Production de riz : les femmes au cœur du RIZAO
Production de riz : les femmes au cœur du RIZAO

SENEGAL-AGRICULTURE-GENRE

Saint-Louis, 4 déc (APS) – Dans la vallée du fleuve Sénégal, zone rizicole par excellence, la production de cette céréale est aussi l’œuvre des femmes, armées de volonté, mais pouvant compter sur des initiatives telles que le projet RIZAO (Riz pour l’Afrique de l’Ouest), qui a placé les femmes, les jeunes et les personnes en situation de handicap au cœur de ses interventions.

A Pont Gendarme, localité située à près de 40 km de Saint-Louis, sur la Route nationale numéro 2, le magasin des femmes du GIE Khar Yallah Guèye Diop est bien connu des voyageurs.

Souvent, ils s’y arrêtent le temps d’acheter du riz produit dans la vallée du fleuve Sénégal, l’activité principale de ce groupement de 143 membres et qui a fait bien du chemin depuis sa création en 2008.

“Au début, nous conservions le riz dans des fûts. Le riz était étalé à même le sol. Aujourd’hui, nous disposons d’un magasin. Le riz est mis en sac et vendu. Donc, c’est un énorme progrès pour nous”, souligne la présidente du GIE, Saoudiatou Guèye.

Le GIE est passé de 25 membres à sa création à 143 actuellement. Tous des femmes dont de nombreux jeunes. Sa principale activité : la production et la vente de riz.

“Nous avons notre production à travers nos parcelles. Nous avons aussi une partie que nous achetons aux autres producteurs”, explique Mme Guèye à une équipe de journalistes en reportage sur la filière riz dans le cadre du projet RIZAO (Riz pour l’Afrique de l’Ouest), initié par la Fondation MasterCard et mis en œuvre par Africa Rice – le Centre du riz pour l’Afrique – et d’autres structures.

Dans son magasin, le GIE dispose d’une petite unité de décorticage. Une fois le riz décortiqué, les femmes mettent en œuvre tout leur savoir-faire avec leurs mains pour le rendre propre.

Durant cette phase, il faut tamiser, séparer les graines et les brisures, nettoyer et mettre le riz dans les sacs de différents poids. Un travail fastidieux dont la finalité est de proposer “un produit de qualité aux consommateurs”.

“Nous mettons toute notre énergie à proposer un riz de qualité aux clients. Nous avons des commandes à honorer. Des voyageurs s’arrêtent devant le magasin également pour acheter. Nous parvenons à subvenir à nos besoins, payons les frais de scolarité de nos enfants. Nous sommes membres de tontines. On peut prétendre à des prêts grâce à notre activité. Dieu merci, on s’en sort”, déclare la présidente, soulignant que le GIE fait travailler beaucoup de jeunes de la localité.

Saoudiatou Guèye voit l’avenir en grand avec l’avènement du projet RIZAO (Riz pour l’Afrique de l’Ouest) dont les femmes sont une composante essentielle. ”On espère beaucoup de ce nouveau projet qui prend en considération les femmes. On nourrit de grandes ambitions dans le cadre de notre activité et cela requiert des moyens”, dit-elle.

Production de riz : les femmes au cœur du RIZAO

 70 % de femmes et de jeunes

Le projet RIZAO est conduit par AfricaRice, en tant que “Lead-Aggregateur”, en coordination avec différents partenaires de mise en œuvre.

Il veut contribuer à revitaliser la filière rizicole en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Togo et au Bénin, tout en mettant un accent particulier sur la création d’emplois pour les jeunes femmes.

Son objectif : atteindre 2 205 000 personnes financièrement défavorisées dans le secteur du riz et contribuer à la création de 441 000 emplois (dont 70 % de jeunes et de femmes) sur la période 2024-2029.

Il repose sur 6 piliers intégrés, dont le soutien aux entreprises de semences dirigées par des jeunes, l’autonomisation des jeunes petits exploitants agricoles et la stimulation de la création d’emplois par le biais d’entreprises de transformation. S’y ajoutent l’accès au marché pour la réduction de la pauvreté, la promotion du riz local et la création d’un cadre juridique et institutionnel favorable.

L’objectif de la Fondation est de permettre à 6,2 millions de jeunes, dont 70 % de femmes, d’accéder à un travail digne et épanouissant au Sénégal et dans d’autres pays de l’UEMOA d’ici 2030.

La stratégie est de mettre en place des champions régionaux de l’agro-industrialisation par le développement de clusters industriels autour de chaînes de valeur prioritaires et d’autonomiser les petits exploitants agricoles et les coopératives grâce à la modernisation, à la digitalisation.

