Dakar, 19 juin (APS) – La Coordination des associations de presse (CAP) appelle les professionnels des médias sénégalais à ‘’densifier la lutte pour le respect de [leurs] droits fondamentaux’’, dans un contexte d’‘’emprisonnements ciblés de journalistes’’ au Sénégal, le gouvernement faisant valoir, pour sa part, que ‘’la liberté de la presse […] n’est pas un droit absolu’’.

‘’Le temps est venu de densifier la lutte pour le respect de nos droits fondamentaux avec les moyens légaux à notre disposition’’, déclare la CAP dans un éditorial publié lundi par plusieurs médias sénégalais.

La Coordination des associations de presse estime que ‘’l’heure du choix a sonné pour tous les journalistes sénégalais qui tiennent encore à leur dignité et qui pensent, avec raison, que leur indépendance éditoriale est incompatible avec la compromission’’.

‘’Quoi qu’il doive leur en coûter. Ce choix doit être celui de tous ceux qui estiment que la situation actuelle de la presse n’est plus supportable’’, soutient la CAP.

‘’Les sacro-saintes libertés constitutionnelles [constituant] la boussole de notre métier sont désormais administrées par le bon vieux Monstre de nos malheurs’’, ajoute-t-elle.

Les associations de presse membres de cette structure estiment que ‘’les dernières actualités qui émeuvent certains d’entre nous […] ont mis en lumière notre totale impuissance à riposter et à tenir tête au Monstre de nos malheurs’’.

Elles dénoncent ‘’les agressions violentes et répétées contre le groupe Wal Fadjri depuis plusieurs mois’’.

Ces agressions, poursuit la CAP, ‘’n’auraient jamais été possibles sans les faiblesses quasi rédhibitoires de nos cadres syndicaux’’. ‘’La coupure du signal de télévision de nos confrères de (Walf TV) pour une durée de trente jours, endossée par notre ministre de tutelle, a révélé toute notre impuissance à faire face lorsqu’un droit constitutionnel est foulé au pied par ceux qui sont censés le respecter et le faire respecter.’’

La CAP dénonce aussi ‘’les emprisonnements ciblés de journalistes’’, qui ‘’ont créé chez beaucoup d’entre nous un réflexe d’autocensure’’.

Elle fustige ‘’l’incompétence et la sournoiserie avec lesquelles le secteur des médias est régenté’’ au Sénégal.

‘’Un réflexe d’autocensure’’

L’éditorial invite les professionnels des médias à ‘’sonner la révolte qui imposerait au Monstre de nos malheurs l’arrêt de ses agressions contre la liberté de la presse’’. ‘’Cela suppose de reconstituer la force collective et unitaire d’une corporation dont le rayonnement et l’autonomie sont indispensables à la démocratie et à l’Etat de droit.’’

Les grands rassemblements organisés récemment par les journalistes en guise de protestation contre l’arrestation de confrères arrêtés sont ‘’la preuve vivante que nous avons encore notre destin en main’’, lit-on dans l’éditorial.

Le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Economie numérique, Moussa Bocar Thiam, a réagi à la publication de l’article de la CAP.

‘’La liberté de la presse […] n’est pas un droit absolu. Il s’agit d’une liberté encadrée et limitée lorsqu’elle se heurte aux impératifs liés à la préservation de l’ordre public et au respect de la vie privée’’, a soutenu M. Thiam dans un courrier parvenu à l’APS.

‘’Sur 1.600 cartes de presse distribuées, 300 radios, 45 quotidiens, 325 sites d’information en ligne, seuls le groupe Wal Fadjri et deux journalistes sont sous le coup de sanctions pour violation des règles éthiques et déontologiques’’, argue-t-il.

‘’Il est consacré au Sénégal la liberté d’expression, en vertu des dispositions pertinentes de l’article 10 de la Constitution, qui permet à chacun d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image’’, écrit Moussa Bocar Thiam, le ministre chargé des médias au sein du gouvernement.

La loi du 13 juillet 2017, qui donne naissance à l’actuel Code de la presse du Sénégal, ‘’dispose clairement en son article 57 que ‘les entreprises de presse et de la communication audiovisuelle doivent respecter la vie privée et les bonnes mœurs’‘’, rappelle M. Thiam.

‘’La nécessité de sauvegarder l’ordre public, la sécurité nationale…’’

Les entreprises de presse ‘’doivent aussi respecter l’ordre public en veillant notamment à ne pas diffuser des programmes ou messages de nature à inciter à la violence ou à la haine’’, ajoute-t-il en citant toujours le même article du Code de la presse.

‘’Une déclinaison de cette limitation est retrouvée dans les conventions et le cahier des charges qui lient l’Etat aux groupes de presse’’, fait valoir le ministre de la Communication, des Télécommunications et de l’Economie numérique.

Il a tenu à rappeler, en citant les textes encadrant l’exercice de la profession de journaliste au Sénégal, que ‘’le journaliste doit faire une présentation honnête, impartiale et objective des questions et sujets traités’’.

‘’La chaîne de télévision ne doit pas être utilisée à des fins de propagande’’, poursuit-il en faisant allusion à ce qui a été reproché à la chaîne privée Walf TV.

Moussa Bocar Thiam a invoqué ‘’la nécessité de sauvegarder l’ordre public, la sécurité nationale et l’intégrité du territoire’’.

Cette nécessité, à ses yeux, ‘’justifie, conformément à la loi, la prise de mesures conservatoires pour rétablir la paix publique’’.

Le Sénégal a reculé de 31 places au dernier classement de Reporters sans frontières consacré à l’état de la liberté de la presse dans le monde.

Deux journalistes, Pape Ndiaye (Walf TV) et Serigne Saliou Guèye, sont placés en détention depuis plusieurs semaines, plusieurs mois même pour le premier, pour des faits liés à l’exercice de leur profession.

ESF/MTN

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