Dakar, 31 (APS) – L’historien, critique de cinéma, producteur et réalisateur bénino-sénégalais, Paulin Soumanou Vieyra (1925-1987), dont on célèbre ce vendredi 31 janvier le centenaire de sa naissance a su très tôt l’importance de ‘’figer cette extraordinaire mémoire des cinémas africains’’, a indiqué à l’APS l’universitaire et critique de cinéma sénégalais, Thierno Ibrahima Dia.

Natif de Porto-Novo au Dahomey l’actuel Bénin, Vieyra devenu citoyen sénégalais, est reconnu comme le premier critique et historien du cinéma africain, selon M. Dia, relevant qu’il a permis de documenter très tôt les cinémas africains à travers son ouvrage ‘’unique’’ en son genre intitulé ‘’Le cinéma africain : des origines à 1973’’ publié en 1975 par la maison d’éditions ‘’Présence africaine’’.

L’auteur, premier africain à avoir étudié le cinéma, anthropologue visuel formé par Jean Rouch [réalisateur et anthropologue français] est aussi un chercheur et historien qui, en tant que témoin et artisan a donné une information quasi exhaustive sur les films de tous les pays d’Afrique, y compris le Maghreb ainsi qu’une réflexion sur la situation, les problèmes et la défense de l’art et de l’industrie cinématographique, lit-on d’ailleurs sur la note de présentation de cette publication.

Selon Thierno Ibrahima Dia, enseignant de cinéma à l’université Bordeaux-Montaigne, par ailleurs rédacteur en chef du magazine ‘’Africiné’’ dédié exclusivement aux cinémas africains,  »’ce livre est une ressource unique pour comprendre et embrasser les cinémas africains’’.

Paulin Soumanou Vieyra, estime-t-il, a ouvert toute une voie que les critiques africains et le magazine  »Africiné », basé à Dakar, cherchent à poursuivre et à consolider, en s’appuyant sur ses travaux qui sont  »essentiels ».

‘’Pour tous ceux qui s’intéressent au cinéma, chercheurs, critiques et journalistes, Vieyra est inspirant et son œuvre est éternel’’, souligne-t-il, regrettant toutefois qu’il ne soit pas assez connu par le grand public malgré ‘’son travail extraordinaire, essentiel et unique’’.

Le film  »En résidence surveillée » (1981) avec l’acteur Douta Seck et Paulin Soumanou Vieyra.

Après son film de fin d’études réalisé en 1954, intitulé ‘’C’était il y a quatre ans’’, qui a fait scandale parce que contenant une scène jugé ‘’subversive’’, Paulin Soumanou Vieyra tourne avec d’autres étudiants africains Mamadou Sarr (coréalisateur), Jacques Mélo Kane (directeur de photo) et Robert Caristan (caméraman) le premier film du continent intitulé ‘’Afrique-sur-Seine’’.

Ce court métrage en noir et blanc de 22 minutes, jugé ‘’culte’’, parle de la vie des Africains émigrés à Paris dans les années 1950, marque ainsi la naissance du cinéma en Afrique subsaharienne.

Panafricaniste convaincu et militant engagé

Thierno Ibrahima Dia souligne par ailleurs l’apport de Vieyra, qui au-delà du théoricien qu’il a été, a su accompagner les talents cinéastes africains aussi à travers la naissance de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) et lors des formations données à Dakar. Il était le mentor de nombreux réalisateurs dont Flora Gomes de la Guinée-Bissau, Djibril Diop Mambety, Ababacar Samb Makharam, Clarence Delgado du Sénégal, entre autres.

Directeur du service ‘’Actualités de l’AOF [Afrique occidentale française] » de 1956 à 1960 puis du Sénégal indépendant de 1960 à 1975 à la demande du poète président Léopold Sédar Senghor, Paulin Soumanou Vieyra a développé toute une activité de diffusion du cinéma africain et accompagné les cinéastes de l’époque et précisément Sembene Ousmane.

‘’En tant que directeur du service Actualités sénégalaises [Chargées de filmer toutes les sorties et déplacement du président de la République au Sénégal et dans le monde], il disposait de moyens techniques. Lorsque que Sembene est revenu de Moscou avec une vieille caméra américaine pour faire ‘’Borom Sarret’ sorti en 1963, Vieyra a mis à sa disposition le matériel technique des actualités sénégalaises’’, raconte Thierno Ibrahima Dia.

Il fait savoir que par la suite, Paulin Soumanou Vieyra, de manière plus officielle, sera le directeur de production de Sembene, ce qui a permis à ce dernier de se libérer de la production et de se consacrer à la création.

Paulin Soumanou Vieyra en tournage.

Il est, selon lui, l’un des moteurs de la Fepaci qui regroupe les réalisateurs africains depuis son lancement en 1969 lors du festival culturel panafricain d’Alger sous l’égide de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Le réalisateur sénégalais Ababacar Samb Makharam fut le premier secrétaire général de la Fepaci.

