SENEGAL-RELIGION-CELEBRATION
Par Serigne Mbaye Dramé
Dakar, 4 sept (APS) – La littérature sénégalaise d’expression arabe accorde une place prépondérante aux poèmes laudatifs (madh) dédiés au prophète Mouhammad. Au-delà de la simple évocation de sa mission prophétique, ces œuvres signées par des auteurs sénégalais mettent en lumière les qualités humaines et morales du Messager de l’islam.
Elles insistent notamment sur sa modestie exemplaire, considérée comme sa plus grande vertu, en dépit de l’honneur suprême d’avoir été le réceptacle de la Révélation. À travers ces écrits, le fils d’Abdallah et d’Amina est érigé en figure d’humanité intemporelle.
Le mawlid ou maouloud, communément appelé Gamou, célèbre la naissance du Prophète Mohamed (PSL), mais rares sont ceux qui s’aventurent dans l’entreprise risquée de dresser le portrait posthume du meilleur des êtres, même le jour de son anniversaire dont l’édition de cette année se déroulera dans la nuit du 4 au 5 septembre.
L’APS a fait choix d’emprunter la plume de El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Ibrahima Niass, des figures de proue de la littérature d’expression arabe au Sénégal, pour dresser le portait de celui dont la dimension échappe aux hommes de toutes les manières.
Publié pour la première fois en Tunisie vers 1915, Xilas Zahab ou l’Or décanté, le chef d’œuvre d’El Hadji Malick Sy, revient largement sur la vie et l’œuvre du prophète, depuis des événements antérieurs à sa naissance, mais intimement liés à sa trajectoire prophétique, tels que la reconstruction de la Kaaba, le repositionnement de la pierre noire ou l’attaque de La Mecque par le roi abyssin Abraha. Il détaille également sa mise sous terre, son ascendance, ses enfants et les 23 années correspondant à la durée de la révélation coranique.
Dans ce livre étalé sur 30 chapitres, El Hadji Malick Sy ne s’est pas limité aux miracles au sens premier en faisant allusion à des choses qui sortent de l’ordinaire : faire parler un animal, des arbres qui se déplaçaient à son honneur, etc. Le chapitre dédié aux miracles parle justement du prophète de l’islam en faisant ressortir ses qualités humaines intrinsèques comme la patience (ṣabr), la clémence (ḥilm) et la pudeur (ḥayā’).
Des vertus qui se reflétaient dans ses gestes et ses comportements de tous les jours, selon l’auteur de Mimiya. “Sa fidélité et sa sincérité constituaient des repères solides pour ses compagnons, tandis que son respect et sa retenue marquaient ses rapports avec autrui”.

Une vie guidée par la modestie et la bonté
Dans ses assemblées, renseigne le patriarche de Tivaouane, “le prophète n’élevait jamais la voix. Il se distinguait par une attitude empreinte de simplicité et de noblesse”, refusant les honneurs réservés aux puissants. Comme le fait de se lever pour marquer son arrivée dans un endroit.
“Il préférait s’asseoir parmi ses compagnons, majoritairement composés de gens ordinaires issus du bas peuple et ponctuait toujours ses paroles par l’évocation de Dieu”.
“Il ne critiquait personne, n’exposait pas les défauts de ceux qui le fréquentaient et ne tournait en dérision aucun individu. Il recevait chacun avec le sourire, honorait ses invités quel que soit son statut social”, renseigne cet ouvrage popularisé par la célébration collective de la naissance du prophète communément appelée Gamou, lors duquel un chapitre de ce livre est chanté et commenté pour revisiter la vie et l’œuvre d’un homme qui n’a vécu que 63 ans.
Dans la vie courante, il adoptait une simplicité remarquable, “réparant lui-même ses sandales, faisant des tâches ménagères, trayant les brebis et partageant les repas sans jamais manger seul. Son cœur était à l’abri de l’orgueil et de la dureté, marqué par la proximité et la douceur”, peut-on encore lire dans le Xilas Zahab.
Le poème met également en relief le courage et la générosité du Prophète. Ce dernier se montrait toujours disponible pour les nécessiteux, qu’ils soient esclaves ou pauvres. Il rendait visite aux malades, répondait aux invitations et accueillait les sollicitations par son légendaire sourire et la formule : me voici (labbayk).
Son humilité demeurait sans égale : il ne cherchait pas à se venger pour lui-même, pardonnait aux offenses et s’écartait des querelles. Sa pudeur dépassait celle d’une jeune fille dans son intimité, note le texte.
El Hadji Malick Sy définit également le prophète comme une “figure de miséricorde et de bonté universelles”.
“Jamais il n’a levé la main sur une femme, ni offensé par ses paroles un serviteur. Sa grandeur résidait dans sa modestie, dans un cœur habité par la crainte de Dieu et la compassion pour les hommes”, a encore fait valoir l’auteur sénégalais cité parmi les plus grands propagateurs de l’islam et de la tidianiyya au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.
Ce portrait humain et humaniste du prophète Mouhammad apparaît également sous la plume de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, un autre chantre sénégalais de la littérature soufie.
Une grande partie de son immense œuvre littéraire est dédiée aux éloges du prophète dont le nom finit par se mélanger à celui de Serigne Touba qui se faisait appeler khadimou Rassoul, serviteur du prophète. Il a aussi dressé le portrait spirituel et moral de Mouhammad en soulignant sa singularité et sa perfection.
Dans son poème ”Mouhaddimaatul amdah” (Préambules des éloges), le fondateur de la confrérie des Mourides, a présenté le prophète, dès les premiers vers, comme “le meilleur des serviteurs d’Allah, Son bien-aimé et Son intime, occupant une place unique qui ne saurait être égalée”.
Le texte insiste sur ses qualités essentielles : proximité avec son Seigneur, gratitude constante, générosité et bienfaisance.
Le Cheikh a aussi relevé sa pureté, sa piété et sa fonction de réformateur, “ce qui en fait à la fois un modèle de droiture et un guide pour la communauté”.
”Fathul Fattah”, une autre œuvre de Cheikh Ahmadou Bamba dépeint le prophète comme un “éducateur et un maître, sincère et sans duplicité, dont la parole est empreinte de douceur et de sagesse”.
Un autre aspect essentiel du texte est l’affirmation de sa supériorité universelle : “Il a surpassé tous les hommes. Cette supériorité ne se traduit pas seulement par son autorité spirituelle, mais aussi par son exemplarité, marqué par une adoration fondée sur l’amour et la vénération”.

