Dakar, 7 fév (APS) – ‘’Ndar, Saga Waalo’’, le nouveau documentaire du réalisateur sénégalais Ousmane William Mbaye, est un portrait ‘’riche et complexe’’ de Ndar, le nom originel de la ville de Saint-Louis (nord), la première capitale du Sénégal bercée entre un riche passé colonial et un présent plein de questionnements sur l’avenir et la meilleure manière de préserver un héritage qui se veut universel.Le plan panoramique d’ouverture de ce documentaire est un instantané de l’architecture coloniale typique de Saint-Louis, depuis le pont Faidherbe servant jadis de passage aux bateaux de commerce. Une vue d’ensemble d’une ville découpée en quartiers par ses anciens édifices aux balcons légendaires.Le réalisateur délimite ainsi la ville de Saint-Louis, entre l’île et la langue de Barbarie, avec le quartier sud appelé Sindoné, le quartier nord ou Lodo, et enfin le célèbre Guet Ndar, le fief des pêcheurs. L’autre partie de cette région appelée ‘’le continent’’ apparaît à peine dans ce film et semble ne pas être prise en compte quand on parle de Ndar.La démarche du cinéaste consiste à laisser le soin de la présentation de cette ville mythique à des historiens ou des habitants de l’île, qu’ils soient autochtones (Domou Ndar) où des personnes venues d’ailleurs et appelées ‘’Doli Ndar’’.Le film met aussi à contribution les guides touristiques visibles partout dans la ville et leurs innombrables calèches. Tous décrivent une ville partagée entre l’ancien comptoir français qu’elle a été et un lieu de transit des esclaves sur le chemin des Amériques, ‘’une plaie’’ sur la mémoire de Saint-Louis. Une ville qui n’échappe pas au débat contemporain de plus en plus vivace sur la période coloniale, avec son lot de questionnements ayant conduit en 2017 au déboulonnement de la statue de Louis Faidherbe (1818-1889), un ancien gouverneur de l’AOF, l’Afrique occidentale française.Ndar est aussi une ville de ‘’refus’’Le documentaire de quatre-vingt-onze minutes, projeté le 31 janvier dernier à Dakar, profite de l’expertise de personnes ressources comme les historiens Boubacar Barry et Penda Mbow, de la directrice du Centre de recherche et de documentation du Sénégal à Saint-Louis, Fatima Fall. Des intervenants qui ‘’ont donné du contenu’’ à ce travail, avec des éclairages édifiants sur cette ville, son passé de négrier ou ses vestiges.Le film insiste sur un bâtiment à l’abandon et une petite ruelle des esclaves témoignant du passé négrier de Saint-Louis, par où sont passés beaucoup plus d’esclaves qu’on ne le croit, sur le chemin des Amériques durant la traite négrière. La situation de Saint-Louis avait ceci de particulier que même après l’abolition de l’esclavage, renseignent ces personnes ressources, des ‘’captifs’’ ont continué à servir des maisons de commerce ou sont restés ‘’esclaves de case’’ dans les foyers.Le réalisateur Ousmane William Mbaye, cinéaste de la mémoire, construit son film suivant une chronologie qui questionne plusieurs étapes et évènements ayant marqué Saint-Louis, capitale de l’AOF de 1895 à 1902, à l’origine réputée pour ses comptoirs commerciaux contrôlant tout le commerce, de l’embouchure à la source du fleuve Sénégal.‘’Nous sommes certainement le continent le plus exploité, à cause de la détérioration des termes de l’échange’’, dit Léopold Sédar Senghor dans le film, lequel recourt à beaucoup d’images d’archives pour raconter l’histoire de Saint-Louis comme une saga épique.‘’Ndar, Saga Waalo’’ est aussi une ville de ‘’refus’’, dans la mesure où son histoire évoque les résistants à la colonisation française, tels que la reine du Walo, Ndatté Yalla (1810-1860), ou le fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), et les deux ‘’rakka’’ célèbres qu’il a faits dans le bureau du gouverneur de Saint-Louis.L’arrivée à Saint-Louis de Samory Touré (vers 1830-1900), considéré comme le dernier grand chef noir indépendant de l’Afrique de l’Ouest et l’un des plus grands résistants africains à la pénétration coloniale, est également évoquée dans cette mémoire singulière.Une double culture vécue comme ‘’un atout’’Le film de Mbaye, d’une esthétique remarquable, revient aussi sur la place des mulâtres, ces Saint-Louisiens nés des couples mixtes de colons et d’autochtones devenus ‘’Domou Ndar’’ ou ‘’Doli Ndar’’, dont la double culture est vécue comme ‘’un atout’’.Le quotidien de Saint-Louis rend compte de ce débat contradictoire sur la place de l’héritage colonial. Si certains de ses habitants veulent en finir avec cet héritage, d’autres semblent décidés à conserver cette forme d’exception, alors que de nombreux jeunes, dans le monde, continuent de se nourrir au biberon des nouvelles revendications sociales, politiques et identitaires, dont on peut penser qu’elles sont de nature à induire des transformations radicales.L’avenir de Ndar est devenue de même une préoccupation pour ses habitants, avec la perspective de l’exploitation des gisements de pétrole et de gaz au large de Saint-Louis, une menace potentielle sur l’activité de pêche, l’un des moteurs de l’économie de la ville.Le réalisateur Ousmane William Mbaye et la productrice Laurence Attali font connaître davantage cette ville tricentenaire, classée en 2000 patrimoine mondial de l’humanité par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.‘’Ndar, Saga Waalo’’ est une coproduction entre ‘’Les films Yandé’’ et l’‘’Autoproduction 2024’’. Selon son réalisateur, le film sera projeté en marge de la Biennale de l’Art africain contemporain de Dakar prévue en mai prochain.Ousmane William Mbaye, lauréat du Grand Prix du chef de l’État pour les arts en 2017, a réalisé de nombreux documentaires liés à la mémoire, dont ‘’Président Dia’’ (2012) et ‘’Kemtiyu Séex Anta’’ (2016), consacrés à l’ancien président du Conseil du gouvernement sénégalais, Mamadou Dia (1910-2009), et au savant et historien Cheikh Anta Diop (1923-1986).https://vimeo.com/903377124FKS/BK/ESF
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