SENEGAL-POLITIQUE-REPORTAGE
Dakar, 27 oct (APS) – La perte du pouvoir, bien souvent synonyme de traversée du désert pour un certain personnel politique, se ressent aussi dans le manque d’animation et la splendeur perdue des permanences de partis qui ont été aux affaires. Un constat qui en dit long sur le pouvoir, sa conquête, son exercice et sa conservation, le sens et la finalité de la politique de manière générale.
Il y a quelques années, la Maison du Parti socialiste (PS) Léopold-Sédar-Senghor et la permanence Oumar-Lamine-Badji du Parti démocratique sénégalais (PDS) étaient rythmées par d’intenses activités politiques. Un bouillonnement et une effervescence qui témoignaient de la place centrale de ces deux formations dans la vie politique sénégalaise, entre 1960 et 2012.
Effervescence, convivialité, animation, énergie militante, franches rigolades et discours galvanisants régnaient dans les permanences des “frères” libéraux et des “camarades” socialistes.
Une morosité ambiante prévaut désormais en ces lieux. Autres temps, autres mœurs. Il est bien loin le temps où ces deux enceintes débordaient de monde et offraient aux passants et curieux une exposition de voitures les unes plus rutilantes que les autres.
Bâtie sur une superficie de 18 300 mètres carrés, la Maison du Parti socialiste est située à un jet de pierre du marché de Colobane et de la direction générale de la Caisse de sécurité sociale.
En cette fin de matinée estivale, la mythique permanence du PS, au pouvoir de 1960 à 2000, soit quarante ans, reflète la chaleur qui s’est emparée du Sénégal depuis quelques mois.
La canicule, impitoyable, amplifie le calme plat et le sentiment d’abandon qui se dégagent des lieux, comme le suggèrent les herbes sauvages tapissant la cour de l’enceinte, pendant que quatre hommes devisent tranquillement autour d’une théière à l’ombre d’un arbre.
À l’entrée, il faut slalomer pour éviter les eaux stagnantes, traces des dernières pluies, avant d’atteindre le bâtiment principal, en arpentant plusieurs marches, au milieu desquelles se trouve érigée une rampe en fer forgé, qui a connu des jours meilleurs.
Un homme d’un âge très avancé, silhouette frêle et habillé d’un gilet fluorescent, monte la garde devant ce bâtiment imposant peint en blanc et en vert, couleurs historiques du Parti socialiste. L’édifice, même entouré d’arbres et de fleurs, ne paie pas de mine et aurait besoin d’une cure de jouvence. Entre murs défraîchis, façades moisies, planchers poussiéreux et plafonds abritant de grosses toiles d’araignée, le bâtiment a perdu de son éclat. Un lavage à grande eau et un coup de peinture lui feraient un grand bien.
Des lieux déserts et calmes
La Maison du Parti socialiste Léopold-Sédar-Senghor abrite, au rez-de-chaussée, une salle de réunion annexe et plusieurs bureaux, en plus de compter aussi une salle de congrès baptisée le 15 juillet dernier du nom du précédent secrétaire général de la formation socialiste, Ousmane Tanor Dieng, décédé en 2019.
Les socialistes tiennent régulièrement leurs congrès dans cette salle dont la capacité d’accueil est de 2 500 places, où de si nombreux destins ont été tissés et des carrières défaites, suivant les rapports de force du moment au sein du parti.
‘’Depuis la mise en service de la Maison du Parti socialiste en 1969, tous les congrès se tiennent dans cette salle, les congrès ordinaires comme les congrès extraordinaires’’, confirme le secrétaire permanent du PS, Cheikh Sadibou Sèye.

Un amas de poussière recouvre désormais totalement le plancher de la salle des congrès. Ses nombreux sièges rouges et gris n’ont pas meilleure mine. Un signe de dégradation et de décrépitude que viennent effacer quelques images de l’histoire récente du parti.
