Par Bakary Badji

Dakar, 13 fev (APS) – Les défunts journalistes Lamine Touré et Mame Alioune Less Camara, disparus respectivement en 2022 et 2023, deux icônes de la radio, ont marqué le paysage médiatique sénégalais et africain par leur professionnalisme et leur compétences indéniables de formateurs en radio.

Du Sénégal au Bénin, en passant par le Mali, le Gabon, etc., ces deux personnalités attachantes, arrachées à l’affection de leurs confrères et de leurs anciens étudiants, notamment du Centre d’études des Sciences et techniques de l’information (CESTI) laissent derrière elles un legs qui, comme une source intarissable, est constitué de nombreuses promotions de journalistes qu’elles ont formées. Cette école de journalisme de l’université Cheikh Anta-Diop de Dakar (UCAD) ne s’y est donc pas trompée en donnant le nom de l’institut à Mame Less Camara.

La journée internationale de la radio, célébrée ce jeudi 13 février, est donc une occasion de leur rendre un hommage mérité, tant ce médium à audience massive rappelle leur mémoire. En effet, Lamine Touré et Mame Alioune Less Camara, journalistes chevronnés, continuent d’inspirer. Ces deux hommes étaient unis par l’origine et le destin. Le premier est décédé le 29 août 2022, à l’âge de 72 ans, et le second le 29 avril 2023, à l’âge de 66 ans. Une coïncidence de dates de leurs décès, le 29, met en exergue leurs nombreux traits communs. Ils étaient connus et reconnus pour leurs timbres radiophoniques captivantes.

De grande taille, la posture droite, Lamine Touré captivait son auditoire avec sa voix de ténor, faisant de lui l’un des journalistes radio les plus talentueux du pays. ‘’Il avait une grande créativité dans la présentation de ses éditions et de ses reportages’’, explique Ousmane Sène, directeur de la radio UCAD FM et un de ses nombreux anciens étudiants.

Quant à Mame Less, ‘‘il avait une voix radiophonique remarquable, puisqu’il veillait à être clair, à prononcer les mots correctement et à choisir le mot juste pour éviter les détours inutiles dans l’explication d’une information’’, témoigne Racky Noël Wane, formatrice au CESTI et ancienne collègue du défunt à Walfadjri et à la BBC.

Pourtant, son choix de carrière dans la radio découle d’un formateur en presse écrite qui lui prédisait qu’il ne deviendrait pas un ‘’grand journaliste’’, confie son camarade de promotion, Babacar Khalifa Ndiaye. Mame Less a néanmoins vécu pleinement sa première passion, puisqu’il tenait, sous le pseudonyme d’Abdoul Sow, une chronique hebdomadaire très appréciée par les lecteurs de Walfadjri.

Journalistes passionnés

Passionnées par leur profession, ces deux icônes des médias ont marqué l’histoire de la radio sénégalaise, souffle Diatou Cissé, journaliste et successeure de Mame Less à la tête du SYNPICS, le syndicat des professionnels des médias du Sénégal.

Anciens de la Radio-Télévision Sénégalaise (RTS), anciennement Radio Sénégal, Lamine Touré et Mame Less ont, à un moment de leur carrière, été correspondants de ce média public dans différentes régions du pays : Saint-Louis pour Mame Less où il a rencontré sa future épouse, Tambacounda et Ziguinchor pour Lamine Touré.

Outre la RTS, ces deux figures du journalisme sénégalais ont également exercé dans d’autres médias nationaux et internationaux. Lamine Touré a travaillé à la radio Convergence FM, Dakar FM, et pour Africa N°1.

Après son passage à Radio Sénégal, où il a acquis une grande notoriété avec son émission « Face à Face » au début des années 1980, Mame Less, comme l’appelaient affectueusement ses proches, confrères et étudiants, a rejoint Walfadjri, où il dirigera la radio du groupe. Il prend ensuite la direction des radios Envi FM et Océan FM, ainsi que celle du journal Le Matin, en tant que directeur de publication. Fort de son expérience dans le secteur médiatique, il a été sollicité pour le lancement de chaînes de télévision comme DTV et la Télévision Futurs Médias (TFM). Il a également fait valoir ses compétences à la radio BBC en tant que correspondant à Dakar.

La passion pour le journalisme de Lamine Touré et Mame Less Camara se manifestait par leur amour du terrain. ‘’Ils aimaient beaucoup le terrain, même en tant qu’aînés. Et c’est cela qui a fait, d’ailleurs, qu’ils soient devenus de très grands hommes de radio, car la radio, c’est avant tout le terrain’’, témoigne Ousmane Sène, ancien journaliste à Walfadjri.

