SENEGAL-COLLECTIVITES-AMENAGEMENT
Dakar, 16 sept (APS) – L’aménagement non planifié d’une bonne partie de Thiaroye-sur-mer fait que cette commune d’arrondissement dakaroise est plus vulnérable que jamais aux inondations, sans compter son exposition continue à l’avancée de la mer. Les autorités, prenant la mesure du problème, ont mis sur la table l’option de la restructuration comme seule solution viable à terme.
Située sur la baie de Hann, la commune d’arrondissement de Thiaroye-sur-mer compte 41 quartiers majoritairement non lotis et près de 72 000 habitants.
Installée dans une grande cuvette, elle se trouve limitée au nord par la Route nationale 1, au sud par l’océan Atlantique, à l’est par la commune de Diamaguène Sicap Mbao et à l’ouest par celle de Dalifort.
Elle se présente comme une excroissance de Thiaroye village, une zone majoritairement habitée par des pêcheurs, parsemée de ruelles et de maisons plus traditionnelles que modernes. L’accès difficile des camions de ramassage d’ordures ménagères dans ce dédalle de ruelles a transformé la plage de Thiaroye Azur en un immense dépotoir d’ordures à ciel ouvert.
Pour ne rien arranger, Thiaroye-sur-mer, comme bien d’autres sites du trajet de la baie de Hann, se trouve sous la menace de l’avancée de la mer, qui grignote un peu plus chaque année sur la plage et les habitations, contribuant à amplifier les problèmes.
Les populations, exposées partout au danger, réclament une restructuration urbaine similaire à celle de Hann-Village et Petit Mbao, deux quartiers ayant bénéficié des retombées du Projet d’assainissement et de restructuration urbaine (PARU) financé par l’Union Européenne avec une contrepartie de l’Etat du Sénégal.
Thiaroye-sur-mer, une collectivité territoriale confrontée aux mêmes difficultés, n’a pas bénéficié de ce projet, un constat qui suscite une certaine incompréhension de ses habitants, des jeunes en particulier.
Ils avaient manifesté leur colère à ce sujet, le lundi 23 juin 2025, en barrant la route nationale et en incendiant des pneus sur les deux voies, bloquant momentanément la circulation.
C’est que la commune d’arrondissement de Thiaroye-sur-mer se sent cernée de tous bords par les problèmes, les inondations certes, mais aussi l’avancée de la mer, une menace diffuse, un fantôme qui rôde.
Elle assiste d’année en année, presque impuissante, à un recul du trait de côte, un phénomène accentué par la montée du niveau de l’océan Atlantique.
La dernière houle subversive enregistrée durant la nuit du 10 au 12 août 2025 sur le littoral de Thiaroye-sur-mer avait causé d’importants dégâts sur certaines habitations et embarcations. Une parfaite illustration de sa vulnérabilité.
Des eaux pluviales avaient envahi le cimetière musulman de Thiaroye-Village, quelques jours plus tard, le 16 précisément.
Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, en déplacement à Thiaroye pour apporter réconfort et soutien aux habitants, a pris l’engagement de restructurer Thiaroye-sur-mer en vue de lutter durablement contre les inondations et l’avancée de la mer grâce à l’érection de digues de protection.
Le chef de l’Etat a fait cette promesse en présence du ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, Cheikh Tidiane Dièye, des autorités administratives de Dakar, du maire El Hadj Mamadou Ndiaye. Il y avait aussi des notables et des autorités coutumières.
— Le financement, premier écueil —
Dans la foulée de cette annonce, le Premier ministre Ousmane Sonko a présidé une réunion d’installation officielle du comité de restructuration de Thiaroye-sur-mer.
Ce comité comprend plusieurs parties prenantes dont la mairie de Thiaroye-sur-mer, la Direction générale de l’urbanisme et de l’architecture (DGUA) et la Fondation Droit à la Ville (FDV).
Mais derrière cette volonté réaffirmée des pouvoirs publics, certains acteurs attendent de voir, s’agissant du démarrage effectif du projet, compte tenu d’un possible manque d’intérêt des partenaires au développement pour ce programme, associé aux difficultés de trésorerie de l’Etat du Sénégal.
Elu maire de Thiaroye-sur-mer en janvier 2022, pour un premier mandat de cinq ans, El Hadj Mamadou Ndiaye soutient que “la principale difficulté” de la restructuration de Thiaroye demeure la question du financement, “au regard de la situation financière du pays”.
