Dakar, 28 jan (APS) – Les femmes sont de moins en moins considérées comme de simples figurantes du projet migratoire des familles dont elles constituent un moteur important de l’ambition de réussite, au Sénégal comme dans bien d’autres pays d’accueil. Il en résulte que la contribution des migrantes à la création de richesse est une donnée essentielle de ce phénomène, à rebours de tous les clichés sur le sujet.Par Aïssatou Bâ (APS)La migration, régulière ou non, concerne toutes les catégories de population, dont les femmes, actrices importantes d’un phénomène qui a toujours contribué à la prospérité des pays, à travers les âges et les siècles, malgré la force des préjugés et des idées reçues.Des migrantes de nationalité sénégalaise ou des étrangères vivant au Sénégal, témoignent pour l’APS des bienfaits de la migration qui leur a permis de prendre leur destin en main en s’ouvrant au monde et en se confrontant à d’autres réalités et cultures.Aïda Sock, une Sénégalaise d’une trentaine d’années, en est un bon exemple. Cette artiste chanteuse et entrepreneure, a un point de vue plutôt tranché sur la question, en parlant de la migration en termes d’opportunités.Il est important de partir, sous-entendu chacun doit avoir la possibilité d’aller voir d’autres horizons, chaque fois que le besoin de découvrir des cultures différentes et des choses nouvelles se fait ressentir, dit cette diplômée en administration des affaires et en commerce international du Miami Dade College et de l’université internationale de Floride, aux Etats-Unis.Aïda Sock considère que son séjour aux Etats-Unis lui a apporté plus de savoir-faire et d’ouverture d’esprit sur le monde, malgré la perception négative que l’opinion a du migrant dans certains pays et sociétés.Au pays de l’Oncle Sam, elle dit avoir ressenti de la curiosité plus qu’autre chose dans le regard que les autres posaient sur lui, surtout pas de mépris.‘’Il y avait beaucoup de curiosité vis-à-vis de quelqu’un venu d’Afrique dans les normes, qui travaille et gagne sa vie. Il y a eu plus d’ouverture de portes qu’autre chose’’, confie-t-elle en riant.‘’Je suis partie aux Etats-Unis pour étudier, avoir plus d’expérience mais également pour travailler. Et lorsque j’ai fini mes études, j’ai décidé volontairement de rentrer pour apporter à mon pays ce que j’ai reçu à l’étranger’’, explique Aïda.A son retour au bercail, la jeune artiste qui compte notamment une participation à ‘’The Voice Afrique francophone’’, version africaine francophone de l’émission de télécrochet The Voice, se sent suffisamment armée pour lancer son entreprise et s’engager dans les affaires. Ce qui constitue à ses yeux la meilleure manière de participer à la création de richesse au profit de son paysAïda a porté cette entreprise sur les fonts baptismaux avec l’aide de sa sœur et en se servant des différentes expériences professionnelles qu’elle a acquises à l’université mais aussi dans le domaine du mannequinat.Cette entreprise spécialisée dans l’art, la mode et la nourriture, a contribué à créer des emplois mais a surtout ‘’apporté une nouvelle approche dans ce domaine, un traitement salarial différent, de l’embauche, la formation des employés et plus d’opportunités avec des partenaires’’, se félicite la jeune entrepreneure.L’appétit venant en mangeant, Aïda lance une autre entreprise dans le domaine de l’art sous son propre label ‘’Mandarga Music’’, histoire de se tester et de voler de ses propres ailes.La jeune femme, pas dupe, laisse entendre que les risques encourus par cette entreprise individuelle sont bien calculés. ‘’En tant que femme, dit-elle, je sais qu’il y a une question de sécurité qui se pose. C’est plus une question de s’assurer juste de ne pas partir sur un coup de tête, mais de faire attention sur sa destination et d’avoir un objectif à atteindre’’.L’artiste musicienne convient que parfois il est important de partir de son pays pour mieux apprendre de la vie et s’imprégner d’autre chose, avoir plus de bagages pour apporter un plus à son pays d’accueil et d’origine.Mais il demeure que la migration, surtout dans le cas des femmes, doit se faire ‘’dans les règles’’, de manière régulière, pour que personne ne soit amenée à risquer sa vie, observe-t-elle. Partir pour apprendre, se confronter à d’autres horizonsDe nationalité ivoirienne, Nathalie Nguessan est établie au Sénégal depuis 20 ans et ne manque jamais de louer l’importance de la formation qu’elle a reçue dans ce pays d’accueil où elle se sent épanouie.Désormais mariée et mère de 3 enfants, cette employée de l’ONG Enda Energie dont elle est la responsable de la communication, n’était venu au Sénégal que pour renforcer sa formation et acquérir plus de connaissances.Nathalie se dit plus que jamais décidée à rester dans son pays d’accueil, devenu, par la force des choses, sa seconde patrie.