Tivaouane, 26 sept (APS) – Au cœur de la ville de Tivaouane, trône fièrement la cuisine de Sokhna Oumou Khaïry Sy, devenue légendaire au fil temps. Instaurée sur ordre de Serigne Babacar Sy, la cuisine, léguée de génération en génération, est bien entretenue grâce au dévouement des femmes qui s’en occupent.

 

Donner à manger aux autres est un acte d’adoration, ont l’habitude de dire les musulmans. Un principe qu’épousait Serigne Babacar Sy, premier khalife d’El Hadj Malick Sy, qui ordonna à son épouse de préparer à manger en grande quantité aux fidèles venus prendre part au gamou.

 

Une recommandation suivie à la lettre, au fil des années, par ses filles et petites filles. La préservation de cet héritage est plus manifeste en cette veille du gamou de Tivaouane, un grand événement qui demeure un moment de grand rassemblement des Tidianes.

 

Beaucoup de fidèles convergent vers la cité religieuse pour y commémorer la naissance du prophète Mohamed (PSL).  Arrivant pour la plupart la veille ou l’avant-veille de l’événement, ils ont besoin d’être logés, mais surtout d’être restaurés.

 

Fidèle à la légendaire ‘’téranga’’ sénégalaise, Sokhna Oumou Kalsoum Mbaye s’est inscrite sur cette lancée pour perpétuer l’héritage de sa devancière. Le patrimoine culinaire a survécu à travers les générations dans la maison de Serigne Babacar Sy, où un grand espace fut aménagé pour la fille de Sokhna Astou Kane.

 

En cette veille de gamou, la demeure est encensée de fumée. Plus d’une cinquantaine de femmes, tous âges confondus, s’attèlent dans la grande cour qui sert de cuisine, à la préparation du menu du jour.

 

Une annexe même est aménagée pour assurer un service de qualité aux pèlerins, qui, chaque année, empruntent tous les chemins menant vers la cité de Maodo. Cette forte affluence n’est pas sans incidence en termes de prise en charge des visiteurs venus de diverses contrées.

 

Devant le portail, une pile de bois de chauffe est entreposée. Telle une fourmilière, c’est un véritable travail à la chaîne qui s’y fait. A 10 mètres de là, des femmes attendent d’entrer en possession de la viande cuite, pour rajouter des légumes. D’autres acheminent des sacs de riz, d’oignon, de pomme de terre, entre autres condiments.

 

Plus loin, un groupe se charge de couper des oignons, là où l’épluchage des légumes est confié à une quatrième entité. Les plus jeunes remuent les marmites.

 

Fama, une des cuisinières dévoile le menu du jour : ‘’on prépare du tiou kary et du tiep aujourd’hui’’, lance-t-elle. D’après la jeune dame, la trentaine bien sonnée, teint clair, le feu n’a pas été allumé sur place. ‘’Le feu qui avait servi à préparer la veille sert à continuer le service’’.

 

Composé essentiellement de femmes, le personnel de ‘’Wagnou Oumou Khaïry Sy’’ vient de Dakar et d’autres régions du pays. Elles sont appuyées par des éléments du Comité d’organisation au service de khalifa Ababacar Sy (Coskas), sous la direction de Kala Mbaye et Daba Mbaye, les gestionnaires de la cuisine. Elles s’occupent de toute l’organisation de la restauration.

Pas de ciblage dans le service

Pour manger à sa faim, il suffit juste de se présenter à la cuisine de Sokhna Oumou Khairy dénommée ‘’Borom wagne bi’’ (la propriétaire de la cuisine). ‘’Nous ne faisons pas de distinction. Une fois le repas prêt, nous distribuons les plats. Nous assurons le service pour tout le monde, plus particulièrement les démunis’’, explique Adja Ndéye Marie Ndiaye, une vieille dame qui assiste la jeune génération.

 

La clé du magasin où sont stockés les produits alimentaires comme le riz, le mil, l’oignon ou la pomme de terre, est confiée à des hommes.

 

Pour acheter tout cela, aussi bien des fidèles que des membres de la famille de Serigne Babacar Sy mettent la main à la poche. “Certains talibés nous envoient des légumes, d’autres du riz ou du mil. Mais Kala Mbaye et Daba Mbaye déboursent de l’argent pour faire le marché et le service“, explique une cuisinière.

 

Impossible d’obtenir un chiffre sur le nombre de marmites qui passent au feu au quotidien, pour restaurer tout ce beau monde. ‘’De 8 heures du matin à minuit, nous assurons le service’’, indique Fama, qui estime qu’entre ‘’150 et 200 plats sont distribués par jour’’.

Un lieu de sociabilisation

Pour intégrer la cuisine, il n’y a aucune forme de protocole. Il faut s’armer de patience, savoir travailler et être serviable. La cuisine n’est pas seulement un lieu pour recevoir les cordons bleus qui ont déjà fait leurs preuves. Plusieurs générations s’y brassent. Habillée en tenue légère en cette période de chaleur, chaque femme est à son poste.

Pour Adja Ndéye Marie Ndiaye, ‘’il ne sert pas à grand-chose de pouvoir cuisiner et ne pas pouvoir donner à manger aux autres. Il faut être talibé c’est-à-dire être serviable, accepter de se priver de nourriture pour en servir aux autres’’.

 

La vieille dame, estime que “l’important dans la vie, c’est de faire du bien, traiter avec respect et considération ceux qui viennent. Ces derniers doivent être bien entretenus comme le voulaient Serigne Babacar Sy’’.

 

Lui emboitant le pas, Sokhna Astou Sarr, cette Kaolackoise née en 1951, ignore la date d’instauration de cette célèbre cuisine, même si elle reste convaincue d’une chose : ‘’ l’importance de s’investir dans les actes de dévotion, dont l’un des plus populaires dans la religion musulmane est de donner à manger aux autres’’.

La cuisine traditionnelle toujours de mise

En 2023, il est possible de cuisiner une grande quantité de manière rapide et sans grande fatigue, grâce aux réchauds à gaz. Mais dans la cuisine d’Oumou Khaïry, on prépare encore avec du bois, de diverses provenances.

 

‘’Il y a des camions qui viennent du Mali, du Saloum, de Tambacounda. Mais mère Daba achète une quantité équivalente à 50 000 FCFA par jour’’, nous confie Khady Ciss du dahira Nihmaty. La plupart des femmes et fidèles s’organisent pour que le bois ne manque pas dans la cuisine.

 

‘’En venant, j’ai apporté du bois de Khaye sérère, village situé dans la commune de Pout dans la région de Thiès. Et je ne suis pas la seule à participer de cette manière. D’autres l’ont fait. C’est en communion que nous assurons la bonne marche de la cuisine“.

 

Une parfaite organisation est notée dans ce haut-lieu de Tivaouane. Pour alléger les charges, le Coskas vient à la rescousse, en faisant contribuer ses membres à hauteur de 1000 francs par mois.  Le fonds ainsi constitué sert à acheter des ustensiles de cuisine – cuillères, couteaux, bassines et tabourets, entre autres, pour qu’une fois à table, rien ne manque.

NSS/ADI/DOB

 

 

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