SENEGAL-POLITIQUE-JUSTICE
Dakar, 2 mai (APS) – L’Assemblée nationale a levé, vendredi, l’immunité parlementaire de Moustapha Diop et de Salimata Diop, ouvrant ainsi la voie au déclenchement des poursuites judicaires contre les deux anciens ministres de l’ex-président Macky Sall (2012-2024), mis en cause dans le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds dédiés à la lutte contre la Covid-19.
”Cette enquête de la Cour des comptes avait été remise au président de la République d’alors, Macky Sall, qui avait la possibilité de garder le dossier. Mais il avait opté de le transmettre au procureur de la République près le tribunal de grande instance hors classe de Dakar’’, a déclaré le député Abdoulaye Tall (PASTEF, pouvoir).
Le président de la Commission ad hoc chargée de statuer sur la demande de l’immunité parlementaire des députés Moustapha Diop et de Salimata Diop estime que cet exercice parlementaire est motivé par une loi votée en 2012.
Selon lui, ‘’le nouveau procureur a hérité de ce dossier (…) et est en train de laisser la justice faire son travail pour situer les responsabilités dans cette affaire pour laquelle cinq anciens ministres sont cités dont deux députés’’.
Il a indiqué que la Commission ad hoc a veillé à la régularité de la procédure concernant cette affaire.
”Il est de notre responsabilité que la justice puisse faire son travail sans entrave et de lui laisser les coudées franches pour qu’effectivement l’œuvre judiciaire soit rendue au grand bonheur du peuple sénégalais’’, a t-il déclaré.
Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Ousmane Diagne, est revenu sur les différentes étapes de la procédure, notamment sur les éléments de l’enquête relative à la gestion des fonds Covid-19.
M. Diagne a indiqué que le procureur général près la Cour d’appel de Dakar lui a transmis des dossiers relatifs aux enquêtes à la suite du rapport de la Cour des comptes sur les fonds Covid-19 et une note y afférente.
Il résulte des enquêtes sur la gestion de ces fonds que ‘’le ministère du Développement industriel et des Petites et Moyennes Industries a bénéficié d’un montant de 2 milliards 500 millions F CFA pour l’acquisition de masques’’, a t-il relevé.
De même, l’enquête a également révélé que les dépenses d’acquisition ont été faites en espèces, ce qui ne permet pas de retracer les opérations de paiement.
”Le ministre Moustapha Diop a ensuite, en violation de l’article 11 de l’arrêté du 21 novembre 2017 (…) portant conditions d’ouverture, de fonctionnement et de clôture des comptes de dépôt, nommé un gestionnaire dudit compte, seul ordonnateur des paiements et décaissements’’, a-t-il indiqué.
M. Diagne a expliqué que ledit gestionnaire a soutenu avoir retiré l’intégralité du montant par différents chèques pour le paiement en espèces de fournisseurs en vue de l’acquisition de 6 millions 250 mille masques.
L’ancien gestionnaire du ministère de l’Industrie ‘’a reconnu avoir procédé, sur instruction de son ministre de tutelle, à des paiements en espèces en violation de l’article 104 du décret n°2020-978 du 23 avril 2020 portant règlement général sur la comptabilité publique qui exige un paiement par chèque ou par virement’’.
Entendus au cour de l’enquête, deux fournisseurs ont reconnu avoir respectivement reçu du ministre Moustapha Diop l’attribution de marchés de 50 000 et 250 000 masques d’une valeur de 20 millions FCFA et 100 millions FCFA. Ils ont précisé avoir reçu le paiement de ces montants en espèces des mains du ministre Moustapha Diop, a poursuivi le ministre de la Justice.
Pour sa défense, l’ancien ministre Moustapha Diop a indiqué que le programme national de confection de masques pour un montant de 2 milliards 500 millions FCFA était attribué à son département durant la période de la pandémie.
Il a estimé que ses services ont convenablement géré les fonds en question même si le seul manquement a été d’avoir effectué des paiements en espèces.
”Le fait de payer en liquide n’est un délit pénal, c’est une faute de gestion’’ qui est jugée par ‘’la chambre de discipline financière de la Cour des comptes’’, a t-il soutenu. De plus, a t-il rappelé, une loi d’habilitation avait été votée par l’Assemblée nationale qui stipulait ”qu’il n’y avait plus de Code des marchés”.
