SENEGAL-THEATRE-PROFIL
Dakar, 25 mars (APS) – S’il est présenté dans le milieu du théâtre sénégalais comme étant un ‘’agitateur culturel’’, Pape Meïssa Guèye, revendique lui le titre de ‘’militant indépendant’’ de l’art vivant qu’il compte défendre contre vents et marrées, tel un ‘’vrai soldat’’.
Le natif de Pikine, qui a grandi et passé sa vie à Guédiawaye dans la banlieue dakaroise , a embrassé très tôt le monde du théâtre, grâce à ses talents innés d’humoriste dont il dit avoir ‘’raté la vocation’’.
Pour ce comédien, metteur en scène et entrepreneur culturel, qui séjourne présentement à Paris (France), rien n’est plus important que ce métier qui a fait de lui un ‘’homme libre’’.
Fils d’enseignant, Pape Meïssa Guèye, témoigne avoir reçu le soutien de ses parents pour embrasser cette carrière qui lui a permis de circuler partout dans le monde.
Ce père de famille se rappelle de sa tendre enfance, une époque pendant laquelle pour faire rire les gens, il prenait parfois le mégaphone pour imiter Sanokho, un humoriste sénégalais très connu dans les années 1980.
‘’Moi en principe, je devais être humoriste, il y avait un humoriste sénégalais qui s’appelait Sanokho. Je prenais le magnétophone et je faisais les mêmes choses que lui pour faire rire les gens, je n’avais même pas 15 ans à l’époque’’, témoigne-t-il.
Celui qui d’apparence présente une mine ‘’très sérieuse’’ se dit avoir ‘’raté” sa ”vraie vocation, qu’est l’humour’’.
Entre l’humour et le théâtre, il n’y a qu’un seul pas
Peu à peu, Pape Meïssa Guèye a commencé à fréquenter, dans les années 90, des associations sportives et culturelles (ASC), où il trouve son chemin vers le théâtre, par le biais notamment de l’un des vieux de son quartier qui était à l’époque professeur d’histoire et de géographie à Nioro, dans la région de Kaolack à plus de 200 Km de Dakar.
Cet enseignant dans le moyen secondaire profitait de ses vacances pour former les jeunes du quartier sur l’art vivant ou d’autres disciplines, s’est-il remémoré.
‘’On jouait dans les quartiers, on faisait des spectacles avec des ASC. Ensuite, je suis parti au lycée Limamoulaye de Guédiawaye, c’est là que j’ai commencé vraiment à faire du théâtre’’, lâche-t-il, précisant son passage à l’École nationale des arts (Ena), après l’obtention de son baccalauréat.
Pape Meïssa Guèye dit avoir été beaucoup plus motivé par un comédien pensionnaire du théâtre national Daniel Sorano, pour se lancer dans sa carrière.
‘’La première fois que j’ai joué dans une compagnie, c’était dans une pièce où j’étais l’acteur principal. Donc Samba Wane, fait partie des gens qui ont participé à ma formation et m’ont poussé au théâtre’’, martèle l’artiste.
Il se rappelle de ses premiers millions obtenus en tant que jeune dans ce monde qu’il venait à peine d’intégrer. C’était le fruit d’une collaboration avec un coopérant européen du nom de Philipe Laurent.
”(…) quand nous sommes sortis de l’Ena, on était deux. Et on s’appelait le théâtre de la rue’’, renseigne-t-il.
Il souligne que la première pièce du groupe intitulée ‘’La vie du talibé’’, leur a permis d’empocher des millions au début des années 2000, alors qu’ils étaient encore jeunes.
Cette pièce a été jouée dans plusieurs langues, notamment en wolof et en français, dans divers pays de la sous-région où le phénomène ‘’talibé’’ (élèves des écoles coraniques traditionnelles) est le plus en vogue.
‘’Après notre formation, on tombe sur des millions. Pour des jeunes sans épouse ni enfant. Vraiment, on se disait qu’il n’y a pas mieux que le théâtre dans ce monde’’, fait-il remarqué.
