Par Mamadou Gano

Kolda, 21 juin (APS) – La cordonnerie traditionnelle, spécialisée dans la confection d’amulettes, talismans et autres gris-gris, résiste toujours à la concurrence dans le Fouladou, malgré le modernisme, comme pour accompagner cette survivance de croyances magicoreligieuses et occultes encore très présente dans la société.

Comme partout en Afrique, le métier de cordonnier remonte aux temps immémoriaux dans cette région Sud du pays, située en Haute-Casamance. Dans la commune de Kolda, les gardiens de cette tradition entourée de savoir ésotérique, sont disséminés dans les quatre coins de la ville.

Du fait des croyances magicoreligieuses toujours prégnantes dans la société sénégalaise, les cordonniers traditionnels, qui ont résisté à travers les âges, continuent aujourd’hui encore de tirer leur épingle du jeu, malgré une concurrence réelle.

‘’Nous sommes des cordonniers et nous avons hérité ce métier de nos parents, qui également l’avaient hérité de leurs parents. Ce savoir se transmet de génération en génération (et) n’est pas cordonnier qui veut’’, avertit Oumar Diallo, ce cordonnier traditionnel, dont le gagne-pain consiste uniquement à coudre, sur commande, des gris-gris pour ses clients et surtout ses clientes.

‘’Nous, on ne touche pas aux chaussures et autres objets comme des ceintures et ou sacs, notre travail se limite exclusivement à coudre des gris-gris, toutes catégories confondues’’, dit ce cordonnier, assis à l’air libre dans un coin de rue faisant office d’atelier.

Selon lui, ses parents ont toujours insisté sur le fait de ne pas mélanger le travail de confection de talismans avec, par exemple, la réparation de chaussures car, disaient-ils, après avoir touché à des chaussures peut-être souillées, on peut être amené à manipuler quelques minutes plus tard, un gris-gris et ou talisman.

Ce qui, ajoute-t-il, peut produire un ‘’effet négatif’’ sur les supposées vertus magiques attachées à l’objet prescrit par un marabout ou guérisseur traditionnel.

 Moussa Seydi, la soixantaine, un autre cordonnier interrogé par l’APS, se veut catégorique. Sur un ton menaçant, il martèle : ‘’N’est pas cordonnier et ou forgeron qui veut, le métier de cordonnier comporte des risques et c’est pourquoi avant de le pratiquer il faut être préparé, avoir un savoir ésotérique, car sans cette préparation (mystique), vous pouvez être en face d’un travail qui, par la suite, peut vous détruire’’.

‘’Si vous êtes bien initiés, vous pouvez faire la distinction entre un travail simple et un autre qui nécessite une préparation de votre part, car il y a des gris-gris ou talisman qu’on ne peut pas toucher sans un rituel interne’’, avance-t-il.

 La cordonnerie traditionnelle, un métier codifié

Pour le psychosociologue Abdoulaye Coly, tous les métiers qui relèvent des castes ont une dimension magicoreligieuse. La cordonnerie traditionnelle est un métier codifié dont l’exercice nécessite une initiation pour avoir la légitimité.

Le matériel utilisé, les peaux des animaux ne viennent pas de n’importe quel animal et le cordonnier peut faire face à des tâches exigeant de lui des pouvoirs mystiques, explique-t-il. ‘’C’est pourquoi, il est transmis de génération en génération, en y incluant toutes les démarches et préparations des initiés’’.

‘’ La résistance de ces métiers est due à nos croyances magico-religieuses. Nous sommes dans des sociétés ou certaines pratiques vont toujours exister et il y a un travail qui ne peut être fait que  par un cordonnier’’, ajoute M. Coly

Selon le président de la chambre des métiers de Kolda, El Hadji Ndiaye, ‘’le développement du métier de la cordonnerie se heurte aux croyances et réalités socioculturelles, où on pense qu’il faut naître  cordonnier pour exercer le métier’’.

Il annonce une modernisation de ce métier à travers un projet de tannerie,  qui devrait permettre de lever ces barrières culturelles et développer cette profession à Kolda, qui en tant que région d’élevage, regorge d’un potentiel, notamment en termes de matière première, à savoir les peaux.

Etant donné qu’il traite de questions relevant de l’intime conviction de ses clients, le cordonnier traditionnel entretient avec eux une relation de confiance. Chacun semble avoir son cordonnier préféré.

Une relation de confiance entre le client  et le cordonnier

‘’La relation entre le cordonnier et son client est une relation de confiance, pour deux principales raisons : d’abord la discrétion, ensuite, le privilège’’, fait savoir une dame rencontrée chez un cordonnier qui a requis l’anonymat.

‘’Selon la fidélité, les clients n’ont souvent pas le même traitement’’. Par exemple, pour la confection d’un gris-gris pouvant coûter jusqu’à 5.000 francs ou plus, les clients fidèles peuvent bénéficier d’une réduction, grâce au marchandage, renseigne-t-elle.

Les prix peuvent aussi varier en fonction du type de tâche sollicité.

‘’Nous avons des prix qui varient en fonction du travail demandé : pour des gris-gris avec plusieurs têtes, le client peut payer plus de 10.000 FCFA et si maintenant, on doit faire le travail en utilisant des peaux d’animaux sauvages – lions, hyènes et reptiles – et si la commande exige que durant la confection le cordonnier ne parle à personne, là, les prix peuvent doubler’’, détaille Omar Diallo.

Ce tarif prend en compte le manque à gagner subi pendant ce moment de silence, avec notamment les clients qui vont voir ailleurs, faute de pouvoir communiquer avec le cordonnier, dit-il.

La gent féminine forme le peloton de tête des clients qui sollicitent les services des cordonniers traditionnels.

‘’Les clients viennent et on ne chôme pas, et la majorité (d’entre eux) sont des femmes et vous savez qu’elles ont plus de problèmes et détails à gérer, ensuite, nous avons les autres catégories : des hommes politiques, des fonctionnaires, etc.’’, dit le cordonnier.

Pour certaines commandes, la personne concernée peut déléguer quelqu’un, mais pour d’autres, la présence de l’intéressé est obligatoire. ‘’Dans certaines circonstances, on nous déplace pour faire le travail chez le client ou son lieu de préférence’’, précise Omar Diallo.

Parallèlement aux héritiers des savoir-faire ancestraux transmis de génération en génération, il y a de nos jours, des jeunes qui exercent ce métier qu’ils allient à la fabrication de chaussures et de sacs en cuir, de ceintures etc., et qui s’en sortent tant bien que mal.

Toujours est-il que des deux côtés, les besoins restent identiques, à savoir le manque d’organisation, chacun prêchant pour sa chapelle, dans son coin, tout comme le déficit d’appui en financement et la formation, notamment pour les jeunes artisans qui évoluent dans la fabrique des chaussures, de sacs, etc.

MG/ADI/ASB

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