Pour lui, il n’y a pas d’irrégularités dans la procédure concernant les décaissements.
”Je suis ministre de la République, je ne suis pas administrateur de crédits, ni ordonnateur de dépenses, ni responsable de programme. Il y a aucune base pour me poursuivre”, a t-il dit, estimant être victime d’acharnement, d’abord dans l’affaire l’opposant à l’ancienne inspectrice du Trésor Tabaski Ngom et maintenant sur les fonds Covid-19.
Le ministère de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants (MFFGPE), dirigé au moment des faits par Salimata Diop, avait reçu un crédit de 150 millions FCFA.
Le rapport de la Cour des comptes a souligné que des justificatifs de dépenses d’un montant de 36 millions 147 mille 500 FCFA supposées avoir été réalisées étaient les mêmes que ceux qui avaient été produits pour les opérations de la caisse aide et secours.
Sur ce point justement, le rapport précisait que les aides et secours avaient été versés à des personnes ayant les mêmes prénoms et noms avec des numéros de carte nationale d’identité similaires et parfois les mêmes adresses pour des montants différents évalués à 52 millions 223 mille 300 FCFA.
Lors des enquêtes, le directeur de l’Administration générale et de l’équipement (DAGE) du MFFGPE a révélé que certains de ces supposés bénéficiaires étaient en réalités les fournisseurs. Il a même indiqué que l’autre partie de ce montant s’élevant à 22 millions 367 mille 300 FCFA avait été distribuée à titre d’appui financier au profit des agents du ministère sur décision de l’autorité sans autre précision.
Relativement à cette caisse d’avance, la Cour des comptes avait révélé que l’utilisation d’un montant de 4 millions 828 mille 700 FCFA n’avait pu être justifiée.
En conclusion, la Cour des Comptes a retenu que le directeur s’est retrouvé dans l’incapacité de justifier les dépenses pour un montant de 52 millions 223 mille 300 FCFA.
D’autres dépenses ont été effectuées au profit de tiers frauduleusement rattachées à des structures à leur insu avec l’imitation de leur signature et la mention de fausses références de cartes nationales d’identité ou encore de prêts octroyés à des tiers non remboursés.
Le DAGE dit avoir agi avec l’accord parfois écrit du ministre pour effectuer les dépenses et les décaissements. Il a également reconnu avoir usé de fausses décharges cautionnées par le chef du bureau de suivi de la DAGE pour justifier ces dépenses non répertoriées, qui avaient en réalité été exécutées sur instructions de son ministre.
Assurant sa défense devant ses collègues parlementaires, Salimata Diop a dit porter ‘’la dignité d’une républicaine engagée qui a consacré 40 ans de sa vie à l’intérêt général, à la justice sociale et à la protection des couches vulnérables et très souvent à des postes de très haute responsabilité dont cinq ans comme ministre’’.
L’ancienne ministre de la Femme de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants (MFFGPE) dans le dernier gouvernement de Macky Sall a réfuté “les accusations fallacieuses” de ”complicité et de détournement de deniers publics”.
Elle a dénoncé ”une affaire politique” dans ce dossier dont le montant après rectification des erreurs de calcul et élimination des doublons s’élève, selon elle, à 44 millions 813 mille 700 FCFA.
”Je n’ai été ni complice, ni témoin (…). Ma vie est un livre ouvert, mon patrimoine connu, mon engagement constant. Les faits sont indiscutables’’, a t-elle clamé.
Elle a cité ”les actions humanitaires” réalisées sous sa responsabilité dans le cadre du programme dédié au retrait des enfants de la rue durant cette période de pandémie.
”Je fais confiance à notre justice et à sa capacité à faire triompher la vérité. Il y a eu aucun enrichissement ni détournement, ni complicité. Il y a eu une action humanitaire menée avec dévouement pour des enfants de notre nation”, a-t-elle soutenu.
Mme Diop a dit espérer que toute ‘’la lumière’’ sera faite dans cette affaire et que ‘’les pièces justificatives soient examinées, que les bénéficiaires soient entendus’’.
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