SENEGAL-CULTURE-REPORTAGE
Par Aïssatou Bâ
Dakar, 21 nov (APS) – L’exposition “Fu Yanor” (Rencontre, en diola) de l’artiste plasticien sénégalais Landing Atouka Diémé s’appuie sur une démarche artistique consistant à révéler la puissance de la lumière sur l’obscurité.
L’APS vous propose une visite guidée de cette exposition clôturée mardi. L’affluence n’était pas au rendez-vous ce jour-là, comme si les amateurs avaient eu le temps de faire un saut à la Galerie nationale d’art de Dakar, sachant que l’évènement a duré près d’un mois, du 23 octobre au 18 novembre.
Le détour en valait la peine, tant Landing Atouka Diémé a su mettre en scène les interactions sociales, à travers des “œuvres hybrides” faisant ressortir “le comportement changeant de l’humain”, selon les circonstances.
Dès l’entrée, une vue d’ensemble de l’exposition fait d’ailleurs penser à la fameuse métaphore philosophique : “L’homme est un cauchemar”, en écho à l’adage wolof : “Nit dafa leundeum”.
Lamine Atouka Diémé acquiesce. “Il n’y a pas mal d’hypocrisie dans la société actuellement”, lance-t-il. Selon lui, cette dérive s’explique par le fait que “les gens n’ont pas eu la chance de dompter leur âme”.
Et c’est à cette tâche existentielle de “dompteur des âmes”, qu’il tente de s’atteler, armé de son pinceau. D’où le choix des couleurs vives (jaune, orange, vert, etc.) qui peuplent ses tableaux, symbolisant ainsi l'”espoir”, la “richesse’”…
Dans le cadre de son exposition, la démarche artistique de Diémé veut révéler la puissance de la lumière sur l’obscurité.
Des œuvres qui nourrissent l’espoir
“Ces couleurs vives que nous avons utilisées appellent à la positivité dans la vie. Il faut dompter l’âme”, dit-il.

Pour cela, quoi de plus symbolique que la figure de l’enfant, dont toutes les religions et sagesses populaires évoquent la pureté et l’innocence ?
Le grand tableau en toile acrylique mettant en exergue des figures flottantes, des femmes et des enfants, lors d’un rituel diola, l’appréhende à merveille.
Dans cette œuvre dominée par les couleurs orange et verte, rappelant la végétation luxuriante de la région de Casamance, des femmes en prière implorent le ciel de doter leur jeune progéniture d’une destinée radieuse.
“Ce tableau évoque les préparatifs d’une activité de foi, où les femmes se regroupent pour prier pour le destin de leurs enfants. Cet espoir est symbolisé par la couleur orange”, fait savoir l’artiste-peintre.
Sur d’autres cimaises accrochées aux parois de la Galerie nationale, la couleur marron, équilibre chromatique du sombre et du clair, règne en maître.
“Le marron est le symbole de la terre”, la couleur de l’argile, la matière avec laquelle Atemit, le nom de Dieu en langue diola, a façonné l’être humain.
Il s’agit, selon Diémé, de rappeler que la vie de l’Homme, mi-ange mi-démon, oscille entre lumière et obscurité, entre le bien et le mal.
Par cette œuvre, renforcée par d’autres dominées par la présence des couleurs noire et blanche, l’auteur met l’humain devant ses responsabilités et le fait prendre conscience des conséquences de ses actes positifs comme négatifs.
Dompteur des âmes, Landing Atouka Diémé entend également amener les humains à bannir leurs défauts comportementaux.
Sur ces tableaux, où des figures sont taillées au couteau, il met en lumière “l’hypocrisie [qui] sévit dans la société”, “le règne de la loi du plus fort”, etc.
“Ici, dit-il faisant référence à +Baying Baying+ (Nomade), on voit comment les masques peuvent tomber. Cela est symbolisé par des nomades, qui peuvent également représenter ceux qui ont du pouvoir et cherchent à tout écraser autour d’eux”.
“Démasquer pour découvrir”
En artiste militant, le peintre dit inviter à “démasquer pour découvrir” celui ou celle qui se cache derrière le masque de l’hypocrisie, afin de “mieux se protéger” des mauvaises surprises.
“Il y a beaucoup de trahison dans notre société actuellement. Les gens ne sont pas positifs. Pour être positif, il faut dompter son âme”, pense-t-il.
L’artiste ne désespère toutefois pas de l’homme. Sur une des parois blanches de la Galerie nationale, sa fresque “Bes bi nuy daje” (Le jour de notre rencontre) attire le regard. Elle évoque l’espoir d’une belle communion, de la fusion, notamment entre l’homme et la femme.
“Ce tableau renvoie à l’espoir d’une belle amitié entre un homme et celle qui deviendra sa femme plus tard, malgré l’opposition de la famille”, explique son auteur.
Quand à “Kaguamor” (Conseil, en diola), il met en exergue la “purification de l’âme” à travers un dialogue et un échange entre une femme assise sur un banc et son entourage.
“Chez nous, les Diolas, nous avons la chance de savoir comment vivre dans la droiture, dans la vérité, comment dompter l’âme. Et c’est tout cela que j’expose dans ce tableau”, signale Landing Atouka Diémé.
L’art comme arme de résistance
Chaque tableau de son exposition est porteur d’un message, comme une réponse à une interrogation métaphysique. ”L’être humain est parfois appelé à se poser des questions sur son identité, qui est difficile à cerner. Mais connaître le pouvoir de Dieu permet de se connaître soi-même, même s’il est toujours difficile de comprendre réellement d’où l’on vient, quelle est notre mission”, dit-il, philosophe.
Outre la peinture, Landing Atouka Diémé excelle également dans le domaine des installations artistiques. Celle qu’il a montée à l’aide de petits tableaux, renvoie à “la vie dans la banlieue avec sa population flottante”.
“Je représente la population flottante. Ces gens de la banlieue, qui vivent dans des conditions très difficiles, dans l’obscurité. L’idée, ici, était de les galvaniser, de leur faire savoir qu’elles peuvent s’en sortir dans la vie”, affirme-t-il.
L’installation appelle également à la résistance face à l’adversité, “au grand combat de la vie”, symbolisée par un grand tableau impossible à rater pour le visiteur.
“Il représente le monde plongé dans les guerres et appelle les populations à forger un caractère résistant pour les affronter”, résume l’artiste peintre.
L’exposition “Fu Yanor” (Rencontre) abritée par la Galerie nationale d’art de Dakar, s’inscrit dans le cadre de la saison culturelle 2025-2026.

AMN/SBS/ABB/BK