‘’Je ne voyais pas l’opportunité de rester [en Côte d’Ivoire] dans un contexte de crise politique à l’époque, et je m’étais dit pourquoi pas chercher quelque chose au Sénégal, vu que j’ai fait ma formation ici’’, se justifie cette experte en communication, qui insiste sur la solidité de son cursus de formation ayant facilité son insertion professionnelle au Sénégal.‘’Plusieurs personnes dans mon cas ont tenté de trouver du boulot ici, sans succès, et ont décidé de rentrer au pays, mais moi par contre, j’ai eu de la chance. Ce pays a été un terrain d’apprentissage pour moi, surtout dans le domaine du développement durable’’, indique Nathalie.Mme Nguessan reconnait, par contre, avoir dû s’adapter à la culture sénégalaise, ce qui lui a permis de facilement faire valoir ses compétences professionnelles.‘’Ma présence au Sénégal m’a permis d’aller au-delà de mon travail, pour entreprendre dans le domaine des cosmétiques en valorisant nos matières comme le cacao et le karité’’, renseigne Nathalie Nguessan, qui s’adonne au business à ses heures perdues.Tout comme Aïda Sock, Nathalie soutient que la migration reste une bonne chose, en ce qu’elle permet aux femmes surtout de prendre leur destin en main, à condition qu’elle soit régulière.‘’C’est possible de réussir en Afrique aussi, moi j’en suis la preuve. Il n’y a pas que l’Occident qui offre cette opportunité. Même ici, on peut créer des activités génératrices de revenus, mais tout dépend du domaine dans lequel vous vous engagez’’, poursuit-elle.Nathalie va plus loin. La migration Sud-Sud reste plus bénéfique que celle Nord-Sud, affirme la native de Côte d’Ivoire, qui invite à se tourner vers les pays du continent, plutôt que de tenter l’aventure en mer pour un hypothétique Eldorado européen.‘’L’Afrique est un terrain vierge’’, constate Nathalie d’un air plutôt sérieux pour le coup, avant d’ajouter : ‘’Les Occidentaux eux-mêmes viennent travailler ici. Si on a la formation et l’accompagnement nécessaire, on peut faire plus dans le continent’’.Toujours est-il que Mme Nguessan dit se réjouir de voir de plus en plus de femmes profiter des opportunités offertes par la migration pour prendre leur destin en main et devenir de réels soutiens pour leurs familles.Halima Saker Ahmed Damoh, une jeune entrepreneure d’origine tchadienne, parle à ce sujet d’une véritable prise de conscience féminine, se disant fière à titre personnel de se découvrir des capacités à franchir les obstacles de la vie pour aller toujours de l’avant.A l’entendre, le Sénégal et la gentillesse dont les Sénégalais ont fait preuve à son égard n’y sont pas étrangers, la vie dans ‘’le pays de la Téranga’’ lui ayant permis d’ouvrir les yeux sur beaucoup de choses et de devenir plus autonome.‘’Je me suis fait une autre famille ici au Sénégal, avec des voisins et des personnes qui m’ont accompagnée depuis mon arrivée, en 2006’’, relève Halima, trouvée dans son bureau à Keur Ndiaye Lô, à une trentaine de kilomètres de Dakar, dans le département de Rufisque.Cette femme battante aux multiples casquettes, entrepreneure dans le domaine de la menuiserie moderne, se félicite surtout de la tolérance dont les Sénégalais font preuve à l’égard des migrants.Mme Damoh, conquise par ce trait de caractère des Sénégalais, demeure sous le charme de son pays d’accueil, qu’elle considère comme le sien. Femme battante aux multiples casquettesDans sa petite entreprise de menuiserie moderne, elle emploie quelques Sénégalais avec lesquels la Tchadienne d’origine entretient des rapports empreints de cordialité et de respect mutuel, comme souligné par l’entrepreneure elle-même.‘’Mon entreprise vient à peine de naitre mais j’ai pu créer de l’emploi ici au Sénégal grâce à ce que j’ai appris à l’école. Mon ambition est de faire plus que ce que je fais aujourd’hui’’, indique cette diplômée en ingénierie financière.D’après Mme Damoh, le Sénégal demeure un pays de paix et de justice pour tous. ‘’Peu importe tes origines, dit-elle, lorsque tu as raison, la justice sera toujours en ta faveur’’.L’analyse de la socio-anthropologue Oumoul Khaïry Coulibaly, spécialiste de la migration, donne toute la mesure de la place des femmes migrantes dans les pays d’origine et de destination.