L’Etat s’est orienté vers la recherche de partenaires avec l’aide de la Fondation Droit à la Ville, mais il lui revient, dans tous les cas, de prendre en charge le financement de cette restructuration même sans appui extérieur, selon l’édile.
“La restructuration de Thiaroye a atteint un point de non-retour, c’est un acquis. Des études estimatives ont été faites par l’ancien régime. L’Etat a investi de l’argent” dans ce projet, mais “il reste à trouver le financement et la validation du plan de restructuration”, a expliqué El Hadj Mamadou Ndiaye.
L’édile considère la restructuration de Thiaroye-sur-mer comme “une urgence”, qui permettra à cette commune d’arrondissement de “disposer de certaines infrastructures sociales de base, de moderniser sa voirie urbaine, de faire en sorte que la commune devienne une ville moderne”.
“La solution aux problèmes infrastructurels et d’assainissement de la commune demeure la restructuration urbaine. Cette initiative va régler l’étroitesse des voies d’accès à la plage et permettra de développer un système d’assainissement”, a-t-il souligné.
Sans cette restructuration, prévient l’édile, les populations vont continuer à déverser les ordures sur la plage et à faire de la baie un dépotoir. “Ce qui risque d’entraver fortement la réussite d’un autre programme dans la zone”, à savoir le Projet de dépollution de la baie de Hann, a-t-il relevé.
Il a rappelé qu’au cours des deux dernières années, la commune d’arrondissement a essayé de lutter de diverses manières contre les inondations, par le biais par exemple de solutions consistant à mettre certains points bas hors de portée des eaux.
Parmi ces points vulnérables de la commune, il a cité le cimetière de Thiaroye, régulièrement inondé pendant la saison des pluies, et la zone dite “Bayaal Ba”. Du côté du quartier Thiaroye Azur, la nappe affleurante fait que les eaux pluviales continuent de stagner trois mois après l’hivernage, a ajouté l’édile.
Dans ce contexte, la restructuration vise à “rétablir” l’équilibre environnemental pour alléger les souffrances des populations.
Il a précisé que la restructuration ne concerne pas tous les quartiers, seulement la zone historique de Thiaroye Village.
Des sites de recasement ont été identifiés dans la commune de Thiaroye-sur-mer pour permettre aux populations de garder leurs liens avec leur terroir. Certains impactés seront déplacés, d’autres seront dédommagés et resteront sur place en fonction des emprises, a indiqué l’édile.

En attendant la finalisation des études de faisabilité, la commune gère le problème des inondations de “façon ponctuelle”, avec les moyens disponibles pour alléger les souffrances des populations.
Elle procède dans ce sens à un reprofilage des rues de quartier pour faciliter le ruissèlement des eaux pluviales. “Des équipes techniques sont déployées ensuite sur le terrain avec un dispositif de motopompes”, a indiqué le maire.
Il a salué “l’engagement ferme” du président de la République, Bassirou Diomaye Faye, pour la réalisation du projet de restructuration de Thiaroye-sur-mer.
“Nous attendons de lui la signature du décret d’utilité publique de la zone de restructuration pour éviter toute transaction sur les sites de recasement”, a-t-il ajouté.
Concernant la protection côtière, il invite l’Etat à mettre en œuvre des moyens appropriés pour stopper l’avancée de la mer.
Selon lui, “26 quartiers côtiers de la commune sont impactés par l’avancée de la mer, un processus qui ne cesse de s’accélérer avec un recul extraordinaire du trait de côte au cours de ces dernières années”.
Cette situation constitue une menace pour les habitations situées sur le littoral et le parc piroguier.
“Nous plaidons à cet effet pour l’érection d’un parc piroguier afin de protéger ces équipements de la houle”, a-t-il dit dans un message adressé aux pouvoirs publics.
Sur cette question, le président Faye avait annoncé à Thiaroye l’érection de digues de protection avec l’aide du ministère de l’Environnement et de la Transformation écologique.
Selon le directeur de l’Aménagement urbain et de la Restructuration au ministère de l’Urbanisme, Momar Ndiaye, membre du comité de restructuration de Thiaroye-sur-mer, “le recasement des impactés se fera dans la commune sur trois sites de titres fonciers privés de 6 hectares”.

La zone de restructuration qui s’étend sur 124 hectares va impacter 511 concessions, a ajouté M. Ndiaye, également agent à la Direction générale de l’urbanisme et de l’architecture (DGUA).
