Par Momar Khoulé BaFass Boye, 23 oct (APS) – Fass Boye. Le nom de ce village de pêcheurs du département de Tivaouane était sur toutes les lèvres au mois d’ août dernier, après la découverte au large du Cap-Vert, de la pirogue dont la plupart des 101 passagers, partis d’ici pour rejoindre l’Espagne, avaient péri en mer.Parmi les 37 rescapés du chavirement au large de l’île de Sal, de cette embarcation qui avait quitté Fass Boye le 10 juillet, beaucoup vivent dans ce village. Depuis leur retour, aucune lueur d’espoir ne s’offre à eux, cet espoir d’une vie meilleure qui les avait justement amenés à braver la mer et la mort.Le bout du tunnel s’éloigne, jour après jour, comme les côtes espagnoles de Tenerife, du reste, dont ils s’étaient approchés à une soixantaine de kilomètres, quand leur rêve fut brisé par une panne de carburant. Les courants marins les avaient dérivés vers l’île du Cap-Vert.Aujourd’hui, leur pirogue, leur seul outil de travail, reste bloquée non loin des lieux du naufrage, faute d’équipage, et ils ne reçoivent aucune aide venant de l’État.Et comme si cela ne suffisait pas, ils revivent constamment les images de désarroi de leurs derniers jours en mer. C’est qu’en vérité, aucun d’entre eux n’a bénéficié du moindre soutien psychologique, ni de la part de travailleurs sociaux, ni de la part de psychiatres.Au moment de secourir les jeunes candidats à l’émigration clandestine, le 14 août 2023, l’équipage d’un navire piloté par un Espagnol, et comptant des Sénégalais, avait trouvé sept corps sans vie et 38 rescapés. En accord avec les familles des personnes décédées, il avait été décidé de les enterrer au Cap-Vert.L’un des rescapés était retenu par les autorités sanitaires capverdiennes pour poursuivre ses soins, et les 37 autres s’étaient envolés vers Dakar, une semaine plus tard, le 21 août, dans l’avion de la délégation gouvernementale dirigée par la ministre auprès du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur , Annette Seck Ndiaye. Ils avaient foulé le tarmac de l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor.Même pas de quoi se payer un théUne fois dans la capitale sénégalaise, ils avaient reçu comme appui de l’État, une enveloppe de 25 000 FCFA et un sandwich. Depuis lors, beaucoup d’entre eux survivent aujourd’hui, grâce à la solidarité de leurs familles.Ibrahima Bâ a vu son frère Mame Cheikh emporté par la furie de la mer. Lui aussi a lutté ardemment contre la mort. Aujourd’hui à Fass Boye, il ne peut même pas se payer un thé à la maison, encore moins le déjeuner. C’est aujourd’hui un homme très secoué et toujours anxieux qui reçoit un journaliste de l’APS. Après près de deux mois de survie, il ne fait que se tourner les pouces.Son premier soutien n’est personne d’autre que son frère cadet, Mamour, un étudiant en année de licence en sociologie. Ce dernier s’évertue sans cesse à canaliser tous les membres de la famille Bâ, terriblement frappés par le destin. “ J’étais un soutien de famille et toutes mes sœurs comptaient sur moi. Actuellement, même pour faire du thé, c’est mon frère Mamour Bâ qui met la main à la poche, alors qu’il n’est qu’un simple étudiant“, se plaint-il, visiblement très frustré.“Je ne connais que la mer, nous n’avons que la mer. Cette mer doit nous revenir. Le gouvernement doit arrêter les accords de pêche qui ne font qu’appauvrir les acteurs que nous sommes“, plaide encore ce pêcheur déboussolé, qui, naguère, arrivait à surmonter “toutes les contraintes financières“ de sa famille.“Ce que les rescapés ont vécu doit préoccuper l’État et son chef le président Macky Sall. Il doit savoir que les longues journées en mer nous hantent tous les jours“, poursuit Ibrahima, qui ne peut s’empêcher de penser à ses “braves et héroïques frères“ Mame Cheikh et Mara Sow, qui ont perdu la vie dans l’Atlantique.