”Tu vins alors que régnaient injustice, ténèbres. Et partout grondaient le chaos et l’infamie”
Cheikh Ahmadou Bamba a aussi insisté sur l’importance de la mission du prophète, une miséricorde, le présentant comme un “secours pour quiconque cherche protection auprès de lui et honorant l’ensemble des créatures en vue de l’obtention de l’agrément du Seigneur”.
Dans son célèbre ouvrage ”Sayroul Qalbi” (La marche du cœur), un cri d’amour et de ferveur qui traverse les années, Cheikh Ibrahima Niass entraine le lecteur dans un voyage ardent, de Dakar aux Lieux saints de l’Islam, en passant par Paris, la Belgique, Londres ou autres pays symboliques de la Fayda comme le Nigéria et le Ghana. Le périple qu’il effectuait chaque année ou presque faisait l’objet d’un poème dédié au prophète.
“L’amour du Prophète s’est ancré dans mon cœur. J’en jure par mon père, la nuit, le pair et l’impair. Les Louanges s’arrêtent, impuissantes à tout dire. Même l’éloquent échoue, en prose comme en vers (…) mes mots ne sont que souffle d’un cœur rempli. Le Messager est plus grand que toute poésie”, écrit le fondateur de Médina Baye.
Dans ce célèbre opus poétique dédié au Messager d’Allah, Cheikh Ibrahima Niass fait part d’un “cri de dépendance mystique exaltant la générosité prophétique qui embrasse toutes les créatures”.
En 1963 par exemple, Cheikh Ibrahima Niass, accompagné de son fils ainé El Hadji Abdoulaye qu’il nomme tendrement “Shibli” (lionceau, en arabe), séjourne à Médine qui abrite le mausolée du prophète. Il y compose des vers mêlant louanges, larmes et prières et dressant le portrait d’un Serviteur venu du bout du monde.

“Mouhammad m’a comblé de purs dons, le Meilleur des vivants ; N’est-il pas sans égal, au-dessus de tout rang ? De nuit, je viens vers Lui avec mon vaillant fils (…)”, s’exclame Cheikh Al Islam dans des vers composés devant le mausolée du Prophète à Médine en 1963.
En 1960, alors qu’il était en déplacement en Irak, Cheikh Ibrahima Niass, en pleine marche du cœur (Sayrou), est inspiré par les vestiges du palais Chosroès, un monument royal perse en ruine en Irak.
“Ô Palais de Kisra, t’es-tu vu t’effondrer ? L’apparition du Prophète a fait ton roi pilier. Mohamed est venu, ton palais est mis à nu. Mohamed est venu, les fleuves se sont tus, ou bien ont-ils rompu ? Mohamed est venu, La Mecque l’accueillait, Sa lumière brisa le palais qui croulait. Qu’il est sublime, éclatant et suprême. Par sa clarté, le monde en lumière entrait. Celui qui, nourrisson, fit crouler ce palais, n’accordera jamais au mensonge un relais”, écrit-il.
En mars 1968, entre Dakar, Paris et La Mecque, Cheikh Ibrahima Niass poursuit sa marche du cœur. “Ma nuit s’est prolongée à Dakar, sans sommeil ; Pour celui qui entre Quba et Naqa, veille. A Paris aussi, je veillais la nuit sans cesse. Son amour chassa mon sommeil avec rudesse”, déclame Baye Niass dans “Sayroul Khalbi”.
“De passage à Paris, je songeais, cœur fléchi, à la cité bénie. Ô Ahmad, plus noble des êtres, mon recours. Que vaux-je, visiteur sans fond ni contours ? Ô Élu de Dieu, plus sûr des refuges des créés, des djinns invisibles comme des hommes sensés. Grand par l’éthique, la bonté et par le don”, brosse Cheikh Ibrahima Niass, insistant sur les valeurs du “meilleur des êtres”.
En 1969, en pleine guerre israolo-arabe, celui que l’on appelle affectueusement Baye (père, en wolof) reprend sa plume pour saluer “le triomphe et la guidance du Prophète, trésor vivant et sûr abri”.
“Tu vins alors que régnaient injustice, ténèbres. Et partout grondaient le chaos et l’infamie. Tu vins dissoudre l’impiété, la tyrannie ; Et tout fléau tomba sans glaive ni blessure (…) partout se répandit sa guidée et sa douceur, la fraternité vainquit haine et médisance du cœur”, souligne l’auteur sénégalais.
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