SENEGAL-COLLECTIVITES-HYDRAULIQUE
Du correspondant de l’APS, Cheikh Tidiane Sarr
Kaffrine, 11 juin (APS) – Les pénuries d’eau deviennent de plus en plus fréquentes dans certaines zones de la région de Kaffrine (centre), freinant le développement des activités génératrices de revenus dans des terroirs de cette zone sylvopastrorale, a constaté le correspondant de l’APS.
Erigée en région en 2008, Kaffrine, qui comprend quatre départements : Kaffrine, Birkilane, Malèm-Hodar et Koungheul, est située au centre du pays, et s’étend sur une superficie de plus de 11 400 kilomètres carrés.
Ces dernières années, la région est confrontée à un déficit d’infrastructures routières, sanitaires, éducatives et dans d’autres secteurs. Aujourd’hui, les difficultés d’accès à l’eau potable dues, entre autres, au changement climatique, demeurent le principal défi pour ses collectivités territoriales.
Kahi fait partie depuis quelques années des communes qui souffrent le plus de l’accès à l’eau potable. Une situation qui découle des pannes de forage, de la salinisation de l’eau et de la mésentente entre les populations et Flex’ Eau, la société en charge de l’exploitation du liquide précieux dans cette partie rurale de la région.
En cette journée ensoleillée, le visiteur a du mal à rester indifférent à la situation difficile que vivent les habitants de Kahi, qui restent toute une journée sans eau.
Désespérées, les maraîchères confient que toutes leurs activités économiques sont au ralenti. Les élèves sont aussi durement touchés par cette situation.
‘’Nous sommes vraiment fatigués. Nous ne pouvons ni boire de l’eau, ni faire le linge encore moins arroser nos champs, et même le bétail en pâtit’’, se désole une dame trouvée devant son périmètre maraîcher.
Elle déclare que cela fait presque un an que cette situation dure. Certains villages, plus particulièrement les chefs-lieux de commune, souffrent énormément, déclare-t-elle. Les femmes, parfois, marchent des kilomètres pour trouver le liquide précieux.
Du fait de cette situation, dit-elle, leurs périmètres maraîchers sont menacés, car elles ne parviennent plus à les arroser. Ce qui entraine des pertes énormes de récoltes.
‘’On faisait des chiffres d’affaires de 300 000 à 500 000 francs CFA et parfois un million de francs CFA, après la récolte des salades, piments, oignons’’, fait-elle observer. Elle pointe la salinisation et la pénurie d’eau, parmi les causes de la baisse de la production maraîchère.
Activités économiques au ralenti
A Ngodiba, un autre village de la commune de Kahi, c’est la croix et la bannière pour les femmes qui s’activent dans le maraîchage. Elles aussi peinent encore à trouver le liquide précieux tant pour leur consommation quotidienne que pour leurs activités agricoles.
‘’Notre principale activité est le maraîchage, mais nous sommes confrontés à un manque d’eau, aux pannes des forages et à la cherté des factures de l’entreprise Flex’ Eau’’, s’offusque l’une d’elles.
A Hafé Mouride, un autre village de la commune de Kahi, les habitants restent pendant plusieurs heures à attendre le retour de l’eau. Souvent, c’est au milieu de la nuit qu’ils voient les premières gouttes sortir des robinets, se désole Mass Wilane, un notable du village.
‘’Cette situation fait que les familles sont obligées de veiller jusqu’à 2 heures ou 3 heures du matin pour avoir de l’eau. Nous vivons véritablement un calvaire, depuis bientôt trois ans’’, dit-il.
Trouvé chez lui en train de faire ses ablutions à l’aide d’un sachet d’eau, un père de famille d’une quarantaine années se prépare ainsi pour la prière de ‘’Timis’’ (Maghreb, coucher du soleil). L’eau dont il se sert pour se purifier est, dit-il, salée. Au passage, il dénonce la cherté des factures d’eau.
Ce père de famille, dont les parents sont âgés, déclare acheter parfois jusqu’à trois paquets d’eau dans la journée pour la consommation de sa famille. Chaque jour, il dit dépenser presque 2 000 francs CFA, alors que l’hivernage approche et que la Tabaski a fait exploser les dépenses familiales.
