son lit, fatiguée, pâle et toute nue”, se rappelle la Congolaise.A la suite de cette mésaventure, NDN dépose une plainte à la police qui lui a fait savoir que son bourreau, un habitué des faits, purge une peine d’une dizaine d’années en prison.Rejetée par ses compatriotes avec une grossesse de cinq mois, elle atterrit dans un site en chantier, puis s’installe dans une habitation de fortune, avant de trouver refuge dans une église par l’entremrise d’une étudiante également de nationalité congolaise.Elle arrive finalement à la Maison rose un 21 octobre 2022. Elle y retrouve de plus en plus le gout de la vie et l’espoir d’un bonheur, ce qui la conduite à prendre la résolution de poursuivre son séjour au Sénégal pour refaire sa vie et tourner cette page malheureuse.“La vie continue. Je ne peux pas rester là, à me morfondre et toujours me lamenter de ce viol subi”, dit-elle, posée dans ses réponses et dans l’attente de lendemains meilleurs.Grâce à la maison rose, NDN assure avoir beaucoup changé et se dit prête à investir pour bâtir des structures similaires ailleurs pour aider des femmes avec lesquelles elle partage le même sort. “Il faut faire preuve de dépassement au-delà de tout ce qui s’est passé”, a-t-elle lancé.Une autre pensionnaire, de nationalité guinéenne, a été abandonnée de son époux avec son bébé après une séparation violente, dès son cinquième mois de grossesse.“Je suis partie chez ma grande sœur à Pikine Texaco (banlieue dakaroise), qui m’a hébergée avant son départ en Guinée pour les besoins de son mariage”. Après son accouchement, son ex-époux ne pouvant même pas assurer le lait ni les layettes à son bébé, A Diallo (nom d’emprunt) a finalement rejoint ce refuge social par l’entremise de la maison des femmes de Pikine.La Maison rose, dit-elle, permet à ses pensionnaires de retrouver confiance en soi, “grâce à des ateliers de couture, de création et de méditation pour augmenter la concentration, ce qui nous a permis de connaitre nos qualités et de croire en nous, de faire preuve de maitrise de soi”, dit cette pensionnaire de nationale guinéenne.Désomais entreprenante, elle s’adonne à la confection de poupées dont neuf ont été déjà commercialisées à l’extérieur du pays.SBS/SG/ADC/BK
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