Quand Mame Less officiait comme correspondant à la BBC, ses jeunes confrères et consœurs ne manquaient pas de s’étonner de le voir sur le terrain venir couvrir des évènements, se demandant pourquoi il ne déléguait pas cette tâche, comme d’autres, en envoyant des reporters recueillir les sons et d’y poser sa voix. De taille moyenne, jadis robuste, il a été affaibli par la maladie au crépuscule de sa vie.

Professionnels jusqu’au bout des ongles, Lamine Touré et Mame Less Camara forçaient le respect et l’admiration de leurs pairs et du public. ‘’Dans un contexte où la liberté de la presse était bien plus difficile à préserver, ces deux grands messieurs de la presse, que Dieu ait pitié de leur âme, ont su tenir haut le flambeau du journalisme sénégalais’’, déclare Diatou Cissé.

Au lendemain du décès de Lamine Touré, le journaliste Michel Diouf a reconnu, dans les colonnes du Quotidien, en son devancier à Radio Sénégal ‘’un pionnier de la presse sénégalaise’’ et ‘’un exemple à suivre’’. ‘’Nous l’avons côtoyé pendant des années et nous pouvons témoigner avec certitude qu’il a été un excellent professionnel. Rigoureux, pointilleux dans la pratique du métier, il ne laissait passer aucune erreur. Chaque fois qu’un journaliste commettait une faute sur Radio Sénégal, qu’il écoutait régulièrement, il se faisait un devoir de m’appeler pour me demander de rappeler le journaliste à l’ordre’’, poursuit-il.

‘’L’un des plus grands journalistes de son temps. Un esprit libre à une époque où il était difficile et même dangereux de l’être. Sa parole avait tout le sel de ce métier’’, ajoute  le directeur d’UCAD FM

‘’Lamine Touré était le prototype même du professionnel accompli’’

Le journaliste à Radio Sénégal International (RSI), Demba Malick Mbodj, ancien étudiant et admirateur de Lamine Touré dit de ce dernier qu’il est le ‘’prototype même du professionnel accompli’’, un homme très intransigeant sur la diction, le niveau de la langue et la bonne tenue en studio. ‘’Lorsque je présentais le journal, entre 2003 et 2005, à Dakar FM, il me disait toujours : c’est ta responsabilité, fais en sorte de ne pas commettre d’erreur, sinon je te taperai sur les doigts en premier’’, dit-il.

Coiffé de son éternel Torpédo, ‘’Grand Lamine’’ fut un professionnel dans l’âme jusqu’à la fin de sa vie. ‘’Même à la retraite, il suivait la radio au quotidien, à la minute près, et il n’hésitait pas à appeler pour souligner toute erreur ou approximation à l’antenne’’, ajoute Demba Malick.

Très véridique, il acceptait aussi de recevoir la vérité, rapporte Ousmane Sène. Sa rigueur professionnelle n’avait d’égal que son tempérament jovial. Toujours disponible, le sourire de mise et une bonne humeur communicative, Lamine dégageait de la bonté, témoigne Mame Gor Ngom, son ancien étudiant et actuel directeur du Bureau d’information et de communication du gouvernement (BIC-GOUV).

‘’Indépendant’’, un peu ‘’anticonformiste’’, parfois ‘’iconoclaste’’, Lamine Touré a dû payer le prix de cette liberté. ‘’ll a été plusieurs fois sanctionné pour avoir diffusé certaines informations qui, peut-être, ne correspondaient pas directement à la ligne éditoriale de la RTS’’, explique Ousmane Sène. Parmi ces sanctions figure une affectation à Ziguinchor. ‘’Il avait aussi le courage de ses idées. Lorsqu’il était convaincu de quelque chose, il osait le dire’’, ajoute le directeur de l’UCAD FM.

Mame Less Camara a lui aussi connu des ennuis dans l’exercice de sa profession. Lors de la première alternance sénégalaise, intervenue en mars 2000, il publia une chronique qui secoua le nouveau régime du Président Abdoulaye Wade. ‘’C’était une belle chronique, comme d’habitude, avec ses belles tournures et une profondeur puisée dans sa vaste culture générale. Mais à l’époque, elle a tellement dérangé le nouveau régime qu’il a été convoqué à la DIC [Division des investigations criminelles]’’, raconte Ousmane Sène.

