SENEGAL-ENTREPREUNARIAT
Dakar, 11 juin (APS) – Salif Ba, 32 ans, a longtemps rêvé de ”l’Eldora” américain, avant de se résoudre à revenir vers la terre de ses aïeux à Ndoyène, un village de la commune de Sébikotane, à la sortie de Dakar, où il se consacre désormais à l’agriculture et à la culture de fraises. D-Fraises, la chaîne de distribution qu’il a mise en place, symbolise ce retournement complet de perspective.
Salif a fait tout son cursus scolaire (primaire et secondaire) à Sébikotane, avant de rejoindre l’université Cheikh Anta Diop de Dakar après son baccalauréat. Il y obtiendra un master 2 en civilisation américaine.
“Le rêve américain était le thème que j’avais choisi pour mon mémoire, et c’est cela qui m’a orienté vers l’agriculture, créant un déclic personnel. J’ai réalisé que ce que l’on recherche ailleurs en matière de réussite, on peut le trouver dans son pays, dans son terroir”, explique-t-il.
En 2019, il se rend dans un champ de fraises à Ndoyène, en achète et les commercialise. La vente est un succès.
Il réalise tout l’intérêt que suscite cette activité à laquelle il s’adonne pendant presqu’une année, avant d’aller plus loin, en s’investissant lui-même dans la culture et la production de fraises.
“Dans cette zone, on cultivait la fraise depuis plusieurs années, mais cette culture n’était pas valorisée, donc j’ai essayé d’apporter une touche nouvelle” à cette activité, raconte-t-il.
Le site d’un hectare 200 mètres carrés qui lui sert désormais de champs appartenait à son père.
Salif Ba précise avoir racheté ces terres après sa première campagne.
“Je me suis dit qu’au lieu de rester là à théoriser, il faut essayer d’être le premier pratiquant”, note le promoteur de D-Fraises. Une résolution qui montrait alors toute la détermination du jeune agriculteur à trouver sa voie à travers sa nouvelle activité.
Abdou Touré, activiste écologiste et administrateur de “Quartier vert challenge” sur le réseau social X, a connu Salif Ba à cette époque.
“C’est quelqu’un qui est très concentré sur ses objectifs. Il sait qui il est, d’où il vient, là où il va”, affirme ce dernier en parlant du promoteur de D-Fraises.
L’activiste, plus connu sous le pseudonyme de “Tonton vert”, insiste en faisant observer que “chaque année, Salif avance et pose de nouveaux jalons”.
De fait, Salif Ba ne se limite pas à cultiver des fraises. Il fait aussi pousser des agrumes (pamplemousses, oranges locales et clémentines), ainsi que du manioc, de la papaye, de la mangue et du corossol.
“J’ai constaté qu’au Sénégal, les fruits sont assez chers et pas accessibles aux populations. A partir de là, je me suis dit qu’il ne faut pas se limiter à la culture des fraises, qu’il fallait faire de l’arboriculture”, explique-t-il.
Les fraises restent cependant son “domaine de prédilection”, même s’il avoue que la culture de ce fruit importé d’Europe, qu’il a fini par maîtriser à force d’engagement, reste “un peu compliquée”.
“Lorsque j’ai découvert qu’il faisait de l’agriculture spécialisée à travers la fraise, je me suis rapproché de lui car étant très intéressé à tester la fraise en mode hors-sol. Lui a un grand champ et moi j’ai une terrasse”, confie “Tonton vert”.
Etant entendu qu’il n’avait encore jamais vu des gens cultiver des fraises sur une terrasse, il a alors demandé à Salif de le “coacher”.
“C’est comme cela que notre aventure a commencé. Nous sommes devenus très proches, et je suis allé plusieurs fois chez lui, dans son champ pour des immersions et des cours”, raconte l’écologiste avec enthousiasme.
Son ami Salif, guidé par son envie de se perfectionner, continue de s’imprégner de tout ce qui concerne la fraise au Sénégal et à travers le monde, histoire d’en savoir toujours un peu plus et de se mettre à l’heure des dernières tendances et innovations.
“Moi, j’ai eu la chance de maîtriser l’anglais. Or, aujourd’hui, beaucoup de documents scientifiques disponibles parlant de l’agriculture sont en anglais. Tout cela fait que je peux m’améliorer au quotidien, en ayant un plus”, souligne le jeune homme.