Un portrait géant d’Ousmane Tanor Dieng, défunt secrétaire général du PS, trône fièrement au-dessus du présidium. Elle domine d’autres clichés du natif de Nguéniène (ouest), aux côtés des anciens présidents Abdou Diouf et Macky Sall.
Le bureau du secrétaire général, le secrétariat permanent, la permanence des jeunes et celle des femmes sont tous logés au premier étage de ce bâtiment, la bibliothèque et le centre de documentation, mémoire vivante du parti, se trouvant à l’étage supérieur, au deuxième niveau.
Les locaux de l’école du parti, lieu de formation idéologique et politique des militants, est également situé au même niveau, selon le secrétaire permanent du PS.
Derrière cet édifice imposant, sur la même surface, un bâtiment annexe abrite la salle du bureau politique baptisée Lamine Guèye, et celle du comité central, qui porte le nom de Léopold Sédar Senghor.
Selon le secrétaire permanent du PS, les socialistes ont voulu, de cette manière, rendre hommage au président Senghor pour l’initiative qu’il a eue, en 1967, de bâtir ce siège pour le parti qu’il a fondé.
‘’Il faut souligner qu’en 2000, si nous n’avions pas ce siège, nous aurions certainement disparu’’, a fait valoir le secrétaire permanent du PS, en faisant allusion à la première alternance politique survenue au Sénégal avec l’arrivée au pouvoir du PDS, dont le candidat, Abdoulaye Wade, avait battu celui des socialistes, Abdou Diouf, au second tour de la présidentielle de cette année-là.
Contrairement au premier bâtiment construit en 1967, cette annexe a été édifiée dans les années 90 à l’initiative du président Abdou Diouf, qui l’a inaugurée le 26 février 1992. Il a été construit à la suite de vives critiques de l’opposition de l’époque, le professeur Iba Der Thiam en tête. Il dénonçait la tenue des réunions du bureau politique du PS à l’Assemblée nationale.
‘’Le président Abdou Diouf, qui était un démocrate, a trouvé la critique juste et a estimé que nous ne pouvions pas continuer à tenir, sous sa présidence, les réunions du bureau politique à l’Assemblée nationale. C’est ainsi que nous avons fait construire, à son initiative, un deuxième complexe au sein de la Maison du Parti socialiste, qui abrite la salle du bureau politique et la salle du comité central. Et à partir de 1992, les réunions du bureau politique et du comité central se tenaient ici’’, raconte M. Sèye.
On ne trouve âme qui vive dans cette partie de l’édifice, lors de la visite d’une journaliste et d’un photographe de l’APS. Les lieux semblent avoir été désertés de leurs occupants habituels : des responsables, des militants et des sympathisants du parti. Même les nombreux badauds qui y étaient d’habitude très présents, lorsque la formation verte était au pouvoir, sont désormais aux abonnés absents.

La Maison du Parti socialiste n’est plus ce quartier général très couru, ce centre de mobilisation militante qu’il a été pendant de nombreuses années, quand elle était perçue comme un lieu stratégique où se décidait une partie du destin du pays, à une époque pas si lointaine d’ailleurs, où le parti au pouvoir se confondait avec l’État.
Elle accueille désormais très peu de rencontres. Les réunions de bureau politique, qui étaient hebdomadaires, s’y tiennent maintenant de manière occasionnelle. La dernière rencontre d’envergure qu’elle a abritée remonte au 16 décembre 2023, avec le congrès d’investiture du candidat Amadou Ba pour la présidentielle de 2024.
La Maison du Parti socialiste bâtie pour abriter les réunions du parti
Secrétaire permanent du PS depuis 2007, Cheikh Sadibou Sèye, un militant de la formation verte depuis 1976, refuse de comparer le fonctionnement d’un parti au pouvoir à celui d’une formation dans l’opposition. ‘’Il est évident qu’il y avait un regain d’activités pendant que nous étions au pouvoir’’, reconnaît-il, soulignant que les enjeux de pouvoir de l’époque et le choc des ambitions entre les tendances concouraient à faire bouger le parti de l’intérieur et à maintenir l’animation de la permanence de 1967, début de son fonctionnement, à 2000.
