Envoyée spéciale de l’APS : Adama Diouf LyAddis-Abeba, 19 nov (APS) – Elles sont venues du Tchad, de l’Ouganda, du Kenya pour partager à la tribune de la 18ème Conférence Economique africaine (CEA) ouverte à Addis-Abeba leurs expériences de femmes d’entreprises, jalonnées d’embuches, mais qui peuvent servir de modèles de persévérance, d’inspiration à d’autres femmes qui veulent emprunter le chemin de l’entreprenariat.Alors que l’Afrique s’engage sur la voie de l’industrialisation, ‘’il devient primordial de garantir l’inclusion’’ pour que les femmes puissent avoir une place centrale pour garantir des résultats de développement inclusif et durable’’, selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies à l’initiative de la rencontre.Les femmes comme Lucia Namubiru à la tête d’une usine de pulls, la première en Afrique de l’Est, Awatif Baroud, tchadienne qui dirige une entreprise de fabrication de cosmétiques à base de produits locaux ou encore Irène Kirimé du Kenya qui a trouvé la parade en instituant une »grande tontine » pour financer des activités de femmes à travers tout le pays.Elles sont activement impliquées dans des secteurs critiques tels que l’agriculture, la transformation des aliments, les cosmétiques, le cuir, les textiles, le tourisme, l’hôtellerie et les services professionnels à travers le continent.Lucia Namubirula la dame aux pulls colorésLucia Namubiru, ougandaise, la cinquantaine est à la tête d’une usine de confection de pulls et de sweats ouverte en 2008, devenue leader aujourd’hui en Afrique de l’Est.Du haut de la tribune de la CEA, habillée d’un pull vert gris, écharpe aux couleurs de son pays, elle a captivé l’attention du public dans une narration d’une voix grave pour partager son expérience.Elle débute en 1998 quand elle a décidé avec de petites économies d’acheter trois machines au Kenya.‘’Les pulls et les sweats portés par les hommes et les femmes venaient du Kenya et n’étaient pas de bonne qualité puisqu’ils étaient renouvelés chaque période de froid. C’est là que j’ai décidé d’investir le marché ’’, a expliqué Lucia Namubiru.Les premiers pulls confectionnés furent présentés aux écoles pour accompagner les tenues des élèves. Les écoles servies, suivront d’autres commandes, puis l’achat de machines plus performantes pour satisfaire le marché ougandais mais également la plupart des pays de l’Afrique.Inspirée par sa maman qui aimait entreprendre, Lucia a suivi ses pas pour être aujourdhui à la tête de ‘’LUNAS entreprises’’ qui exporte ses produits vers le Canada, l’Angleterre et les Etats-Unis. Les pulls sweats et écharpes sont vendus partout dans le monde à travers des expositions. En 2016 et 2022 elle a été choisie meilleure entrepreneure par East African Jua Kali Exhibitions. En Californie, elle dispose d’une antenne de distribution.Aujourd’hui, elle produit 600 à 700 pulls par mois, prévoyant dans quelques mois d’acheter des machines performantes en Turquie pour produire une centaine de pulls par jour afin de mieux couvrir le marché international.‘’Si vous restez seule dans votre atelier, vous n’aurez pas accès aux informations et aux opportunités’’, a-t –elle dit à l’endroit des femmes qui développent des activités génératrices de revenus. Membre de nombre d’organisations et de réseaux de femmes entrepreneures, elle a souligné que c’est un moyen de tisser des liens et de percer les marchés extérieurs, même si le manque de capitaux reste encore un défi à relever pour les femmes.‘’Il est difficile pour les femmes d’élargir leurs activités de la petite échelle à l’expansion du fait de manque de garanties’’, a souligné Lucia Namubiru.A l’attention des gouvernants, elle a également plaidé pour la libre circulation des biens et des services au niveau du continent, relevant à ce niveau que c’est paradoxal de vouloir faire des échanges commerciaux si on a un problème de déplacement d’un pays à un autre en Afrique avec les visas à l’intérieur du continent.Awatif Baroud : de l’UCAD à BeÏt MamanTchadienne d’origine, Awatif Baroud, dans sa tenue traditionnelle en brodé, portée en mode ‘’meulfeu’’ comme les mauritaniennes, a également investi le secteur de la maroquinerie moderne, de la parfumerie traditionnelle et du cosmétique avec des produits locaux.En première année de Pharmacie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en 1992, elle a décidé de tout abandonner pour rentrer au pays après ‘deux années d’études très difficiles’’ passées à Dakar où elle n’a pas pu passer le cap de la première année, a -t –elle confié le sourire aux lèvres.Rentrée au pays, grâce à une amie établie en Belgique, elle le rejoint pour entamer des études en gestion de projets avant de rentrer au pays quatre ans plus tard pour mettre en place une chaine de valeurs en agriculture et élevage avec un objectif de production locale et de consommer local.