SENEGAL-TRANSPORTS-ACCIDENT-COMMEMORATION
Par Souleymane Gano
Pikine, 26 sept (APS) – Rien de particulier ne laisse penser que l’anniversaire du naufrage du bateau ‘’Le Joola’’ se prépare activement au marché du même nom, délocalisé en 2007 du Port autonome de Dakar au marché au poisson de Pikine, en face de la gare routière Baux maraîchers.
Des vendeurs, des visiteurs, la clientèle, mais aussi des préposés à la sécurité : la même ambiance prévaut au marché ‘’Joola’’, jeudi matin, à vingt-quatre heures de l’anniversaire de ce drame survenu au large de la Gambie, dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002.
Tout renvoie au visiteur un décor qu’on devine habituel, pour un même train-train quotidien, par moments perturbé par l’atmosphère frénétique de tricycles de transport déboulant comme par surprise.
Il y a aussi ces camions frigorifiques stationnés à l’entrée, à l’intérieur du marché, les nombreux étals de poisson et de fruits jonchant certaines artères. Rien de surprenant en somme pour un marché.
Des vendeurs de boisson, de sachets d’eau et de divers produits alimentaires, des cordonniers, cireurs de chaussures et autres ajoutent à ce décor ordinaire. Rien qui laisse penser vraiment que le souvenir de ce drame s’entretient en ces lieux.

Et pourtant, les responsables du marché ‘’Joola’’ se préparent très activement à commémorer le souvenir de ce drame, l’un des plus importants de l’histoire de la navigation maritime.
Comme par le passé, cette journée de commémoration sera essentiellement rythmée par les prières pour le repos de l’âme des disparus.
‘’Comme chaque année, nous nous préparons encore pour ce 26 septembre. Nous allons le faire avec nos moyens pour encore commémorer l’anniversaire du naufrage du bateau. Nous nous cotisons et avons envoyé des demandes de soutien à certaines personnes pour réunir un petit fonds’’, explique Daba Ndiaye, une déléguée des femmes du marché ‘’Joola’’.
Selon elle, comme par le passé, les commerçants du marché ‘’Joola’’ ont décidé d’inviter des guides religieux à prier pour le repos de l’âme des disparus.
‘’À chaque anniversaire, nous préparons aussi un repas pour les participants. Nous organisons une conférence pour nous souvenir, mais surtout conscientiser les populations, afin que soient évités de pareils accidents à l’avenir’’, dit-elle en faisant observer que ‘’c’est un peu compliqué, les temps étant très durs pour tout le monde’’.

‘’Nous le ferons avec le peu de fonds que nous récolterons. Le plus important étant de nous souvenir de nos morts et de prier pour eux’’, a insisté Mme Ndiaye.
Quatre-vingt-trois vendeurs de l’ancien marché ‘’Joola’’ avaient trouvé la mort lors de ce naufrage, signale-t-elle, évoquant les premières heures de l’annonce de la catastrophe.
‘’Le jour de l’accident, c’est en milieu de matinée que nous avions appris la mauvaise nouvelle. Peu avant, nous avions vu des autorités politiques et des forces de l’ordre en nombre au port de Dakar. Cette présence aussi massive d’autorités était inhabituelle. Nous avons senti que quelque chose de mauvais était arrivé’’, se rappelle Daba Ndiaye.
‘’À l’annonce du naufrage, je suis tombée par terre et j’étais tout simplement inconsolable. Depuis, beaucoup de visiteurs ont abandonné notre marché qui, il faut le dire, a énormément perdu après ce naufrage’’, raconte la commerçante.
Depuis cette catastrophe, suivie quelques années de sa délocalisation à Pikine, le marché ‘’Joola’’ fonctionne au ralenti, sans compter que le contexte est devenu ‘’très difficile’’, confie-t-elle en parlant de la conjoncture économique du pays.

‘’La plupart de nos anciens clients, lorsque nous étions au port, résident à Dakar. Maintenant, avec la distance, plusieurs d’entre eux ne viennent plus. C’est un manque à gagner, mais nous avons décidé de poursuivre notre activité pour ne pas tomber dans l’oubli de nos morts’’, dit-il.
‘’C’est toujours avec une profonde douleur que nous nous souvenons de ce drame. Je me souviens de ce jour comme si c’était ce matin. Très, très triste de perdre nos proches’’, reprend Daba Ndiaye.
Elle dit avoir toujours mal, mais assure avoir vécu ce drame ‘’avec foi et dignité’’. ‘’Je m’en suis remise à notre Créateur et je me suis dit qu’il faut continuer à honorer la mémoire des disparus. Il ne fallait jamais abandonner mais continuer le travail, malgré les temps qui sont très durs dans tous les secteurs.’’
Selon Coumba Diallo, chargée des relations extérieures du marché ‘’Joola’’, cette journée de commémoration sera aussi une occasion de plaider, auprès du gouvernement et des partenaires, la problématique de la pérennisation de leurs activités. Une manière de perpétuer, à ses yeux, l’existence de ce marché, comme un symbole de la mémoire de leurs proches disparus lors du naufrage.

‘’Le plus urgent, c’est la modernisation de ce marché. Ses toitures en zinc sont toutes en ruine et font courir un danger aux usagers. S’il pleut, il n’est pas possible de travailler ici’’, explique-t-elle.
Coumba Diallo affirme que les commerçants du marché ‘’Joola’’ avaient adressé, à ce sujet, l’année dernière, des correspondances aux autorités gouvernementales et à certains partenaires.
‘’Cette année aussi, nous lançons un appel au président de la République, au Premier ministre et à son gouvernement, ainsi qu’à l’ensemble des acteurs concernés, pour qu’ils nous viennent en aide, pour que nous puissions continuer notre travail’’, ajoute Mme Diallo.
‘’Nous avons décidé de poursuivre notre travail, malgré les difficultés. Nous devons continuer ce travail, car nous sommes des croyants mais aussi, nous le savons, le travail nous valorise. C’est une question de foi’’, poursuit-elle.
Coumba Diallo rappelle qu’en août 2007, année de la délocalisation du marché ‘’Joola’’ à Pikine, plus de 600 vendeurs le fréquentaient. ‘’Mais avec la conjoncture, les difficultés, ce nombre a considérablement baissé. C’est pourquoi il nous faut de l’aide, afin qu’on ne baisse pas les bras.’’
SG/BK/MTN/HK/ESF