‘’Dès les premières heures de la matinée, tout Dakar s’était mobilisé devant la DIC pour le soutenir. Finalement, il a été libéré’’, se souvient Sène. Il ajoute : ‘’Il pouvait déranger, et certains n’étaient pas d’accord avec lui, mais personne ne pouvait dire que ce qu’il écrivait n’était pas vrai’’.

À l’instar de Lamine Touré, Mame Less se distinguait également par son esprit critique. ‘’Il trouvait toujours les mots justes pour s’exprimer. Même sur des sujets tabous, il avait un langage pour les aborder’’, affirme Sène.

Ancien secrétaire général du SYNPICS, Mame Less était un fervent défenseur de l’éthique et de la déontologie journalistique. Diatou Cissé le décrit comme ‘’un modèle accompli d’intégrité, détaché des biens matériels et des mondanités’’.

‘’La personnalité de Mame Less Camara se caractérisait par son détachement absolu vis-à-vis des questions matérielles. À la limite, il n’avait aucune volonté d’accumulation’’, renchérit-elle.

Son ancienne collègue de la BBC, Racky Noël Wane, le décrit comme un homme de foi et de conviction, respectueux et respecté par tous. ‘’Il imposait le respect par le respect qu’il manifestait aux autres, qu’ils soient jeunes ou expérimentés’’, assure-t-elle.

Personnes intègres et formateurs brillants

Sympathique et chaleureux avec ses collègues, Mame Less était généreux dans la transmission et le partage de connaissances, se rappellent en chœur ceux qui l’ont connu ou fréquenté. ‘’Mais il était aussi ferme dans ses décisions. À plusieurs reprises, il a quitté les médias par conviction’’, souligne Ousmane Sène.

Liés par un destin quasi commun, Lamine Touré et Mame Less ont mis leur expertise au service de la formation des étudiants en journalisme du CESTI.

Mame Less fut ‘’un excellent pédagogue qui a marqué les étudiants en journalisme, lesquels lui vouaient une grande admiration’’, reconnaît le journaliste Mamadou Koumé, ancien directeur général de l’Agence de presse sénégalaise (APS). ‘’Malgré ses soucis de santé, Less s’organisait toujours pour dispenser son enseignement’’, ajoute l’ancien directeur des études au CESTI. Et Diatou Cissé d’ajouter :  »il a beaucoup apporté à ses étudiants, avec une grande générosité et un profond patriotisme’’.

Formateur en radio, Lamine Touré est lui aussi décrit par ses anciens collègues et étudiants comme un formateur exigeant et rigoureux, dont l’unique critère était le sérieux dans l’exercice de la profession.

Ousmane Sène, qui faisait partie de la première promotion formée par Lamine au CESTI en 2002, loue ses qualités pédagogiques. ‘’Lamine savait enseigner. Or, enseigner, c’est aussi savoir orienter. Si vous n’étiez pas fait pour la radio, il vous le disait clairement. Mais si vous aviez du potentiel, il vous aidait à vous améliorer, à vous réorienter pour atteindre l’excellence’’, explique-t-il. Avant d’ajouter : ’’je disais souvent que Lamine était un tronc sur lequel de nombreuses jeunes pousses s’épanouissaient, et qui ont donné aujourd’hui de beaux fruits dans cette profession’’.

Nées avant les indépendances, ces deux figures emblématiques de la radio partageaient une origine commune : le Mali, l’ancien Soudan français. Mame Less est né dans la ville de Rufisque, au quartier Keury Kao, d’un père cheminot et d’une mère au foyer. Après une maîtrise en philosophie à l’UCAD, et sur le conseil de son ami intime, le journaliste Ass Mademba Ndiaye, il réussit le concours du CESTI dans les années 1980.

Lamine Touré, quant à lui, a vu le jour au quartier Gueule Tapée de Dakar. Selon son parent Dadji Touré, ancien de Radio Sénégal, ancien rédacteur en chef de la radio Convergence FM, le regretté journaliste et formateur a suivi ses études au Maroc, où il a obtenu un diplôme à l’Institut supérieur de journalisme de Rabat, au Maroc. Journaliste brillant, Lamine Touré a remporté en 2002, le Prix de l’Union radiophonique et télévisuelle internationale.

Même après leur disparition, le destin a une fois de plus réunis Lamine Touré et Mame Less Camara. Tous deux reposent désormais au cimetière musulman de Yoff, laissant derrière eux un héritage impérissable.

BB/ABB/HB/SKS/AB

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