“Ces assiettes sont évaluées à deux milliards de francs CFA en attendant le dernier mot du gouverneur de la région de Dakar”, a-t-il précisé, citant une étude estimative selon laquelle la restructuration de Thiaroye-sur-mer devrait coûter entre 16 et 20 milliards de francs CFA.
Si l’on en croit l’ingénieur de conception en génie civil Silman Sy, directeur technique de la Fondation Droit à la Ville (FDV), la restructuration de Thiaroye-sur-mer va se faire sur la base des expériences tirées du Projet d’assainissement et de restructuration urbaine (PARU) des quartiers de Hann-Village et Petit Mbao.
Il a rappelé que ce projet dont l’objectif est de réaliser des ouvrages contre l’avancée de la mer à Mbao à Hann Bel-Air en passant par Thiaroye-sur-mer, dispose d’un volet de protection côtière.
Silman Sy, formé à l’Ecole polytechnique de Thiès d’où il est sorti en 2003, travaille depuis 2012 à la FDV, bras technique de l’Etat en matière de restructuration et de régularisation foncière.
Cette structure créée et reconnue d’utilité publique en 2000 et par l’Etat est rattachée au ministère de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement des Territoires.

Membre du nouveau comité de réflexion sur la restructuration, Silman Sy avait dirigé de bout en bout le processus de restructuration des quartiers Hann-Village et Petit Mbao.
Il est également intervenu sur d’autres opérations de restructuration de quartiers contre les inondations au Sénégal, notamment à Pikine Irrégulier sud (PIS), en banlieue dakaroise, au quartier Pikine de Saint-Louis, à Khouma, un quartier de la commune de Richard-Toll (nord), dans la région de Saint-Louis.
Il estime que de toutes ces restructurations urbaines, celle de Hann-Village est “le modèle de référence à dupliquer pour tous les quartiers vulnérables aux inondations, dont Thiaroye-sur-mer”.
Il a rappelé qu’à Hann-Village et Petit Mbao, les études de faisabilité de la restructuration ont révélé un système d’assainissement inadéquat portant atteinte à l’environnement et affectant la santé des populations.
Elles ont aussi révélé une absence de réseau d’évacuation des eaux pluviales rendant les quartiers vulnérables aux inondations, en même temps qu’une insécurité foncière liée à l’occupation irrégulière et à l’absence de titres formels.
“L’étroitesse des rues ou l’absence de voirie rendant difficile l’évacuation des ordures ménagères, l’insuffisance de l’éclairage public, la pauvreté des ménages aux revenus assez faibles figurent aussi parmi les problèmes décelés à Hann-Village et Petit Mbao”, a-t-il dit.
— La restructuration de Hann-Village, un modèle à dupliquer —
“La finalité de la restructuration urbaine d’un quartier vise principalement à lutter contre les inondations et l’insalubrité. C’est un exercice visant à élargir les rues, à réaménager une zone ciblée, en déplaçant les habitations et infrastructures qui obstruent les voiries et voies d’évacuation naturelles des eaux pluviales vers un site de recasement. Le projet est circonscrit par un décret d’utilité publique”, a expliqué le technicien.
La restructuration d’un quartier nécessite également un site de recasement des impactés et s’inscrit dans un long processus participatif qui démarre par des assemblées générales d’information, suivis d’ateliers de planification participative lors desquels les populations définissent les types d’infrastructures sociales de base voulues et leur emplacement sur la zone de restructuration.
Toutes ces informations collectées vont constituer la base technique de travail à partir de laquelle des emprises sont identifiées avec les constructions qui seront entièrement ou partiellement démolies sur la zone de restructuration, a poursuivi Silman Sy.

Cette démarche inclusive permet l’élaboration d’un plan de restructuration qui est la base des études techniques et des travaux prévus.
”On n’a une idée claire du coût estimatif qu’après la réalisation des études socio-économiques techniques, de faisabilité et d’impact environnemental”, a-t-il dit, citant le cas de Hann-Village, où la zone de restructuration s’étendait sur 90 hectares pour une cible de 38 000 habitants, contre 32 hectares à Petit Mbao pour 8 000 habitants.
L’Union européenne a déboursé un financement de 11,4 milliards francs CFA pour la restructuration de Hann-Village et Petit Mbao, en partenariat avec le ministère de l’Urbanisme et la Fondation Droit à la Ville (FDV).
Ces projets jugés très couteux pour l’Etat nécessitent l’accompagnement de partenaires, comme dans le cas de Hann-Village et Petit Mbao.
