SENEGAL-AFRIQUE-MEMOIRE-INITIATIVE
Dakar, 30 nov (APS) – Le chercheur et conteur sénégalais Massamba Guèye, producteur d’un podcast consacré à la mémoire des tirailleurs sénégalais, justifie cette initiative par une volonté de réappropriation collective de cette histoire, en comptant sur toutes les couches de la société.
Le but est d’‘’atteindre tout le monde’’, pas simplement les jeunes, qui restent toutefois la ‘’priorité parce que c’est pédagogique. Mais la véritable cible, ce sont les écoles. Ce sont les ‘daara’ (écoles coraniques). Ce sont aussi les associations de femmes, parce qu’une mémoire doit être portée par l’ensemble des couches [de la société]’’, a-t-il dit en parlant du public visé par son podcast intitulé ‘’Mémoires de tirailleurs’’.
‘’Comme je dis, il y a des jeunes mais il n’y a pas que les jeunes, parce qu’il y a la transition intergénérationnelle. Il y a aussi des adultes de 40 ans, de 50 ans, qui ne savent rien de l’histoire des tirailleurs. Il y a des enseignants parmi ces gens-là. Donc, si on ne cherche que les jeunes, ceux qui doivent aujourd’hui former les jeunes, s’ils ne sont pas informés, eux aussi vont continuer à dire des contre-vérités ou bien des erreurs [sur cette histoire]’’, a expliqué M. Guèye.
Ce travail visant à faire entendre la voix de ceux qui ont combattu pour la France est parti d’une précédente initiative du professeur Massamba Guèye, dénommée ‘’Xam sa démb, xam sa tey’’, une série de podcasts dédiés à l’histoire du Sénégal, dans le cadre d’un projet conçu par le Goethe-Institut Sénégal et réalisé avec la collaboration des Archives nationales du Sénégal et la Maison de l’oralité et du patrimoine ‘’Kër Leyti’’, dont le chercheur est le fondateur.
Pour ce travail, Massamba Guèye a dit avoir eu accès, à partir de 2024, à des archives venant de la Première Guerre mondiale, à partir desquelles il a monté, en tant qu’expert, un projet d’identification des paroles des prisonniers de guerre dans les camps allemands.
‘’Nous avions décidé de continuer ce travail de transmission des mémoires. C’est comme ça que nous avons eu une réunion avec l’ambassade de France, qui est venue voir ce que ‘Kër Leyti’ faisait. Nous voulions continuer à travailler sur les militaires ayant participé aux guerres. C’est comme ça que la collaboration est née entre l’ambassade de France et ‘Kër Leyti’. Et c’est ça qui a donné naissance à ce podcast-là’’, a expliqué M. Guèye.
‘’Ce que nous voulions, c’est avoir tous les récits des guerriers (tirailleurs) encore vivants pour éviter de raconter encore des contre-vérités sur eux’’, dans un objectif de réappropriation de cette histoire, a-t-il poursuivi.
Objectif : ‘’entendre tous les tirailleurs encore vivants’’
Le chercheur a insisté sur la nécessité de ne pas ‘’laisser les autres écrire la mémoire et l’histoire de l’Afrique sans donner à l’Afrique sa parole […] En écrivant une histoire racontée par l’Afrique, avec la bouche de l’Afrique, les oreilles des Africains vont enfin entendre des Africains parler’’, a ajouté Massamba Guèye.
Il estime qu’on n’a pas suffisamment entendu les anciens combattants et les tirailleurs parler de leur histoire.
Dans un deuxième temps, cette initiative vise à donner aux concernés ‘’un espace pour dire comment ils voient le monde d’aujourd’hui’’, avec l’appui des récits de leurs familles, selon lui.
Pour les besoins de ce podcast, Massamba Guèye est allé à la rencontre d’anciens combattants de l’armée française dans divers endroits du Sénégal, à Salémata et à Bandafassi, dans la région de Kédougou (sud-est), mais aussi à Tambacounda (est), Podor (nord), en Casamance (sud) également, à Passy, dans la région de Fatick (centre).
Il a pu enregistrer 10 podcasts déjà disponibles, pour une première phase.
‘’On espère une deuxième phase, parce qu’il y a une forte demande. Même ceux qui étaient des petits-enfants nous ont saisis, dès le lancement [du podcast], pour dire qu’ils veulent témoigner. Donc, c’est vraiment […] les tirailleurs eux-mêmes qui vont se raconter. Et notre objectif, c’est vraiment d’entendre tous les tirailleurs encore vivants, où qu’ils se trouvent dans le monde’’, a expliqué M. Guèye.
‘’Il faut qu’on puisse disposer d’archives et qu’on arrête, à chaque fois qu’on doit parler de la mémoire de l’Afrique, d’aller chercher le stock d’informations ailleurs. Ce que nous sommes en train de faire, c’est de constituer un stock d’archives qui puisse être consulté des années plus tard, à partir de l’Afrique et sur le territoire africain’’, a-t-il poursuivi.
Les podcasts, ‘’nous allons les offrir gratuitement’’
Dans quelques années, ‘’personne n’accordera plus à personne un visa pour aller chercher des informations parce que ça va coûter tellement cher, ça va avoir un enjeu économique et géopolitique extrêmement puissant’’, a prédit Massamba Guèye, ajoutant : ‘’C’est aujourd’hui que l’Afrique doit commencer à construire les bases de ses archives sonores, audiovisuelles et écrites.’’
‘’Une très grande erreur a été relevée par ces récits : lorsqu’on parle des tirailleurs, les derniers qui sont encore vivants, on considère qu’on parle de tirailleurs qui n’ont combattu que pour la France. Les podcasts vont révéler que ces gens n’ont jamais combattu pour la France’’, précise-t-il.
‘’Ils ont combattu sous le drapeau français, lorsque la terre sénégalaise faisait partie de l’Empire français. Ils n’ont pas la conscience d’avoir été des employés de la France. Pour eux, leur pays s’appelait la France parce qu’ils étaient colonisés. Et certains, dont Yoro Diaw, nous révèlent avoir refusé de tirer, en Algérie, sur des musulmans […] Ils ont été sanctionnés’’, a signalé M. Guèye.
Le chercheur dit connaître le nom du contingent ayant désobéi en Algérie et le nombre de soldats le composant, Yoro Diaw en faisant partie.
‘’Ils ont démissionné sous le drapeau français, malgré les avantages, pour rejoindre et construire l’armée sénégalaise moderne. Ces gens-là ne méritent-ils pas d’être honorés comme des citoyens modernes ?’’ s’est demandé Massamba Guèye.
‘’À partir de la mi-janvier, on va commencer la diffusion des podcasts. Ce sera sur l’ensemble des supports disponibles et avec toutes les radios communautaires et les radios nationales qui accepteront de les prendre, parce que nous allons les offrir gratuitement’’, a-t-il annoncé.
FKS/BK/AB/ESF

