+++Par Alioune Diouf+++

Thiès, 5 jan (APS) – L’ancien journaliste Babacar Ndiaye, décoré de la Grand-Croix dans l’Ordre national du Lion, le 20 décembre dernier par le président de la République Bassirou Diomaye Faye, après avoir servi pendant 35 ans dans la quasi-totalité des bureaux régionaux de l’Agence de presse sénégalaise (APS), s’honore d’avoir touché le plafond en termes de distinctions, après une carrière d’agencier bien remplie.

« J’ai roulé ma bosse partout. Il n’y a que Louga et Saint-Louis qui ont échappé [à mon parcours de journaliste] », lance, non sans fierté, Babacar Ndiaye, ancien chef de bureau et correspondant de l’APS dans la plupart des régions du pays.

C’est en homme comblé que celui dont le nom a longtemps été associé à l’APS, reçoit dans un douillet salon chez lui au quartier 10e, à Thiès (ouest).

Pour avoir passé plus de trois décennies d’une carrière de journaliste bien remplie, Babacar Ndiaye APS, est devenu une icône de la presse sénégalaise.

Même s’il n’est pas homme à s’encombrer de gloriole, sa décoration dans l’Ordre national du Lion lui est allée droit au cœur, surtout qu’il l’a reçue de la plus haute autorité du pays, en présence de son fils qui l’accompagnait et d’anciens confrères et amis, dont l’ancien directeur général de l’APS, Mamadou Koumé.

« C’est un grand honneur que le président de la République m’a accordé, parce qu’il faut reconnaître que c’est la distinction la plus élevée dans l’Ordre national du Lion, dit-il. Avec cette distinction, j’ai touché le plafond des décorations que je pouvais recevoir ».

Arborant en diagonale le ruban vert qui soutient sa décoration, un pendentif doré, et une autre médaille épinglée à la poitrine qu’il avait reçue de l’ancien président Macky Sall, il ne manque pas de remercier le grand chancelier de l’Ordre national du Lion, le général Meïssa Sellé Niang, à l’origine de cette nouvelle marque de reconnaissance, ainsi que tous les membres de la chancellerie. 

A 77 ans, l’homme de grande carrure, à la barbe toute blanche, jadis très dynamique, commence à sentir le poids de l’âge.

Depuis sa retraite en 2008, ce père de quatre garçons, dont l’un vit aux Etats-Unis et l’autre travaille dans les mines d’or de Sabodala, habite dans sa maison sise dans le verdoyant quartier 10e de la capitale du rail, aux côtés de son épouse. La  parfaite complicité entre les deux saute aux yeux du visiteur.

« Mère Ndiaye, ce ne sont pas mes verres, mais les tiens », lui lance-t-elle, après avoir mis les lunettes qu’elle vient juste de lui remettre avant l’entretien.  »Je lui dis qu’elle a vieilli, mais elle refuse de l’admettre“, rigole le doyen dont le sens de l’humour n’a pas pris une ride.

« J’ai fait pratiquement tous les bureaux régionaux. Je me réjouis de ce parcours. J’ai servi sans arrière-pensée et avec abnégation et beaucoup d’engagement », dit ce journaliste à la retraite, qui a intégré l’APS en 1973.

Après Dakar, à la rédaction centrale, il a été chef de bureau à Tambacounda [est], à Ziguinchor [sud], alors capitale de la Casamance naturelle, à Fatick [centre], en 1974, à Diourbel [centre] cumulé à Thiès, où il a fait quatre allers-retours.

Après un premier séjour à Tambacounda, il a dû y retourner, pour assurer un intérim de trois mois, mais qui sera finalement prolongé au-delà d’un an. Son successeur dans le Sénégal oriental, le journaliste Ibrahima Bakhoum, ne s’entendait pas avec le gouverneur d’alors, qui lui collait l’étiquette de ‘’communiste’’.

Son long périple à travers le pays à permis à Babacar Ndiaye de croiser d’illustres gouverneurs qu’a connus le Sénégal. Il se rappelle avec nostalgie, entre autres, d’Amadou Thiam, d’Idrissa Camara, l’un des derniers avec lesquels il a travaillé à Thiès, Souleymane Ly, récemment rappelé à Dieu ou encore Ndakhté Mbaye, considéré comme le père de la réforme de l’administration de 1972.

Babacar Ndiaye a été témoin de toutes les phases de l’évolution des moyens de transmission de l’information à l’APS, depuis les plis envoyés par train jusqu’à l’arrivée d’Internet, en passant par le fax. Ce natif de Louga, d’un père originaire de Linguère, a eu un parcours remarquable.

La reconnaissance de ses pairs

Dans une tribune publiée sur Thiès 24, un média en ligne du journaliste thiessois Mbaye Samb, correspondant du quotidien privé L’As, Cheikh Fall, son ancien compagnon de route et chef de département à la RTS, ne tarit pas d’éloges à son endroit.

