Par Ibrahima Diébakhaté (texte) et Aliou Sylla (photo)

Kédougou, 26 août (APS) – L’orpaillage à grande échelle sur la Falémé, à l’origine d’une forte pollution du fleuve, affecte l’écosystème, la pêche et l’agriculture, dénoncent des populations riveraines du principal affluent du fleuve Sénégal.

Les animaux sont en voie de disparition et ne boivent plus l’eau du fleuve devenue impropre, s’inquiète Kama Dansokho, président des jeunes du village de Kolia. Il ajoute que les autorités sénégalaises et maliennes sont au courant de cette situation.

Les nappes phréatiques sont pratiquement contaminées par les produits toxiques. Ce qui impacte la santé des populations, surtout les femmes enceintes, fulmine-t-il.

‘’Plusieurs villages” ne bénéficient pas d’opérations de pulvérisation contre les moustiques, et pire encore, “d’autres sont enclavés et n’ont pas de poste de santé pour des soins médicaux”. En raison de cet état de fait, déclare-t-il, “les populations se soignent dans les postes de santé clandestins au Mali’’.

Le directeur du centre anti-poison au ministère de la Santé et de l’Action sociale, Professeur Mamadou Fall, a réalisé une enquête sur des personnes atteintes par les effets de l’exposition au mercure et souffrant de paralysie flasque. Il a mené cette enquête dans le cadre d’une mission de santé dans la zone de la Falémé située dans le département de Saraya.

‘’Au moins une dizaine de personnes, surtout des enfants vivant aux abords de la Falémé, sont atteintes de mercure, et deux femmes enceintes sont décédées, il y a de cela deux ans. Récemment, le mercure et le cyanure avaient même atteint le bétail qui boitait’’, a relevé le toxicologue.

Le Professeur Mamadou Fall alerte aussi sur de la présence de l’arsenic, ‘’un produit très dangereux’’ pour la santé des personnes, sur le sol de la Falémé.

‘’Cet arsenic peut se libérer du sol et contaminer les nappes phréatiques. C’est un produit qui n’a ni goût ni odeur. La population de la Falémé peut consommer une eau contenant de l’arsenic, sans s’en rendre compte’’, prévient le spécialiste.

Il a sensibilisé le personnel médical communautaire sur les risques liés à l’utilisation du mercure et du cyanure dans les eaux et à l’aire libre. Il l’invite à recommander aux populations locales de faire des analyses médicales.

‘’Il y a un problème sanitaire et de désastre écologique qui se pose au niveau de la zone Falémé, et il est nécessaire que les populations fassent des analyses, pour voir si elles ne sont pas atteintes’’, suggère-t-il. Il signale que ‘’des études cliniques ont détecté la présence des métaux polluants très toxiques dans les corps des orpailleurs’’.

”Des traces de produits chimiques, de métaux lourds’’

Le chef de la division de l’environnement et des établissements classés (Dreec), Maurice Coly Ndior, affirme que les activités menées ne respectent pas les obligations légales. Les entreprises semi-mécanisées et l’orpaillage à grande échelle au niveau de la Falémé ne respectent pas la sécurité et la distance environnementale et sociale, déplore-t-il.

‘’C’est une activité qui n’est pas contrôlée du point de vue environnemental, puisqu’il n’y a aucun contrat liant l’administration environnementale à ces exploitants semi mécanisés (…)’’, fait-il observer. S’y ajoute selon lui ‘’l’usage des produits prohibés, comme le mercure et les acides, et à côté, des bassins de cyanuration au niveau de la Falémé’’.

Déplorant la pollution de la Falémé, il fait état de la présence de ‘’traces de produits chimiques, de métaux lourds partout au niveau de la Falémé’’, un affluent du fleuve Sénégal qui alimente le lac de Guiers, la principale source d’alimentation en eau potable de la région de Dakar. A l’en croire, ces métaux peuvent avoir des conséquences sanitaires, à travers notamment la consommation de l’eau et d’autres produits naturels.

L’agriculture et la pêche au ralenti

L’utilisation des produits chimiques et des acides a réduit les activités agricoles et de l’élevage, dans toute la zone de la Falémé, ajoute le chef de la division régionale de l’environnement.

Les poissons sont devenus très rares à cause des activités polluantes des orpailleurs qui détruisent en même temps les périmètres maraîchers des groupements de femmes au bord du fleuve, dans la zone de la frontalière située vers Moussala.