‘’Nous vivons cette situation difficilement. Les femmes souffrent énormément, car elles parcourent plusieurs kilomètres à la recherche de l’eau de puits. Les activités économiques qu’elles mènent dans le maraîchage sont ralenties, causant des pertes considérables’’, déplore-t-il.
Face aux pannes du forage, à la mauvaise qualité de l’eau et à la souffrance du cheptel, Mass Wilane appelle l’Etat à trouver une solution.
Des mini-forages pour soulager les populations
A Médinatoul Salam 2, dans le département de Kaffrine, le constat est le même. Dans cette commune qui polarise trente-neuf villages, l’eau est la denrée la plus rare en cette période où l’hivernage approche à grands pas.
D’après le maire Modou Seck, le manque d’eau a beaucoup freiné l’activité économique des femmes, des jeunes et des populations de manière générale.
‘’Dans beaucoup de nos villages, nos forages sont en panne. Les populations souffrent et subissent des pertes énormes avec la baisse de la production agricole. Autrement dit, les cultures deviennent plus vulnérables à la sécheresse’’, déclare-t-il.
Selon M. Seck, depuis quelque temps, la municipalité s’est tournée vers l’installation de mini-forages, afin de soulager les populations.
Il s’y ajoute que ce manque d’eau impacte le bétail, avec l’absence d’abreuvoirs. L’édile déplore aussi les fuites d’eau, les pannes de forage et la délégation du service de l’eau à Flex’ Eau au détriment des associations d’usagers des forages.
‘’Malgré ces difficultés, la commune trouvé, l’année dernière, une solution provisoire en construisant deux mini-forages, mais ce n’est pas suffisant. Cette année aussi, on a programmé dans le budget d’en construire quatre ’’, confie-t-il.
Les maires sont les premiers à être interpellés lorsqu’il y a des pénuries d’eau, des pannes de forage ou un manque de carburants, rappelle-t-il.
Santhie Wanar et Wanar Bou Magg, des villages de la commune de Mabo, dans le département de Birkilane, souffrent eux aussi des difficultés d’accès à l’eau potable.
Leurs habitants attendent jusque tard dans la nuit sans avoir la moindre goutte d’eau, et cette situation dure depuis plusieurs années, explique Salif Cissé, le cœur meurtri.
Il indique que la salinisation de l’eau impacte ‘’négativement’’ la santé des populations et du bétail. ”Nos productions agricoles, surtout les activités économiques des femmes, jadis génératrices de revenus, en prennent un sacré coup’’, dénonce-t-il.
‘’Nous sommes obligés de recourir aux pompes solaires, qui ne sont que des solutions conjoncturelles. Les femmes parcourent des kilomètres pour chercher de l’eau potable. C’est vraiment difficile’’, ajoute Salif Cissé.
Les populations de Niahène, un village de la commune de Sagna, dans le département de Malem Hodar et ses environs, vivent également le même calvaire.
Elles sont en permanence à la recherche d’eau, à cause des pénuries ‘’chroniques’’ du liquide précieux, se lamente Babacar Ndao, un notable de la zone qui dit constituer des réserves à l’aide de bidons.
‘’Nous n’avons qu’un seul forage et l’eau n’est pas suffisante. Nous lançons un appel au ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Cheikh Tidiane Dièye, pour qu’il nous aide, parce que nous souffrons. Si on peut nous doter de camions citernes pour l’approvisionnement des populations, ce serait une très bonne chose’’, lance-t-il.
Le paradoxe, selon lui, est que les collectivités territoriales ont pour mission de promouvoir le développement économique, éducatif, social, sanitaire, culturel et scientifique. Mais le fait est qu’elles n’ont pas les moyens de régler le problème d’approvisionnement en eau des populations.
‘’Seul l’Etat peut décanter cette situation que vit le monde rural. Parfois, l’eau arrive vers deux heures du matin. D’autres fois, elle ne vient pas. Comment peut-on dans ce cas vouloir des territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable ?”, se demande le notable.
Des solutions pérennes requises
Dans le département de Koungheul, l’accès à l’eau potable reste quasiment une arlésienne, particulièrement en milieu rural.