‘’Certaines créent des emplois, même si elles sont moins nombreuses. Elles contribuent aussi à l’économie, à travers les transferts de fonds et de matériels, payent des taxes quand elles créent des activités, mais tout cela reste invisible’’, pour des raisons liées à la perception que la société a des migrations féminines, souligne-t-elle.Il résulte de ce constat que les migrantes ont ‘’un rôle social très important’’, selon cette socio-anthropologue, enseignante-chercheuse à l’Ecole supérieure d’économique appliquée (ESEA) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).‘’Elles contribuent à l’économie de leur famille, voire prennent entièrement en charge les besoins de leurs proches, mais on a tendance à l’oublier, parfois’’, dit Oumoul Khaïry Coulibaly.‘’Si on parle peu de la réussite des migrantes, cela est du à l’image que l’on a d’elles. Étant perçues comme des accompagnatrices passives, elles sont rarement considérées comme une catégorie sociale à part entière et ayant un projet migratoire’’, analyse-t-elle.‘’Et pourtant, avance-t-elle, même celles qui partent dans le cadre familial sont souvent animées d’une ambition de réussite socioéconomique. Il en est de même pour les migrantes de retour et de leurs activités dont on parle peu’’.La faute aux représentations sociales négatives qui empêchent une bonne perception de l’importance du rôle de la femme, observe la socio-anthropologue.‘’Dans nos sociétés africaines, le rôle de l’homme comme pourvoyeur économique est tellement ancré que les migrations liées au travail sont avant tout perçues comme un phénomène masculin, passant ainsi sous silence les migrations féminines,, alors que les débuts de la féminisation des migrations sénégalaises en Europe, par exemple, remontent, au moins, à la fin des années 70, et surtout au début des années 80, notamment suite à la fermeture des frontières françaises à la migration de travail’’, explique la chercheuse. L’apport des femmes migrantes compte autant que celui des hommes Pas de doute donc que les femmes migrantes contribuent plus que ce que l’on pense à l’économie de leurs pays d’origine et d’accueil grâce à leur travail et leurs activités.Il faut déjà partir de ce que de manière générale, la contribution de la diaspora et des migrants de retour au PIB national ne souffre plus d’aucune contestation.Selon Abdoul Karim Cissé, conseiller technique à la Direction des Sénégalais de l’extérieur, la diaspora, hommes, femmes et jeunes réunis, contribuent à hauteur de 10% au PIB national.La contribution des migrants dans le développement socio-économique est surtout visible dans le domaine des infrastructures sociales de base, note M. Cissé.S’agissant de l’aide apportée aux migrantes, il indique qu’un fonds d’appui existe au niveau de la Direction des Sénégalais de l’extérieur pour appuyer leurs différents projets dans les pays d’accueil comme dans les pays de départ.Il cite notamment le Fonds d’investissement des sénégalais de l’extérieur (FAISE) et son volet destiné au financement des femmes de la diaspora (FFD), lequel prend en compte, dit-elle, les migrantes de retour au bercail comme celles vivant à l’étranger.Selon Abdou Karim Cissé, ce fonds permet aux femmes de fiancer leurs projets sans taux d’intérêt, avec une durée de paiement de 3 mois et de remboursement allant de 12 à 18 mois.Malgré la relative méconnaissance de ce fonds par certaines migrantes de retour, M. Cissé soutient que beaucoup de femmes ayant bénéficié de cet appui ont réussi dans leurs activités.‘’C’est vrai que ce fonds n’est pas vraiment connu, mais il y a des femmes qui en ont bénéficié’’, certaines trajectoires relevant même d’une véritable ‘’success story’’, même si ‘’d’autres ne s’en sortent pas parfois’’, précise M. Cissé.Le hic c’est qu’il existe des migrantes revenues au bercail avec des différents projets nécessitant un appui, ‘’mais elles ne connaissent l’existence de ce dispositif (FDD)’’, déplore-t-il, avant de préconiser que ces dernières puissent se rapprocher du ministère de tutelle à travers le Bureau d’accueil d’orientation et de suivi (BAOS) dans les 14 régions, pour corriger cet impair.‘’Dans les 46 départements, nous avons des points focaux [à travers les antennes de Sénégal Service]’’, Plateforme de gestion des démarches administratives du Sénégal. Il s’agit de corriger l’accès à l’information et d’animer sur le territoire la partie migratoire, car les réalités diffèrent pour chaque région’’, conclut-t-il.AMN/BK/AKS/MTN
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