Elle consiste aussi à renforcer les agro-industries et les agro-transformateurs grâce à l’accès au financement, à des capacités améliorées et à l’accès au marché, tout en contribuant à améliorer leur accès au marché grâce à l’intégration régionale. 

A l’instar des femmes du GIE “Khar Yallah Guèye Diop”, la présidente de Sina Rice, une entreprise engagée dans la production et la transformation du riz de la vallée à Saint Louis, salue l’avènement de ce nouveau projet.

Au quartier de Médine Courses, à Saint-Louis, une maison de couleur marron, de niveau R +1, comme les autres. Pas de panneau, ni affiche, rien qui indique que ces lieux conservent une matière première très prisée.

C’est ici que Ndèye Sine Touré Faye entrepose son riz Basmati, un produit qu’elle exhibe fièrement aux visiteurs. “J’occupe toute la maison. Elle fait office de magasin et de bureau aussi”, dit-elle. 

Ndèye Sine Touré Faye cultive dans ses parcelles une variété de cycle court, à haut rendement et adaptée aux bas-fonds irrigués, tolérante à la salinité.

Et pourtant, cette ancienne agente de la SAED et le riz local n’ont pas tout le temps fait bon ménage. “J’étais agent de la SAED. Je ne travaillais pas sur le riz, dans un autre secteur. Je ne mangeais pas le riz de la vallée. Sa cuisson n’était pas facile. Cela prenait du temps. Et quand la cuisson est finie, une fois que le riz refroidit, tu ne peux pas le manger du tout. Donc, j’étais obligée de me rabattre sur le riz basmati importé ou bien le riz parfumé”, raconte-t-elle.

Production de riz : les femmes au cœur du RIZAO

                                                                                                                  Homogénéité variétale

Un jour, une personne vient lui apporter plusieurs variétés de riz qu’elle teste. Elle trouve que l’une d’elles avait de l’arôme et était facile à cuisiner.

Depuis, elle a décidé d’adopter cette variété, fruit de la recherche locale et homologuée par l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA).

Plus qu’une consommatrice, Mme Faye décide de se lancer dans la production en montant sa petite entreprise en 2018.

Pour trouver les champs de la société Sina Distribution, il faut se rendre au village de Colona, commune de Ronkh, dans le département de Dagana.

Ici, elle exploite entre 70 et 80 hectares surveillés par deux ouvriers agricoles.

Sina Faye travaille en collaboration avec Africa Rice pour le volet semences, un aspect très important, selon elle.

”On fait un travail sur l’homogénéité variétale. C’est-à-dire chaque parcelle avec une variété, et à la récolte, on récolte seulement cette variété-là”, explique-t-elle.

Dans le cadre de son activité, Mme Faye revendique 10 emplois directs et une soixantaine d’emplois indirects.

Arame Mbaye fait partie de ces employés saisonniers. Ce matin, elle et ses amies ont quitté le village de Mbagam, situé dans la commune de Rosso, à bord d’un tricycle transformé en moyen de transport de personnes.

Avec l’avènement du projet RIZAO, la productrice veut aller encore plus loin. “Avec RIZAO, on pourra augmenter la surface cultivée. Parce qu’il y a beaucoup de jeunes aujourd’hui qui ont entre 18 mois et moins de 35 ans qui veulent intégrer ce que nous faisons”, dit-elle.

Mme Faye insiste beaucoup sur l’accès aux semences pré-base. Il faudra renforcer les structures de recherche, les renforcer avec la production de semences, qu’on ait assez de pré-base et qu’on forme les producteurs aussi. Parce que tout ça, ce sont des problématiques”, souligne-t-elle.

Ndèye Sina Touré Faye confie que la demande de riz basmati excède sa production, preuve que le produit est bien apprécié par les consommateurs.  “Le basmati était un mythe au Sénégal. Les Sénégalais savent que maintenant, ils peuvent compter sur le riz de la vallée et éviter d’en importer […]”.

“Les Sénégalais ont commencé à l’apprécier […], a-t-elle poursuivi, parce qu’on répond à leurs critères de consommation. Chaque pays a des critères de consommation. Nous, au Sénégal, on sait qu’on veut un riz doux, facile à cuisiner, très riche, etc. Et c’est ce que nous avons là aujourd’hui”.

                                                                                                                   Inclusion sociale

La présidente de Sina Distribution estime qu’il faut continuer dans ce sillage. De cette manière, “d’ici quelques années, on n’aura plus à importer du riz et on pourra quand même nourrir tous les Sénégalais avec ce riz Basmati et les autres variétés”.

