Sokhna Kâ, la détermination de réussir contre le handicap
Sokhna Kâ, la détermination de réussir contre le handicap

SENEGAL-EDUCATION-PROFIL

Dakar, 5 oct (APS) – Née avec une infirmité motrice cérébrale, Sokhna Ka, 29 ans, est parvenue à faire des études supérieures et de s’insérer professionnellement, refusant jusqu’au bout de laisser le handicap déterminer sa vie.

Du centre Talibou Dabo où elle a fait ses humanités au bureau de l’UNICEF, à Dakar, où elle travaille en tant que volontaire des Nations unies, Sokhna est présentée comme un symbole vivant des bienfaits de l’inclusion dans le système éducatif sénégalais.

Vêtue ce jour-là d’une robe patchwork aux couleurs vives, modèle ‘’Baye Fall’’ Sokhna Ka raconte avec enthousiasme son parcours, installée confortablement dans un fauteuil du salon du domicile familial, à la zone B, un quartier semi-résidentiel de Dakar.

Son handicap physique est visible mais la joie de vivre se reflétant sur le visage rayonnant de la jeune femme l’emporte sur toute autre chose.

‘’Je suis née avec une infirmité motrice cérébrale. Au début, je ne pouvais pas m’asseoir, ni parler, ni écrire, ni faire rien du tout’’, explique-t-elle d’emblée.

Celle qui a fait son cursus préscolaire et élémentaire au centre Talibou Dabo, avant de rejoindre le lycée John Fitzgerald Kennedy, où elle a décroché son baccalauréat en série L2, a plus tard rejoint l’Institut africain de management (IAM).

Elle y a obtenu un master en gestion des ressources humaines, au bout d’un cursus marqué par la résilience et la volonté de s’en sortir envers et contre tout.

‘’Durant tout mon parcours, je m’asseyais par terre pour écrire parce que je n’arrivais pas à m’asseoir sur une table pour effectuer certaines tâches. Je me sens plus à l’aise par terre que sur une table ou une chaise’’, se souvient-elle.

Signe de son manque d’autonomie, elle raconte avoir eu à faire face à d’énormes difficultés liées à l’écriture, dépendant même des autres déplacer, sans compter son besoin constant d’assistance.

‘’Ce sont mes condisciples qui m’aidaient par rapport à l’écriture, à mes besoins spécifiques. Cette période a été très difficile, mais je me suis toujours accrochée. Je me suis toujours dit que dans la vie, il faut toujours croire en soi pour atteindre ses objectifs’’, dit-elle.

Une situation que Pa Modou, son oncle, confirme non sans louer le courage et la détermination de sa nièce, qui n’a jamais eu d’accompagnants durant son cursus universitaire, malgré toutes sortes de difficultés liées à son handicap.

‘’Sokhna est une fierté pour la famille. Depuis son jeune âge, elle n’a jamais voulu laisser son handicap l’empêcher de poursuivre ses études ni ses rêves. Sur le plan scolaire, elle a fait preuve de persévérance et de rigueur, ce qui n’était pas évident vu les obstacles auxquels elle faisait face au quotidien’’, souligne-t-il.

Il présente la réussite scolaire et académique de sa nièce comme le fruit d’un long combat personnel de celle qui a souffert du regard de la société et de ses contraintes physiques.

 ”Ce qui la caractérise le plus, c’est sa force de caractère et son optimisme. Elle ne se plaint jamais, elle cherche toujours des solutions”, estime Pa Modou.

”C’est le manque de soutien qui rend les choses difficiles”

Sur la question de l’inclusion des personnes en situation de handicap, Sokhna Ka se veut catégorique: ”Je ne suis pas pour que l’on sépare les enfants en situation de handicap des autres enfants. Je me dis que nous sommes tous pareils”.

Elle estime simplement qu’il est nécessaire de former tous les enseignants dans le domaine de l’éducation inclusive et appelle les autorités à se servir du numérique et des technologies d’assistance pour mieux accompagner les élèves handicapés dans les écoles.

”Nous avons des outils numériques adaptés pour chaque type de handicap. Par exemple VoiceOver, un lecteur d’écran qui permet de convertir un texte en audio ou en braille, l’autobus E-Tracker, un dispositif permettant de contrôler les mouvements avec les yeux, la synthèse vocale, le sous-titrage automatique, etc.’’, détaille Sokhna.

Après avoir obtenu son master en gestion des ressources humaines à l’IAM, Sokhna est allée à l’assaut du milieu professionnel, armée de son courage et de sa détermination.