Aujourd’hui encore, dans plusieurs localités des zones rurales de ce département, les habitants sont contraints de recourir à l’eau des puits, s’exposant ainsi à des risques de maladies hydriques et sanitaires majeures.
D’Ida Mouride, en passant par Lour Escale, Saly Escale, Koungheul commune, Maka Yopp, presque partout les forages tombent régulièrement en panne, avec un réseau hydraulique vieillissant ou sous-dimensionné, limitant ainsi la distribution du liquide précieux dans des zones complètement dépourvues.
Face à cette situation, les populations manifestent une ‘’vive inquiétude’’, d’autant plus que ‘’l’eau est un besoin vital qui conditionne la santé, l’éducation, l’agriculture et la paix sociale’’. Et ce n’est pas un hasard si l’indicateur 6 des Objectifs de développement durable (ODD) prône l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement ainsi qu’une gestion durable des ressources hydrauliques.
Des habitants de ces localités de la région de Kaffrine interrogés par l’APS proposent la mise en service de la station d’épuration de Koungheul, la réhabilitation et la sécurisation des puits existants. Ils estiment que cela permettrait d’améliorer la qualité de l’eau grâce à des dispositifs de filtre et de désinfection.
Ils plaident également pour le renouvellement des réseaux défectueux ou sous-dimensionnés et l’adduction d’eau dans les localités non desservies.
Depuis un certain temps, certains élus territoriaux ont recours à des mini-forages pour essayer de parer aux pénuries fréquentes d’eau.
A Diamal, une commune située dans le département de Birkilane, le maire Mor Ka déclare que certains habitants font des kilomètres pour s’approvisionner en eau dans des localités disposant de forages. “L’eau n’est pas suffisante et le forage ne parvient plus à satisfaire les besoins des populations’’, fait-il savoir.
Dans cette cité religieuse, un seul forage fournit de l’eau aux autres villages. C’est une situation difficile pour les habitants, qui patientent des heures, durant dans la nuit, pour avoir le liquide précieux, explique-t-il.
L’édile de Diamal dit qu’il n’a cessé depuis lors d’interpeller l’État, afin qu’il soulage les populations de sa commune. “Nous sommes les premiers à être interpellés, alors que ce n’est pas de notre compétence”, confie-t-il.
Une question à régler définitivement
Face à ces nombreuses difficultés d’approvisionnement en eau, le président du Conseil départemental de Kaffrine, Abdoulaye Wilane, explore une solution alternative, avec le recours à des mini-forages et d’anciens puits abandonnés.
‘’Dans plusieurs communes du département de Kaffrine, nous avons installé des mini-forages, que nous avons achetés à plus d’un million de francs CFA’’, révèle-t-il.
M. Wilane estime que c’est une manière d’accompagner et d’assister les populations, particulièrement les femmes qui souffrent énormément. Elles font des kilomètres pour chercher l’eau, ou patientent des heures tard dans la nuit pour avoir le liquide précieux, sans compter le manque de sommeil, la fatigue, lance-t-il.
‘’Nous appelons l’État à régler définitivement les problèmes d’eau dans le monde rural, car, si on veut réussir notre souveraineté alimentaire, il faut forcement passer par les collectivités territoriales’’, estime le président du Conseil départemental de Kaffrine.
Dame Seck, le président régional des associations des consommateurs de Kaffrine, rappelle que l’eau est indispensable à la vie.
‘’Nous avons toujours rappelé la doléance des pénuries d’eau dans la région de Kaffrine et des pannes de forage au ministre. Récemment, on a participé aux concertations nationales sur l’eau à Kaolack’’, a-t-il rappelé.
Il insiste sur la nécessité de changer le réseau hydraulique, d’augmenter le nombre de forages et éventuellement, de discuter davantage avec l’entreprise Flex’ Eau.
Gestion des forages
Dans un entretien avec l’APS, le président de l’Union nationale des forages ruraux du Sénégal (UNAFOR), Modou Diouf, avait plaidé pour que la gestion des forages ruraux revienne aux associations d’usagers de forages (ASUFOR), et qu’elle ne soit plus confiée à des délégataires privés.