Selon lui, la perte du pouvoir en 2000 a entrainé une baisse d’intensité des activités, laquelle a ainsi affecté toutes les instances du parti.
‘’Il faut simplement rappeler à nos camarades que cette permanence a été bâtie pour abriter les réunions du parti et elle a été faite pour être animée. Ceux qui doivent les animer, ce sont les responsables des structures. Maintenant, il peut se trouver que quelquefois, par commodité, le secrétaire général de la coordination de Biscuiterie, par exemple, pense qu’au lieu de venir jusqu’ici, il [serait plus pratique qu’il tienne] sa réunion à son siège, là-bas, dans sa commune d’arrondissement’’, fait-il valoir.
Il signale que la dernière manifestation de masse organisée à la Maison du Parti socialiste date de décembre 2023, une date correspondant au congrès d’investiture de l’ancien Premier ministre Amadou Ba, le candidat du PS à la dernière élection présidentielle.
Cheikh Sadibou Sèye juge cette situation gênante et trouve que cela, en termes de communication, dessert le parti.

‘’En termes de communication, le fait de voir que le siège bouillonne d’activités tous les jours compte. Cela a un impact positif sur la perception que les gens ont du parti. C’est pour cela que nous insistons toujours pour que nos camarades, au lieu de tenir leurs réunions ailleurs, même s’ils ne sont que 10 personnes, viennent ici’’, dit-il.
‘’Quand la Maison [du Parti socialiste] abrite une réunion, tout l’environnement le sent ici, parce que nous avons toujours gardé cette capacité de mobilisation et d’attraction sur les gens qui nous prêtent une attention’’, signale-t-il, ajoutant : ‘’Jusqu’à présent, les réunions du secrétariat exécutif et les réunions du bureau politique se tiennent régulièrement ici, mais à une périodicité qui est un peu décalée. C’est tellement espacé qu’on ne sent pas la présence de tout le monde.’’
La permanence Oumar-Lamine-Badji, symbole de la gloire du PDS
Pour avoir vécu les périodes fastes du PS, M. Sèye remet les choses dans leur contexte au sujet de la première alternance survenue en 2000 avec la perte du pouvoir par la formation socialiste. Il relativise et met en perspectives les choses.
‘’Quand on est appelé au pouvoir, on sait qu’un jour on le quittera. C’est comme ça, il faut être humble dans la vie. Savoir qu’aujourd’hui on est au sommet, et que quelques années après on sera au bas de l’échelle. Il faut reprendre ses forces’’, lance avec philosophie le secrétaire permanent du PS.

Le Parti démocratique sénégalais ne disposait que d’un petit siège à côté de la mythique place de l’Obélisque – aujourd’hui, place de la Nation – avant son arrivée au pouvoir en 2000. La formation libérale a eu le temps et surtout les moyens de se construire une permanence nationale à sa dimension de parti au pouvoir.
À l’initiative de son leader, les travaux de la nouvelle permanence du PDS seront financés grâce à l’apport des militants et des responsables.
Située sur la VDN et baptisée du nom d’Oumar Lamine Badji, un de ses responsables de Ziguinchor (sud) assassiné le 30 décembre 2006 à son domicile, à la veille de la célébration de la fête de l’Aïd el-Kebir, par des hommes armés, la permanence du PDS a été inaugurée le 15 février 2007 par le secrétaire général du parti, Abdoulaye Wade.

De loin, cette bâtisse ultramoderne, avec ses nombreuses baies vitrées bleues, couleur de la formation libérale, fait étalage de toute sa majesté avec sa devanture et ses allées bordées de fleurs.