Toutefois, elle déplore le problème de l’accès à la terre. “Il y a beaucoup de terres qui sont là, mais les femmes n’y ont pas accès. Il faut que les structures de recherche, les structures de base, d’aide, d’appui qui sont là, entendent ce message-là et fassent de telle sorte que tous ces jeunes, toutes ces dames-là puissent avoir accès à la terre”, plaide-t-elle.

Sociologue de formation, Maimouna Ndour est en charge de l’inclusion sociale et du handicap dans le projet RIZAO. Selon elle, “les femmes, les jeunes, les personnes en situation de handicap, les déplacées, les réfugiés, etc., sont au cœur de ce projet”.

“Même hors contexte agriculture, quand on parle de pourcentage de femmes au Sénégal, c’est légèrement au-dessus de la moyenne. Dès que c’est au-dessus de la moyenne, ça mérite un regard particulier. Quand on parle de 52% de la population, c’est une couche avec laquelle forcément il faut compter”, estime-t-elle.

Elle ajoute que “quand on déplace ces chiffres-là au niveau du monde rural, c’est encore plus précis. Donc, si logiquement on parle d’atteinte de l’autosuffisance, on ne peut pas parler sans cette couche prépondérante. On parle de logique”.

Avec l’avènement de RIZAO, il y a “un renversement de situation qui était plus que nécessaire”, souligne-t-elle. “Il n’y a pas encore cinq ans, on parlait de 30% de femmes dans les programmes, et c’était considéré comme un grand progrès. Dans tous les programmes, vous verrez au moins 30% de femmes participantes, bénéficiaires, etc.”, rappelle Maimouna Ndour.

Production de riz : les femmes au cœur du RIZAO

“Dans le cadre de ce projet, on parle de 70% de participantes, de bénéficiaires ou de cibles. Au terme des cinq ans et demi du projet, le bailleur va demander où sont mes 70% de femmes ? Même si on nous demande 441.000 emplois, même si on réalise 500.000 emplois, avec 50% de femmes, de jeunes femmes entre 18 et 35 ans, le bailleur ne sera pas content. Ce qui l’intéresse, ce sont les 70%, pour vous dire l’importance que le bailleur accorde à cette couche sociale”, insiste Mme Ndour.

La sociologue considère que ce projet devrait contribuer à autonomiser les femmes et à renforcer leurs positions dans la sphère rizicole avec des emplois “dignes et valorisants”.

“Celles qui ont déjà des emplois dans le secteur, dans la filière, dans tous les maillons, vont essayez de voir comment pérenniser cette activité. La rendre plus rentable. Maintenant, celles qui gravitent autour, qui ont envie d’intégrer la filière, mais qui ne voient pas d’opportunités se présenter, on va leur dire que voilà un projet qui est là, qui va ouvrir les portes à travers les agro-industriels, qui vont passer par les producteurs. Ces derniers vont recruter. Parce que si on augmente les capacités de production, on augmente la demande d’emplois”, explique-t-elle.

Le projet cible également 5% de personnes en situation de handicap et des personnes déplacées ou réfugiées.

Maimouna Ndour indique qu’elle travaille en collaboration avec la Fédération nationale des associations de personnes handicapées.

“Donc on essaie de faire d’abord une cartographie, de répertorier dans les zones d’intervention les associations de personnes handicapées, d’entrer ensuite en contact avec elles, de discuter de leurs problèmes, de ce qu’on appelle les barrières à la participation. Parce que parfois c’est la société qui leur dit : ‘vous ne pouvez pas’, à travers un regard, une parole, une attitude”, avance-t-elle.

“Ils finissent par se dire, ‘on ne peut pas’. Nous, on essaie de travailler autour de ces barrières à la participation pour voir comment les lever, dire à ces personnes que ce projet aussi c’est pour vous”, explique-t-elle.

Les réfugiés, les déplacés de guerre sont également une cible prioritaire.

“Parfois, je ne parle même pas de détenir la terre, mais rien que pour accéder à la terre pour faire de l’agriculture, c’est un problème. Ces personnes peuvent vivre dans une localité pendant 20 ans, même une nouvelle génération peut naître là-bas. Elles ne seront jamais considérées comme des populations à part entière de cette localité”, a-t-elle expliqué.

“Donc, à travers ce projet, on essaie aussi de leur donner des opportunités d’améliorer leurs conditions de vie à travers des emplois dignes”, affirme Mme Ndour.

OID/SBS/BK