Le projet de restructuration de Hann-Village, ficelé en 1996 avec une extension sur Petit Mbao en 2012 n’a démarré effectivement qu’en 2014, grâce à ce financement de l’UE et une contrepartie financière de 1,4 milliards de francs CFA de l’Etat du Sénégal pour le paiement des impenses. Le modèle de restructuration de référence de Hann-Village a impacté 289 constructions..
“Ce modèle de restructuration complet a permis d’élargir les voies de Hann-Village, de réaliser des infrastructures sociales de base, un réseau d’assainissement de drainage des eaux pluviales à la surface, une voirie en pavés, un réseau d’assainissement des eaux usées avec deux stations de pompage raccordées à des installations intérieures de 1 683 maisons et édifices publics, un réseau d’adduction d’eau potable long de 11 432 mètres linéaires et huit poteaux d’incendie”, a-t-il détaillé.
Cette restructuration a également pris en compte l’installation d’un réseau d’électrification et d’éclairage public et d’un réseau de téléphonie, a-t-il signalé, ajoutant que 1 000 arbres ont été aussi plantés et 82 bancs publics réalisés.
Un plateau multifonctionnel et un terrain de football ont été également aménagés dans la zone de recasement mise à disposition par l’Etat du Sénégal.
Se disant fier de son ”bébé”, l’ingénieur de conception en génie civil fait observer que la nouvelle configuration urbaine de Hann-Village se caractérise par un habitat rénové. Le résultat, c’est que “les inondations sont devenues un mauvais souvenir dans ce quartier depuis fin 2020”, sans compter que des activités génératrices de revenus ont pu être développées tout au long des artères élargis.
Silman Sy assure que le nouveau programme de restructuration de Thiaroye-sur-mer en gestation ne fera pas moins en termes de réalisations que le projet de restructuration de Hann-Village.
— Des étapes cruciales à franchir pour Thiaroye-sur-mer —
Les études de faisabilité et le processus de restructuration de Thiaroye-sur-mer se feront en tenant compte des expériences et limites connues à Hann-Village, d’après M. Sy.
Il estime par ailleurs que le Projet d’assainissement et de restructuration urbaine (PARU) des quartiers de Hann-Village et Petit Mbao est complémentaire du Projet de dépollution de la baie de Hann (PDBH), piloté par l’Office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS).
D’un montant global de 117 milliards de francs CFA, ce projet est une initiative visant à réduire les risques sanitaires et environnementaux associés et d’améliorer le cadre de vie de plus de 500 000 personnes dans les communes de Hann Bel-Air, Dalifort, Thiaroye-sur-mer, Mbao, Guinaw Rail Sud, Guinaw Rail Nord, ainsi que dans la zone du Port Autonome de Dakar.
Il comprend la construction d’une station de traitement des eaux usées d’une capacité de 25 000 m³ par jour. La mise en service globale des différents ouvrages est prévue au plus tard début 2026.
Le projet de dépollution de la baie de Hann bénéficie du soutien de plusieurs partenaires financiers et techniques avec une contribution du Sénégal à hauteur de 2 % du coût global.
“La restructuration de Hann-Village et Petit Mbao est complémentaire du Projet de dépollution de la baie de Hann dans la mesure où son objectif est d’assainir la Baie de Hann”, a-t-il souligné, expliquant que le problème d’accès des camions de collecte d’ordures à la plage de Hann-Village a été résolu grâce à la restructuration urbaine de ce village traditionnel de pêcheurs.
Avant cela, les populations jetaient les ordures ménagères sur la plage, entrainant une grande pollution de la baie de Hann.
”Sur ce point, on peut dire que la restructuration des communes de la baie de Hann contribue à sa dépollution”, a-t-il insisté, se félicitant du fait que le projet de restructuration de Thiaroye-sur-mer soit bien avancé grâce à l’implication des pouvoirs publics.
Toutefois, il reste encore des étapes à franchir dont la signature du décret d’utilité publique (DUP) par le chef de l’Etat, ou encore le rachat des assiettes foncières de recasement.
Le DUP permet l’expropriation de tous les propriétaires de titres fonciers dans la zone de restructuration. Il facilite aussi l’opérationnalisation de la restructuration sans difficulté sur le terrain.
La restructuration urbaine n’est pas destinée à la lutte contre l’avancée de la mer mais à faire face à l’inondation entre autres. Elle est organisée au Sénégal sur la base d’un décret datant de 1991. Toutefois, la combinaison restructuration et protection côtière pourra être une solution définitive pour Thiaroye-sur-mer.

AB/SKS/BK/ABB