“Déjà en temps normal, c’est très difficile de joindre les deux bouts. Si on y ajoute un choc mental, vous voyez un peu comment la coupe est pleine, se désole-t-il, aucun psychologue n’est venu nous parler, nous les rescapés“.Pour remplir le vide, Mamour leur tient compagnie en essayant de leur remonter le moral. “Personne ne peut imaginer vivre en direct la perte de ses meilleurs amis d’enfance, l’un après l’autre, sans aucun moyen de les aider“, insiste Ibrahima, père de plusieurs enfants.Abordant le cas de son frère Mame Cheikh, il hoche la tête, fixe longtemps le sol et verse des larmes. L’épouse de l’un de ses meilleurs amis, Mara Sow, vient d’avoir un enfant. Une bonne nouvelle qui pourtant, selon Ibrahima Bâ, va raviver la douleur dans cette famille qui a perdu quatre de ses membres dans ce drame.À Fass Boye, c’est la foi en Dieu qui atténue l’amertume des habitants. Aly Mbaye, un autre passager de la pirogue, rumine le sentiment que tout le monde lui en veut.“C’est une insulte que de recevoir de l’État, notre propre État, seulement 25 000 F et un sandwich. Tous ceux qui étaient sur l’île de Sal peuvent témoigner que nous avons dépensé 20 fois plus au Cap-Vert“.“Nos pieds étaient tellement enflés à cause du sel. D’ailleurs, nous avions même entamé des soins sur place“, raconte Aly Mbaye, qui dit poursuivre encore ses rendez-vous à ses propres frais. Il y en a aussi qui avaient le corps recouvert de boutons.Déjà à l’hôpital, des Capverdiens leur proposaient plusieurs types de job disponibles chez eux, raconte-t-il. “Mais nous avions dit à l’unanimité que l’urgence était d’abord de venir voir nos familles à Fass Boye“, informe-t-il.Des proches brandissaient des photos pour savoir s’ils étaient encore vivantsIbrahima Ba et Aly Mbaye sont donc deux rescapés qui vivent difficilement leur situation à Fass Boye, même s’ils admettent qu’elle est de loin meilleure que celle du lundi 14 août 2023, quand l’équipage d’un navire composé de Sénégalais et d’un Espagnol, était venu à leur rescousse.Dès que les sauveteurs ont vu l’état des rescapés, ils se sont empressés de leur donner de l’eau, de la nourriture, afin de leur redonner des forces. Quand ils ont voulu cependant informer leurs parents restés à Fass Boye, les survivants ont demandé d’attendre un peu encore, parce que beaucoup d’entre eux étaient restés en mer. Finalement le navire a appelé Dakar pour donner la nouvelle de découverte de la pirogue de Fass Boye, qui n’avait plus donné signe de vie depuis un mois.Le lendemain, 15 août, dès leur arrivée à Praia, des proches des passagers de la pirogue leur brandissaient des photos pour savoir s’ils étaient encore vivants. “Peut-être qu’ils sont de l’autre côté de l’hôpital, leur disaient les rescapés, pour ne pas dire brutalement qu’ils sont morts“.A Fass Boye, même si la vie ne s’est pas arrêtée, la perte d’une dizaine de jeunes qui ont tous mémorisé le Coran, afflige encore les populations. Une tristesse exacerbée par la détention qui frappe toujours quatre fils de la localité, qui en exprimant leur colère, avaient endommagé le service des pêches, le bureau de la Der/FJ et le site de transformation des femmes de Fass Boye.A cela s’ajoute, un sentiment d’être abandonné par l’Etat. “Je ne sais pas encore ce qu’attendent les autorités, à commencer par le maire de Darou Khoudoss, Magor Kane pour venir présenter leurs condoléances“, dit Mamour.Pour lui, les jeunes qui ont échappé à la mort au terme de cette aventure périlleuse, ont besoin d’être “regonflés“ sur tous les plans : mental, social mais surtout économique.“Je souhaite vivement que le ministre des Pêches vienne échanger avec eux“, poursuit le jeune homme, pour qui, le village de pêche de Fass Boye n’est plus le même, depuis la découverte de cette fameuse pirogue. Le chef du village Madiop Boye qui partage entièrement cette impression, invite l’Etat à agir pour inverser la tendance.“Ce village est peuplé de croyants et l’attitude des parents qui ont perdu leurs seuls soutiens de famille en est une preuve éloquente, dit-il, j’invite les autorités à doter les jeunes de la contrée et surtout les rescapés de Fass Boye et environs, d’un plan spécial leur permettant de redémarrer au moins une activité“.MKB/ADI/ASB/OID
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