”Après l’obtention de mon diplôme, je suis allée à HI (handicap International) qui est devenu Humanité Inclusion, pour leur parler de mon cas, parce que j’éprouvais des problèmes pour trouver un emploi”, explique-t-elle.

L’organisation lui a offert un stage en administration-logistique durant huit mois, puis un autre stage au sein d’Eiffage Sénégal grâce au projet Emploi Handicap, ajoute-t-elle.

C’est l’UNICEF qui lui ouvre ensuite ses portes comme volontaire des Nations unies dans le domaine des ressources humaines.

 ”Actuellement, je suis volontaire des Nations unies à l’UNICEF. Cela se passe super bien dans le milieu professionnel parce que je me suis dit que le handicap n’est pas une fatalité. Mais c’est l’absence d’opportunité et de soutien qui rend les choses difficiles”, regrette-t-elle.

Marie Fall, assistante RH à Eiffage Sénégal, collègue de Sokhna lors de son stage, décrit la jeune femme comme une personne ”sociable et très endurante”.

”A première vue, j’ai eu des a priori. Je me suis demandé si elle pouvait supporter la charge de travail mais par la suite elle m’a agréablement surprise à travers sa force, son courage et sa volonté de bien faire”, témoigne-t-elle.

”Même à l’heure de la pause, poursuit Marie Fall, ou de la descente, quand je lui demande de faire un break, elle me répliquait souvent qu’il ne lui restait pas beaucoup de travail et qu’elle voulait finir d’abord”.

Sokhna Ka en défenseure de la cause des personnes handicapées.

Nesseim Rose Marie Bambassy, agente à la direction des ressources humaines du Bureau régional de l’UNICEF, abonde dans le même sens

”Le fait de côtoyer Sokhna nous a permis de savoir qu’il était bien possible de travailler avec une personne handicapée car elle est productive. Elle a su rapidement comprendre les textes et les procédures et elle nous a beaucoup aidés avec des propositions concrètes et initié des projets dans notre programme d’inclusion”, relève-t-elle.

De l’avis de tous, Sokhna Ka s’est très vite intégrée et n’a pas tarder à formuler des solutions pour être à l’aise dans son lieu de travail relativement à son handicap.

”Elle n’a pas eu du tout le complexe d’expliquer ce dont elle avait besoin. Elle continue de nous étonner par son professionnalisme, sa capacité d’écoute, ses ambitions personnelles et professionnelles”, explique Nesseim Bambassy,

Aissatou Ndiaye, qui travaille avec Sokhna dans la même section et collabore avec elle sur un projet qu’elle est en train de mettre en œuvre, ne dit pas autre chose.

”Sincèrement, elle m’a beaucoup marquée par son dévouement et son engagement. Elle n’est pas limitée par son handicap. Si je travaillais avec elle sans l’avoir vue physiquement, je n’aurais jamais pensé qu’elle était handicapée car elle est très motivée et très engagée sur les actions que nous menons ensemble dans ce projet’’, a-t-elle indiqué.

Très pragmatique, selon les dires de ses collègues, elle prend des initiatives, fait des recherches et propose des solutions concrètes.

Très dévouée pour la cause des personnes en situation de handicap en milieu professionnel, elle a pris l’initiative de partager avec ses collègues une présentation des différents types de handicap et l’appui spécifique que nécessite chaque handicap.

”Elle a proposé des solutions pratiques que toute organisation peut utiliser pour une stratégie d’inclusion des personnes handicapées. Sokhna nous a bluffés”, raconte sa collègue.

 ”Mon engagement est à la fois personnel, professionnel et citoyen. Mon ambition est claire: transformer mon vécu personnel en une force pour porter la voix de celles et ceux qui, trop souvent, restent invisibles”, confie-t-elle.

Sokhna déclare vouloir travailler à faire entendre la voix des personnes handicapées à travers un projet de podcast inclusif qu’elle compte lancer d’ici deux mois.

L’objectif est de donner la parole aux personnes handicapées, de partager leurs expériences, leurs réussites, mais aussi leurs défis, afin de déconstruire les préjugés et de promouvoir une société plus inclusive, fait-elle savoir.

En parallèle, son parcours professionnel et politique s’oriente toujours vers l’inclusion.

Sokhna, exemple de résilience, de persévérance et d’abnégation, défend l’accès à l’éducation, à l’emploi et aux droits pour toutes les personnes handicapées.

Elle porte également un projet d’entreprise inclusive et envisage de soutenir un doctorat sur l’inclusion afin d’apporter une expertise académique à ses actions

AFD/ADL/BK/SBS