‘’Ce que nous avons proposé, y compris lors des concertations tenues à Kaolack, c’est que la gestion de l’hydraulique rurale revienne aux associations des usagers des forages ruraux, avec un accompagnement institutionnel’’, avait-il proposé.
Selon lui, l’expérience accumulée par les ASUFOR durant des années, dans plusieurs zones rurales du pays, constitue un modèle de gestion efficace. Dans beaucoup de villages, l’ancienne gestion des forages était meilleure, affirme-t-Il
‘’Avant, les ASUFOR utilisaient ces ressources pour construire des salles de classe, des postes de santé, acheter des ambulances. Aujourd’hui, les populations ne voient plus les retombées de cette gestion’’, fait-il valoir, dénonçant une ‘’logique de profit au détriment de l’intérêt général’’.
Il a ainsi appelé à ‘’une reprise en main de la gestion de l’eau et une réforme du système de délégation, jugé inadapté aux réalités du monde rural et une réforme de la réforme de 2014 ’’, afin que les conclusions attendues ‘’convergent avec les attentes des populations’’.
Le président de l’UNAFOR est d’avis que l’eau ne peut être considérée comme une marchandise, mais comme ‘’un facteur de développement’’.
Une batterie de mesures proposée
Depuis la dernière réforme de l’hydraulique rurale, lancée au Sénégal en 2014 pour professionnaliser la gestion des services d’eau en milieu rural en délégant la gestion des forages à des privés, le problème d’approvisionnement en eau potable s’est intensifié, constate l’expert Ousmane Diaw.
Le juriste environnementaliste, spécialiste de la gouvernance du secteur de l’eau et de l’assainissement souligne que cette réforme a très souvent occasionné des conflits entre le délégataire et les usagers. Il cite, à cet égard, le cas de Ngodiba, dans la commune de Kahi, où il y a eu des arrestations et des emprisonnements.
‘’Les problèmes d’eau dans le monde rural sont le vieillissement des groupes électrogènes, entrainant l’arrêt de la production pour desservir correctement les populations, sans compter l’insuffisance de la production de certaines pompes dans les forages, dont le débit d’exploitation est inférieur aux besoins en eau des populations desservies’’, note M. Diaw.
Il évoque aussi la qualité de l’eau, le réseau de distribution et certains équipements vétustes et inadéquats dans certaines localités pour garantir une bonne pression de service dans les ménages, la qualité du service du délégataire, ‘’très décriée’’ par les populations à cause du déficit d’approvisionnement, et le temps d’intervention en cas de panne.
Face au manque d’eau potable dans la région de Kaffrine, il préconise la révision de la réforme de l’hydraulique rurale pour mieux situer les responsabilités entre l’OFOR et le délégataire Flex’ Eau.
De même propose-t-il l’accélération du programme de transfert d’eau de Malem Hodar, pour améliorer la qualité de l’eau et sa disponibilité, le renouvellement des forages où la qualité de l’eau ne répond plus aux normes, la réalisation de forages à vocation agricole et pastorale pour combler le déficit d’adduction d’eau potable.
Maodo Malick Youm, chef du service régional de l’hydraulique et de l’assainissement de Kaffrine pense que le manque d’eau dans plusieurs localités de la région est lié au déficit en couverture complète de la source d’eau. Il a aussi évoqué un problème d’exploitation et de production de certains ouvrages auquel fait face le délégataire du service public, Flex’ Eau.
‘’On constate véritablement un retard dans le renouvellement des ouvrages et équipements hydrauliques, qui impacte négativement la bonne production, justifiant, par ailleurs, le manque d’eau dans certaines localités. Il faut également admettre que les activités liées au maraîchage accentuent le déficit en eau dans les ménages en milieu rural’’, fait remarquer M. Youm.
D’où, selon lui, la réalisation d’autres forages à vocation agropastorales pour satisfaire le besoin en eau des populations.
Le gouvernement du Sénégal, à travers le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Cheikh Tidiane Dièye, a tenu au mois de novembre dernier à Kaolack, des concertations nationales sur le secteur de l’eau et de l’assainissement.
CTS/ASB/ASG