Dans le hall, un poster géant de M. Wade, fondateur du parti, des photos de quelques figures marquantes du Sopi (le changement, le slogan du PDS lorsqu’il était dans l’opposition), ainsi que des vases de fleurs accueillent le visiteur.
Malgré tous ces efforts pour rendre les lieux hospitaliers, rien ou presque ne se passe ici en termes d’animation politique. Une ambiance curieusement similaire à celle notée à la Maison du Parti socialiste.
La permanence Oumar-Lamine-Badji ne désemplissait pourtant pas et bouillonnait toujours pendant la période des vaches grasses. Une période dont se souvient Pape Amadou Guèye, un militant du PDS depuis 1976, devenu son secrétaire permanent national depuis un an.
Pape Amadou Guèye relativise…
‘’Chaque fois que notre secrétaire général national, Me Abdoulaye Wade, un homme charismatique, venait y présider une réunion, tous les militants se déplaçaient en masse pour le voir. Même ceux qui n’étaient pas conviés à la réunion y venaient. De ce fait, nous, qui sommes à la permanence, avions beaucoup de difficultés pour contenir tout ce monde’’, témoigne-t-il.
‘’C’était vraiment des moments forts. Le président Abdoulaye Wade, c’est quelqu’un de très proche de ses militants. Chaque fois qu’il le fallait, il venait présider les réunions du comité directeur ou du secrétariat national. Donc, c’étaient des moments de communion avec les militants et les responsables du parti’’, se souvient Pape Amadou Guèye.
Pendant ces moments, ‘’la permanence refusait du monde et on avait souvent des difficultés à organiser une réunion. Parfois, nous étions obligés de laisser tout le monde assister à la réunion, tellement les gens étaient attachés à lui’’, raconte-t-il, nostalgique de l’ambiance qui prévalait à la permanence du PDS.

Le secrétaire permanent national du PDS ne partage cependant pas la thèse selon laquelle les permanences des anciennes formations politiques au pouvoir seraient aux abois depuis qu’elles ne sont plus aux affaires.
Pour ce militant presque de la première heure – le PDS a été créé en 1974 -, cette perception est fausse, malgré la baisse des visites de ces lieux. ‘’Les permanences nationales bougent et bouillonnent en fonction de la vie politique du pays. Les activités qu’elles accueillent dépendent des évènements politiques. Il faut que les gens comprennent également que les permanences ne sont pas des lieux où l’activité politique se passe quotidiennement. Cela se passe dans les communes et dans les fédérations, c’est-à-dire dans les départements’’, argue-t-il.
M. Guèye confesse pourtant qu’‘’un parti au pouvoir et un parti d’opposition n’ont ni les mêmes statuts ni les mêmes ressources’’.
‘’Dès que le personnel politique diminue, les moyens ne suivent pas. Voilà ce qui explique l’absence d’effervescence dans les permanences des anciens partis au pouvoir. Mais il n’y a pas l’ombre d’une décadence. On peut juste parler de moments d’accalmie où les choses se passent plus lentement’’, ajoute-t-il.
À ses yeux, la permanence Oumar-Lamine-Badji continue de jouer son rôle en accueillant les réunions de la direction du parti et celles des secrétaires nationaux.
Pape Amadou Guèye précise que le PDS dispose de permanences départementales et communales qui, dans la structuration de cette formation, correspondent respectivement aux fédérations et aux sections. ‘’Ce sont des locaux que les militants prennent quelquefois en location. Parfois, un responsable met gracieusement sa maison à la disposition des militants d’une section ou d’une commune, mais le parti dispose de plusieurs permanences départementales. Donc, les activités du parti se passent dans ces permanences-là’’, signale M. Guèye.
‘’Seuls les grands évènements se tiennent à la permanence nationale. Les secrétaires nationaux tiennent des réunions ici. Contrairement aux gens qui pensent que la permanence doit être toujours animée, les militants tiennent leurs réunions dans les communes et dans les départements’’, insiste-t-il.
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