Salif côtoie aussi “beaucoup” les producteurs locaux. Cela le place dans une position qu’il juge idéale, “en apprenant des locaux et en ajoutant sa touche” personnelle, dans l’objectif de booster sa production et ses ventes.
“Nous sommes aujourd’hui à notre 41ème récolte, avec une tonne 600 kg cette année pour la fraise prémium”, variété différente de la fraise dite deuxième choix, plus amère et utilisée pour les jus et la transformation agroalimentaire.
Le promoteur de D-Fraises accorde de la même manière une grande importance à sa clientèle et lui fournit des fraises mûres et sucrées.
“Beaucoup se plaignent de manger des fraises acides ; c’est parce que, quand on les cueille, elles ne sont pas assez mûres. La conservation est compliquée, donc certains préfèrent cueillir des fraises qui ne sont pas assez mûres afin de les commercialiser”, dit-il.
Salif, pour sa part, a recours à un système “assez particulier”, consistant à vendre directement à ses clients sans passer par les grandes surfaces.
“L’idée est de cueillir le matin et de livrer aux clients en moins de 2 heures de temps. Ainsi, ils auront des fraises fraichement cueillies, sucrées, en pleine forme, avec la bonne taille et gardant le parfum”, assure-t-il avec passion.
L’agriculture est généreuse mais demande de la patience
“Tonton vert” se dit sûr d’une chose : Salif respecte sa clientèle et reste un vrai chef d’entreprise.
“C’est un vrai leader. Il respecte sa clientèle, c’est pourquoi il est toujours au champ. En plus, il est très résilient. On ne le rencontre pas dans les forums et les conférences”, dit-il.
Dès l’aube, Salif Ba est dans les champs. Au four et au moulin.
“Il gère le système d’arrosage, il vérifie la qualité. Il est au début et à la fin de la chaîne même pour la livraison. Il ne confie jamais ses tâches, il est toujours avec ses ouvriers”, ajoute “Tonton vert”.
C’est dire que rien n’entrave la détermination de Salif Ba, même pas le coût élevé des investissements, parce que pour dire vrai, la culture de fraises demande des moyens financiers importants.
“Les plantes et les boutures nous viennent de l’Europe et sont un peu chers. La caisse de 500 plants nous revient à 120 000 francs CFA. Imaginez, si vous voulez un demi-hectare ou un hectare. Seulement les semences peuvent avoisiner dans ce cas 10 à 20 millions sans calculer les autres charges”, explique le jeune agriculteur.
Il considère que tout tout est une question de patience et l’agriculture “n’en demande pas moins”. Sans compter que la culture des fraises est “heureusement” un peu rentable, ce qui permet d’amortir les coûts.
“Il faut savoir que l’agriculture est généreuse mais demande de la patience, et si les jeunes sont patients, ils n’auront rien à envier aux bureaucrates”, soutient Salif Ba, qui “vise loin” et veut arriver à une économie circulaire basée sur l’agroécologie.
“Nous n’utilisons pas de pesticides et nous faisons de notre mieux pour nous approcher de l’idéal bio, c’est-à-dire avoir une ferme intégrée où l’on a tout ce que l’on consomme au niveau du champ. Nous avons un poulailler, nous allons démarrer avec nos vaches et c’est de là que nous allons tirer du fumier pour les plants”, révèle-t-il.
Selon Salif Ba, plus généralement, la vision de l’agriculture doit changer.
“Pour assurer l’autosuffisance alimentaire, observe-t-il, il faut que les jeunes s’impliquent dans l’agriculture, car ils ont étudié et maîtrisent mieux les règles et les normes que nos parents”.
En accord avec cette idée, depuis plusieurs années, Salif fait travailler des étudiants, élèves et femmes de son village.
“Le fait de les faire travailler, lui permet de les payer au lieu d’octroyer une aide ponctuelle à chacun. Il intègre ainsi sa communauté et l’implique. Sa gentillesse est extraordinaire”, s’émerveille Abdou Touré.
Après avoir visité plusieurs pays comme la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Ghana, Salif voit “les choses en grand” et “souhaite hisser” partout en Afrique le drapeau de la fraise sénégalaise.
“Nous avons la chance d’être parmi les premiers producteurs de fraises en Afrique de l’Ouest. Donc, c’est à nous d’exporter cette culture et de faire profiter aux autres de notre expérience et de notre avancée”, conclut-il avec la détermination de celui qui sait exactement où il veut aller.
MFD/BK/ASG