‘’Voilà un de mes produits’’, a-t-elle dit, montrant son sac d’ordinateur en cuir fabriqué localement par son entreprise ‘’BEÏT Maman’’ créé en 2015 pour la promotion des produits du terroir, l’offre d’emplois et la création de richesses et l’autonomisation des femmes.Awatif Baroud a expliqué sa décision d’investir dans ce créneau parce que le Tchad est un très grand pays très riche en ressources naturelles qui peuvent être exploitées et valorisées comme les minerai tels que le pétrole, l’or et l’uranium, des terres cultivables, mais également le bétail avec des millions têtes de bovins, caprins et autres.Mais malgré cela les produits laitiers utilisés comme le fromage, le lait, le riz, le sucre viennent soit de la France, de Suisse, de l’Asie ou du Brésil.Awatif Baroud a pensé créer des produits transformés localement en commençant d’abord par les produits cosmétiques. Comme Lucia l’ougandaise, elle a été guidée par sa mère qui fabriquait des savons de manière artisanale.‘’Ma mère veuve très tôt avec six enfants, vendait ses savons sur le marché pour subvenir à nos besoins et payer nos études’’, a -t –elle confié. D’où le nom de son entreprise BEÏT Maman (la maison de ma maman dans sa langue locale).Au début, elle s’est mise avec des groupements de femmes dans les zones rurales pour fabriquer les produits cosmétiques pour les aider à avoir des sources de revenus pour mieux prendre en charge l’éducation et la santé de leurs enfants.Tous les produits qui entrent dans la fabrication des cosmétiques sont commandées auprès des femmes qui sont dans différents provinces du pays. Elles sont la plupart du temps veuves, filles-mères, orphelines, mères célibataires abandonnées par leurs maris ou en handicapées.‘’Je travaille avec elles pour leur donner de meilleures conditions de vie avec des sources de revenus régulières mais également des formations dans le domaine de la transformation de produits agro-alimentaires’’, a t –elle confié.Dans le camp des réfugiés venus de la Centrafrique, au Sud du Tchad, 360 veuves ont été formées aux techniques de transformation de produits agricoles à son initiative. Dans ce parcours où elle essaie d’encourager les femmes à entreprendre, elle a dit rencontrer beaucoup d’obstacles liés à l’accès aux financements, à l’eau et à l’électricité.Première femme à travailler dans la maroquinerie, secteur dédié aux hommes, elle a eu du mal à se faire accepter dans le milieu, mais elle a tenu bon jusqu’à remporter le premier prix de femme entrepreneure en 2022 à Abidjan au marché ivoirien de l’artisanat. Il n’y a pas de travail dédié seulement pour les hommes. La femme joue un rôle important dans le développement socio-économique mais malgré cela, elle n’a pas accès aux capitaux pour être entreprenante.L’autre défi soulevé par Aawatif a trait au ‘’préjugé que le consommateur a des produits locaux, suggérant de travailler à ce que les africains acceptent de consommer ce que leurs compatriotes produisent sur le marché’’.L’Etat doit octroyer aux femmes des terrains dans les zones économiques pour résoudre les difficultés liées aux problèmes d’eau et d’énergie mais également bénéficier d’exonération, des impôts et des taxes et des droits de libre échanges. Elle a également plaidé pour la création de centres de formations pour le renforcement de capacités des femmes et des jeunes sur la chaine des valeurs et un accompagnement spécifique en qualification et normalisation des produits.Iréne Kirimi, la tontine comme parade pour l’accès des femmes aux financementsEn mode virtuel retransmis dans la grande salle de conférence des Nations Unies à Addis Abeba, Irène est revenu sur l’idée de mettre en place une tontine en 2009 pour permettre aux femmes de démarrer une activité génératrice de revenus. »Avec un groupe de 10 femmes, chacune donnait 50 shillings par mois. A tour de rôle chaque mois, une femme avait 500 shillings pour démarrer une activité », a t -elle expliqué aux participants depuis Nairobi grâce à la magie du digital.De petits groupes de 10 à 15 femmes, la tontine a pris de l’ampleur pour interesser d’autres femmes, d’autres communautés qui ont repris le modèle.De 500 shillings, les sommes réunies atteignent aujourd’hui 19 millions de shillings avec des prêts accordés aux femmes jusqu’à un million de shillings remboursables sur 4 ans.Si de nombreuses femmes ont fait des progrès considérables, l’image de Lucia, Awatif ou encore Irène présentées comme modèles à la 18ème conférence de la CEA, d’autres continuent à se »heurter à des obstacles et à des défis », tels que l’accès limité aux ressources, au financement et au développement des compétences.Pour surmonter ces obstacles, la CEA recommande d’opter pour des »stratégies ciblées ». Il peut s’agir de »politiques qui favorisent l’égalité des sexes dans l’éducation et la formation, l’accès au financement, les programmes de mentorat et l’élimination des préjugés systémiques ».ADL/MTN
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