Tambacounda : des femmes fistuleuses racontent le drame de leur quotidien
Tambacounda : des femmes fistuleuses racontent le drame de leur quotidien

SENEGAL-SANTE-RECIT

Par Ndèye Suzanne Sy

Tambacounda, 6 août (APS) – La fistule obstétricale continue d’affecter la vie de nombreuses femmes vivant dans certaines régions du Sénégal. La grande solitude de certaines d’entre elles abandonnées de leurs époux est l’un des grands drames de cette maladie.

À Koumpentoum ou Kidira, deux départements de la région de Tambacounda (est), de nombreuses femmes atteintes de fistule souffrent doublement de la maladie et de la solitude, leur désarroi se trouvant amplifié par le sentiment d’un complet abandon.

Selon les dernières statistiques du ministère de la Santé et de l’Action sociale, 200 cas de fistule sont enregistrés au Sénégal pour 100 000 naissances.

La pauvreté, les mariages précoces, les grossesses rapprochées et les accouchements à domicile non assistés par un personnel médical qualifié sont les principaux facteurs de risque de la fistule, surtout dans les régions où la santé maternelle ne fait pas l’objet d’un suivi permanent.

Aïssatou, une mère de famille venue pour des soins au centre de santé de Koumpentoum, dans la région de Tambacounda, témoigne avoir contracté la fistule des suites d’une fausse couche, un an après son mariage à l’âge de seize ans. Tombée enceinte de nouveau, un an plus tard, Aïssatou a été informée de son état par un médecin de l’hôpital de Tambacounda, qui a constaté qu’il ne lui était pas possible de retenir ses urines.

Elle a eu cinq autres enfants, malgré tout. Des ‘’sacrifices’’ qui n’ont pourtant pas empêché son mari de l’abandonner. ‘’J’ai bénéficié de l’aide des professionnels de la santé’’, ajoute Aïssatou, dont la famille lui a également tourné le dos.

‘’Je n’avais reçu aucun soutien, mon mari m’a abandonnée, ma belle-mère et ma belle-sœur m’ont reniée. Face à cette situation, mon oncle a voulu rompre le mariage au regard de l’humiliation que ma belle-famille m’a fait subir’’, raconte-t-elle.

La volonté de guérir à tout prix

Décidée à ne pas se laisser faire, Aïssatou entreprend le tour du pays pour se soigner, se rendant notamment à Dakar avec l’aide d’une bienfaitrice décidée à lui offrir une chirurgie réparatrice. Mais les soins étaient très coûteux.

‘’Je ne me suis pas découragée puisque je me suis rendue trois fois à Kédougou sans bénéficier de soins. Après cet épisode, j’ai été informée de la tenue d’un camp de chirurgie à Kolda, où j’ai été opérée et prise en charge gratuitement’’, témoigne-t-elle.

‘’Je suis désormais guérie même si j’ai perdu énormément de poids’’, confie-t-elle à un groupe de journalistes participant à une caravane de presse sur la santé de la reproduction, de la mère, de l’adolescent, du nouveau-né et de la nutrition.

Par son témoignage, elle espère inviter d’autres femmes à redoubler de courage, à faire confiance à la médecine et à ses progrès, pour venir à bout de leur situation. ‘’Je veux que mon histoire serve à quelque chose, que les femmes sachent qu’il existe des solutions et que la fistule n’est pas une fatalité’’, lance-t-elle.

Contrairement à Aïssatou, Ramata Niang, une habitante de Kotiari, une localité située dans le département de Kidira, a pu bénéficier de l’aide de sa famille pour vaincre la fistule.

‘’Cela fait plus de quatre ans que j’ai contracté la maladie, alors que j’étais enceinte. J’ai eu trois enfants et je n’ai jamais accouché à l’hôpital. Mon troisième accouchement s’était très mal passé. Quelques jours plus tard, j’ai constaté que mes parois vaginales et rectales communiquaient. C’était très difficile et gênant. J’en ai souffert’’, se souvient-elle.

Ramata s’est rendue plusieurs fois à l’hôpital, ‘’mais le problème persistait’’. ‘’Je n’avais pas les moyen de me faire opérer. Ma mère a vendu tous ses biens pour que je puisse assurer mes soins’’, dit-elle. Mais cela n’a pas suffi à la guérir  de la maladie.

Décidée à s’en sortir, avec l’aide de sa mère, Ramata refuse de baisser les bras. Elle multiplie les démarches jusqu’à rencontrer une sage-femme qui va la conduire chez des chirurgiens venus à Tambacounda pour des opérations de chirurgie réparatrice. Mais là aussi elle n’a pas été prise en charge.

‘’Revenir avec mon mari qui m’a abandonnée’’

Et c’est finalement d’autres médecins bénévoles, en mission dans la région, qui vont la soigner. ‘’Au début, mon mari assurait mes frais de déplacement et mes soins à l’hôpital. Face au coût élevé de la prise en charge, il m’a abandonnée. C’est ainsi que ma mère a pris la relève en nous accueillant chez elle, mes trois enfants et moi’’, explique la jeune dame.

Bien que son mari lui ait tourné le dos dans les moments les plus délicats de sa vie, Ramata Niang, désormais guérie et assurant se sentir bien, souhaite aujourd’hui retourner chez son époux. ‘’C’est cela mon souhait. Il m’a abandonnée, il ne m’a pas répudiée’’, justifie-t-elle.

Reste l’impact physique et psychologique de la fistule. ‘’La maladie m’a épuisée. Pendant deux ans, j’ai vécu dans la douleur et l’isolement. Je ne pouvais plus contrôler mes besoins, toutes mes sécrétions passaient par un même endroit. C’était une situation très complexe, gênante, difficile à vivre’’, confie-t-elle.

Outre le souhait de retrouver le domicile conjugal, Ramata Niang a l’ambition de s’engager dans le commerce pour prendre en charge ses enfants et venir en aide à sa mère. Histoire de rendre un peu de ce que cette dernière lui a donné pendant sa maladie

Le récit de Ramata et celui d’Aïssatou lèvent un coin du voile sur le drame que vivent au quotidien les femmes atteintes de la fistule. La plupart ne sont pas autonomes financièrement. Une situation qui aggrave leur cas déjà très difficile.

Heureusement que la prise en charge de la fistule obstétricale est devenue gratuite, grâce à un partenariat noué par le ministère de la Santé et de l’Action sociale et le Fonds des Nations unies pour la population.

NSS/BK/ADL/ADC/ESF