Pour un plan stratégique du théâtre
Peu de temps après avoir embrassé la vie professionnelle, Pape Meïssa Guèye se retrouve seul. Philippe Laurent est rentré en Belgique, son pays natal et Moustapha son compagnon et ami, a quant à lui, décidé d’émigrer en France.
‘’Après leur départ, je me suis dit que je suis seul maintenant. Il faut que je continue à faire du théâtre’’, affirme le comédien.
Contactant des metteurs en scène pour commencer à faire du ‘’mono-théâtre’’, Pape Meïssa Guèye finit par se rendre plus tard, à l’Université Léopold Sédar Senghor d’Alexandrie en Egypte, où il s’est mis à apprendre le montage et le développement de projets culturels.
Le président de la compagnie ‘’Théâtre de la rue’’ prend son courage en main pour continuer de naviguer tout seul.
‘’Je continue toujours seul avec cette compagnie de théâtre qui est devenue aussi une association et une entreprise culturelle sénégalaise’’, révèle-t-il.
A l’en croire, la résistance de la compagnie après plus de 20 ans, n’est pas ”le fruit du hasard”.
M. Gueye dit n’avoir pas embrassé ce métier de façon ”hasardeuse”, cela relève d’un ‘’choix’’ personnel. ‘’Quand on avait le bac, on pouvait faire beaucoup de choses, mais on a préféré faire du théâtre. Je ne me suis pas limité à être qu’un comédien dans une compagnie. Je suis devenu entrepreneur culturel, car motivé par des formations que j’ai reçues (…) ’’, explique-t-il.
‘’Le théâtre a fait de moi un homme libre’’, se vante l’artiste, qui exprime sa passion pour la défense de cette discipline.
”Je peux dire que je suis un vrai soldat du théâtre. Parce qu’il faut dire honnêtement, je ne mange pas mes mots. Moi, je me suis toujours battu pour le théâtre”, poursuit-il.
Auteur du livre ‘’quelle politique pour la relance du théâtre sénégalais’’, sorti il y a quatre ans, Pape Meïssa Guèye, indique que cette discipline lui a permis de se faire ”humainement”.
”Le théâtre ne fait pas ma vie, mais participe bien dans ma vie. Le théâtre m’a beaucoup apporté. Je dis qu’il n’y a pas meilleure formation que le théâtre’’, fait-il valoir.
Il a toutefois déploré le fait que la mise en place du plan stratégique pour le développement du théâtre sénégalais initié par l’ancien régime sous Macky Sall (2012-2024) tarde toujours à être mis en œuvre.
La Direction des arts du ministère de la Culture et de la Communication avait organisé, le 30 juin 2021, un atelier de réflexion dite ‘’inclusive’’ avec l’ensemble des acteurs du sous-secteur. Cette rencontre était censée déboucher ‘’sur l’élaboration d’un document stratégique pour un plan de développement du théâtre’’. Ce travail a été validé le 23 mars 2022 par les autorités d’alors.
‘’(…) Nous comptons sur les nouvelles autorités pour la mise en œuvre de ce plan stratégique du théâtre qui peut le sortir du gouffre dans lequel il se trouve’’, soutient l’artiste comédien.
Il déplore toutefois le fait que les acteurs du théâtre, regroupés dans des associations, ne portent pas suffisamment le plaidoyer au niveau des instances de prise de décisions.
‘’Je vais me pencher sur ce sujet à mon retour à Dakar, car cela ne sert à rien de dépenser de l’argent, du temps et de l’énergie pour créer un document stratégique qu’on met dans les tiroirs’’, fustige-t-il.
D’après Pape Meïssa Guèye, malgré leur combat, il ”n’existe aucune volonté politique pour aboutir à quelque chose”.
‘’Donc, il est temps qu’on mette en œuvre tout ce qu’on a eu à faire comme réflexions pour pouvoir aboutir, non seulement à un fonds dédié au théâtre, mais carrément à la structuration, à la professionnalisation de ce sous-secteur’’, plaide-t-il.
AMN/FKS/OID/SMD