‘’Il n’y a plus de poissons dans le fleuve à cause de l’utilisation des machines et des produits toxiques’’, alerte Bamba Toué, pêcheur à Faranding. Il en est de même pour les hippopotames et les crocodiles, fait-il remarquer.

C’est la pêche qui lui permettait de nourrir sa famille et d’acheter des machines et des produits agricoles pour cultiver pendant hivernage. ‘’Actuellement, on ne peut pas faire de la pêche. Tout est pollué’’, s’indigne-t-il.

Kémokho Sissoko, pêcheur et père de sept enfants, est en train de subir le même sort que Bemba Touré. L’orpaillage clandestin a fait disparaître la pêche fluviale, une activité héritée de ses parents. Très nostalgique, il raconte que le fleuve était très poissonneux.  Il était également peuplé d’autres espèces, comme les crocodiles et les hippopotames.

Sina Conta, un pécheur malien rencontré sur la rive sénégalaise de la Falémé, déplore lui aussi la raréfaction des poissons à cause du dragage du cours d’eau et des produits toxiques.

’J’ai parcouru environs plus de deux kilomètres, mais je n’ai pas deux poissons. Auparavant, j’avais la pirogue pleine de poissons même en saison sèche en moins de deux heures’’, lance-t-il, après une matinée de pêche infructueuse.

Toutes les femmes vivant le long de la frontière ne pratiquent plus de maraîchage à cause de la pollution de l’eau et des produits nocifs, se désole la présidente des groupements de femmes du village de Sansamba.

‘’L’eau n’est pas potable, et tous nos périmètres de maraîchage dans la zone sont asséchés. Et nous sommes retournées aux activités de l’orpaillage, parce que nous ne savons pas quoi faire’’, dit-elle, en guidant la visite d’une équipe de l’APS.

La quasi-totalité des forages répertoriés sont utilisés pour l’exploitation aurifère. Les principaux exploitants sont des ressortissants chinois et des orpailleurs traditionnels.

‘’Les premiers cités ont installé leurs bases près de la Falémé, notamment dans les villages de Daworola et de Bountoung, dans le département de Saraya’’, renseigne Mamadou Diop, chef de la brigade des ressources en eau de Tambacounda et de Kédougou, dans le cadre d’une visite de terrain et d’inventaire des forages.

Il déclare que pour le traitement de l’or, une importante quantité d’eau est puisée du fleuve, laquelle est ensuite rejetée et déversée ”dans le lit de la Falémé’’. Selon lui, les produits utilisés agressent la nature et s’infiltrent ‘’dans la nappe souterraine sans ouvrage de suivi’’, comme le piézomètre.

Les orpailleurs traditionnels sont pour la plupart installés  sur des sites situés au bord de la Falémé, où ils réalisent des forages, précise M. Diop.

Selon lui, ‘’l’eau ayant servi au traitement de l’or est déversée librement dans la nature’’. Il ajoute qu’’’un important lot de machines cracheuses servent à broyer finement et à malaxer les couches du sous-sol contenant de l’or’’. Ces machines consomment une ‘’importante’’ quantité de gasoil et de lubrifiants. Des produits qui ‘’s’échappent vers les cours d’eau et dans la nature’’.

Le chef de la brigade des ressources en eau de Tambacounda et de Kédougou précise que la commune de Missirah Sirimana compte 164 forages recensés dans 11 villages situés le long de la Falémé.

Le constat est le même dans la commune de Tomboronkoto où des ressortissants chinois et les orpailleurs traditionnels sont installés au bord du fleuve Gambie. Ils procèdent au dragage de cours d’eau et creusent le sol à la recherche du métal jaune.

Les villages de Tambanoumouya et de Kerekonko abritent l’entreprise Noga Mine et une autre entreprise chinoise dénommée Cilaze mine, qui pratiquent un orpaillage semi mécanisé au bord du fleuve. Ils creusent des galeries partout à la recherche du métal jaune.

‘’Ils sont installés à côté du fleuve, parce qu’ils ont creusé de gros trous avec de gros engins et de machines cracheuses.  Maintenant, ils tirent l’eau du fleuve pour laver l’or. Après, ils déversent les produits chimiques dans les profondeurs et dans la nature. Et il n’y a plus d’eau dans ces localités’’, dénonce Doudou Dione Dramé, lanceur d’alerte dans la commune de Tomboronkoto.

PID/ASB/OID/AKS/ASG

 

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