Fall qui a cheminé sous son aile protectrice, en tant que jeune correspondant de Radio Sénégal à Thiès, lui a rendu hommage pour avoir “joué le rôle d’un ilotier pour le bien de ses jeunes cadets journalistes, mais surtout pour la noblesse du journalisme“.

“Jeune correspondant de Radio Sénégal dans la capitale du rail, je me suis jeté dans ses bras sans autre forme de procès“, se souvient Cheikh Fall, évoquant les temps où il y avait des passerelles entre les médias publics faisant que Babacar Ndiaye alimentait le Soleil par ses dépêches, et prêtait sa voix à la RTS.

« Babacar Ndiaye, maître dans son art, faisait son travail sans se raccrocher aux chimères. Cette rigueur dans l’exercice de ce métier complexe lui donnait une stature de personne respectée et écoutée par tous. Autorités administratives et locales, leaders d’opinion ou autres décideurs publics comme privés voyaient leurs activités relayées dans un style concis au contenu fidèle“, témoigne-t-il.

“Babacar fut un agencier hors pair. Ses dépêches alimentaient le célèbre quotidien national Le Soleil et sa belle voix résonnait sur les ondes de Radio Sénégal, au grand bonheur des auditeurs. Oui, le doyen Babacar Ndiaye était la plume et la symphonie“, écrit-il encore.

Pour couronner le tout, Cheikh Fall suggère à l’actuel maire de Thiès de baptiser, en son nom, la rue passant devant chez lui, qui longe la Chambre des métiers, l’UFR/Santé et l’ANCAR.

Les faits marquants de sa longue carrière de journaliste se bousculent dans sa mémoire. Il se souvient quand, jeune reporter non encore titulaire, il est envoyé à Thiès pour « garder la maison », le temps que le chef de bureau d’alors, Souleymane Diop, aille faire un stage en Allemagne. Il prend alors l’initiative de faire un reportage sur les phosphates, qui n’a pas plu à des députés, qui ont voulu « se débarrasser de (lui) ».

Le débat soulevé par cet article a abouti au vote par l’Assemblée nationale d’une loi nationalisant l’exploitation des phosphates par les ICS, les Industries chimiques du Sénégal, raconte-t-il.

Avec l’aval du président Léopold Senghor, l’État décide de prendre la majorité des actions dans cette société, poursuit l’agencier à la retraite.

Engagement syndical

L’autre anecdote qu’il évoque, non sans regret, porte sur un compte rendu qui a coûté cher à deux de ses proches. Ayant relayé deux accidents de train en l’espace de trois mois, il s’est attiré les foudres du directeur des Chemins de fer de l’époque. Ce dernier, « pour se venger », licencie son épouse qui travaillait dans cette société et retire à son beau-père, un cadre de la même boîte, son logement de fonction, les soupçonnant de lui avoir filé les informations.

Babacar Ndiaye, c’est aussi le syndicaliste défenseur acharné de la corporation, un costume qu’il avait enfilé depuis 1994 aux côtés de son camarade et ami, le regretté Alpha Sall, alors secrétaire général du SYNPICS, le syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal.

Parmi les acquis auxquels il a contribué, il retient la protection de nombreux journalistes de l’arbitraire de leurs employeurs, mais aussi et surtout la construction de la Maison de la presse. Un bâtiment dont la maquette avait été choisie par Alpha Sall et qui a été approuvée par le président Abdoulaye Wade, malgré la réticence de quelques-uns de ses proches collaborateurs, qui estimaient qu’il coûterait trop cher.

Aujourd’hui, même s’il ne rougit pas de ce que ce bâtiment porte le nom du grand journaliste Babacar Touré en lieu et place d’Alpha Sall, il pense qu’il n’est pas trop tard pour rendre un hommage bien mérité à ‘’cet autre porte-étendard de la presse’’, qui a défendu ses confrères jusqu’au-delà des frontières, notamment au Mali.

Admettant une « réelle évolution » dans la pratique du métier de journaliste au Sénégal, il estime qu' »il reste encore beaucoup de choses à faire et à parfaire, pour que le journaliste soit irréprochable ».

Il se dit « scandalisé » par les contenus de certains médias et les comportements de certains journalistes, et conseille à ses jeunes confrères de « s’accorder avec les faits et ne pas se mettre devant les faits ».

En homme expérimenté, le doyen les met en garde contre la tentation de « se prendre la tête », de « se croire supérieur aux autres », ou encore de « jeter l’opprobre sur d’honnêtes gens ».

Babacar Ndiaye ne manque pas non plus de plaider auprès des plus hautes autorités pour qu’au-delà de son statut de société nationale, sa ‘’maison de cœur’’, l’APS, bénéficie du soutien qui « lui revient » de droit.

ADI/ASB/ABB/OID

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