‘’Il pèsera de tout son poids avec Ababacar Samb Makharam pour une démarche panafricaine qui inclue toute l’Afrique depuis l’Egypte jusqu’à l’Afrique du Sud, la partie francophone et ceci a permis une identité panafricaine’’, explique Thierno Ibrahima Dia.

Selon lui, Vieyra est un ‘’personnage essentiel pour Sembene, pour le cinéma sénégalais voire africain’’, car estime-t-il, ‘’si aujourd’hui des réalisateurs comme les Tunisiens Tahar Cheriaa (1927-2010), fondateur des Journées cinématographiques de Carthage et son descendant Mohamed Challouf, se retrouvent dans cet héritage, c’est grâce à ce travail ».

Pour sa part, le doyen des cinéastes sénégalais, le réalisateur Ben Diogoye Bèye, retient de Paulin Soumanou Vieyra, ‘’un homme pas très bavard, conscient de sa mission de fonctionnaire de l’Etat, travailleur, posé, social et amusant’’.

Le fait que Vieyra ne soit pas bien connu du grand public se justifie par son statut de fonctionnaire. Il n’a pas pu se libérer qu’après sa retraite, relève-t-il.

Membre de l’association des cinéastes sénégalais associés ‘’Cineseas’’, Vieyra était un homme de conciliation qui tempérait les ardeurs, selon le doyen Bèye qui fait savoir qu’il a formé beaucoup de réalisateurs et techniciens sénégalais, bissau-guinéens, entre autres.

Le film de fin d’études de l’Idhec

Inscrit en biologie, Vieyra va finalement faire du cinéma à l’IDHEC

Paulin Soumanou Vieyra a quitté son pays natal à l’âge de 10 ans pour poursuivre ses études secondaires dans un internat et s’inscrit ensuite à l’université de Paris pour commencer des études de biologie.

‘’C’est par hasard, alors qu’on cherche un extra pour jouer le rôle d’un tirailleur sénégalais dans +Le diable au corps+ (1947), film de Claude Autant-Lara avec Micheline Presle et Gérard Philippe, qu’il accède au monde du cinéma’’, raconte l’écrivaine Françoise Pfaff dans son texte intitulé ‘’Paulin Soumanou Vieyra, pionnier de la critique et de la théorie du cinéma africain’’.

Le document est paru dans un ouvrage collectif de la revue ‘’Présence Africaine’’ publié en 2005 et consacré au ‘’Cinquantenaire de cinéma africain: hommage à Paulin Soumanou Vieyra’’.

Premier africain diplômé de l’IDHEC (l’institut français des hautes études cinématographiques qui est aujourd’hui la Femis) qu’il a intégré en 1952, Vieyra en ressort comme réalisateur, régisseur et producteur. Il aura à son actif 32 films composés pour la plupart de courts métrages documentaires et fictions et un seul long métrage intitulé  »En résidence surveillée » réalisé en 1981 et qui parle des premiers dirigeants de l’Afrique indépendante.

 »Je garde à l’esprit un homme cordial, généreux, lucide, intègre, au savoir tranquille et méthodique (attribuable à sa formation scientifique ?), qui savait aussi manier l’humour », a témoigné l’écrivaine française d’origine guadeloupéenne.

Elle y ajoute que Vieyra a été ‘’un Témoin attentif de la naissance et de l’évolution du cinéma subsaharien, ses écrits fournissent aux historiens et aux critiques de précieux documents de recherche’’.

Premier directeur des programmes de l’ORTS devenue RTS

Décédé il y a 38 ans, il a été aussi témoin de la mémoire visuelle du Sénégal et de l’Afrique en tant que directeur des ‘’Actualités sénégalaises’’ de 1960 à 1975 suivant partout dans tous ses déplacements le président Senghor qui avait fait appel à lui pour fixer la mémoire des jeunes pays indépendants du continent.

Ces images, selon Ben Diogoye Bèye, étaient diffusées avant chaque projection de films dans les salles de cinéma.

Le reporter Vieyra prendra ensuite la direction des programmes de la télévision sénégalaise naissante et devient ainsi le premier directeur des programmes de l’ORTS.

Dans sa biographie, on lui attribue la mise en place des premières structures de cette télévision qui est devenue aujourd’hui la Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS).

Ses dernières années furent consacrées à la transmission de son savoir aux jeunes générations au Centre d’études supérieures des techniques de l’information (CESTI) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où il a enseigné jusqu’à sa mort.

Il est décédé le 4 novembre 1987 à Paris et enterré au cimetière catholique de Bel Air à Dakar où repose aussi son épouse, l’écrivaine et poétesse guadeloupéenne, Myriam Warner-Vieyra qui a été bibliothécaire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

FKS/OID/SBS/ASB

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