Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès
Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès

SENEGAL-FRANCE-PATRIMOINE

Thiès, 14 nov (APS) – Huit objets ayant appartenu à des guerriers tombés en 1875 à la bataille de Samba Sadio sont exposés depuis le 23 octobre au Musée régional de Thiès.

Lors de cette bataille, une coalition constituée de troupes françaises et de combattants de Lat-Dior et d’Alboury Ndiaye avait affronté les hommes d’Amadou Cheikhou Ba.

“Mon père n’a pas vu ces objets, même mon grand-père ne les a pas vus”, confie, ému, Mamadou Lamine Ly, un descendant de Amadou Cheikhou Ba.

Il vient de voir, exposés au Musée régional de Thiès, des objets pris sur les guerriers tombés sur le champ de la bataille de Samba Sadio, il y a 150 ans.

Un combat au cours duquel son aïeul a trouvé la mort ou a disparu, selon la tradition orale des Madiyankobés, des habitants de Wouro Madihou, dans le Podor.

Cette branche tidjane revendique un rôle précurseur dans l’expansion, à partir du Fouta Toro, de la tijanyya au Sénégal, de Wouro Madihoul, par le djihad, à travers El Hadji Oumar Tall et Mamadou Hamé Ba dit Imam Mahdiyou, père de Cheikhou Amadou.

Depuis le 23 octobre 2025, ces huit objets pris sur des protagonistes de cette bataille, sont au cœur d’une exposition qui se poursuit jusqu’au 31 décembre à Thiès.

Il s’agit d’une selle, d’un mors et d’amulettes de cheval, ainsi que deux petits sacs de balles, un petit marteau, une tablette coranique en bois et un manuscrit en arabe.

Cette exposition est une initiative de l’association Alter Natives, basée en région parisienne, qui “travaille sur l’histoire de choses mal connues, qui pourraient intéresser les sociétés actuelles, en particulier les jeunes”, explique sa présidente, Emmanuelle Cadet.

Depuis 2012, l’association socioculturelle Alter Natives enquête sur la manière dont les objets africains sont arrivés dans des musées en France.

Elle est en partenariat avec le lycée ICS Taïba de Mboro d’où sont originaires les représentants de l’association au Sénégal.

Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès

Ensemble, des jeunes Sénégalais et Français ont ainsi exploré des collections sur des histoires mal connues, comme la mission Dakar-Djibouti, le Général Louis Faidherbe, l’indigo et l’histoire de plantes retrouvées dans les musées de sciences naturelles et sur Victor Shoelcher, qui a ramassé beaucoup d’objets au Sénégal en 1847, poursuit Emmanuelle Cadet.

“En travaillant sur Faidherbe, nous avons trouvé des objets au musée de Dunkerque, qui étaient en réalité mal identifiés, [puisque] attribués à Louis Faidherbe, alors qu’ils appartenaient à son neveu Emile Faidherbe, qui en avait fait don au musée de Dunkerque”, a-t-elle souligné.

Les recherches ont montré que ces objets sont liés à une bataille qui, dans les archives nationales françaises et les archives coloniales sénégalaises, est appelée bataille de Boundou Coki, mais qui, dans la tradition orale sénégalaise, est dénommée bataille de Samba Sadio, un site situé entre Mékhé et Pété, relèvent les organisateurs.

D’où le nom de l’exposition “Samba Sadio 1875”, qui se poursuit jusqu’au 31 décembre 2025 au musée de Thiès.

Après la capitale du rail, ces objets seront ensuite exposés jusqu’au 11 février 2026 à Saint-Louis, avant d’être retournés au musée Dunkerque.

Alter Natives a travaillé depuis 2021 à ce projet qui a abouti au prêt de ces objets par le musée de Dunkerque à ceux de Thiès et Saint-Louis.

Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès

Un jeu d’alliances complexe à Samba Sadio

La bataille de Samba Sadio a donné lieu à un “jeu d’alliances complexe”, avec des combattants venus de divers coins du Sénégal, rapporte la présidente d’Alter Natives.

D’une part, Amadou Cheikhou et ses soutiens venus du Fouta, du Cayor dont Amary Ndack Seck, d’autre part, les Français et leurs alliés des troupes de Lat-Dior et d’Alboury ainsi que des adversaires du leader tidjane venus du Fouta.

Après avoir quitté le Fouta où il avait livré bataille à divers chefs locaux dans le cadre de son djihad, Amadou Cheikhou s’était installé dans le Diolof, puis le Cayor, plus précisément à Coki, raconte Emmanuelle Cadet, citant des historiens sénégalais, les archives coloniales françaises et la tradition orale.

De retour au Cayor après la mort de Maba Diakhou Bâ, Lat-Dior s’installe autour du Guet, avec l’appui des Français.

Il s’oppose à Amadou Cheikhou, venu du Fouta, plus précisément de Wouro Madiyou près de Podor, s’installer au Diolof, après avoir destitué le Bourba.

Il fait du Diolof, une zone alors peu contrôlée et présentant un “faible intérêt commercial pour la France”, une base d’où il fait des incursions dans le Toro et le Cayor, pour étendre son influence.

En prenant Coki, où il destitue le Serigne Coki, le Cayor se retrouve menacé.

Après trois défaites face à Amadou Cheikhou, la coalition Demba War Sall, Alboury Ndiaye et Lat-Dior demande l’aide des Français pour le combattre, dit-elle.

La suite de cette bataille, c’est que Lat-Dior s’installe dans le Cayor, même s’il affrontera par la suite les Français.

De son côté, Alboury Ndiaye s’installe dans le Djolof comme Bourba.

Les Madiyankobés seront “persécutés” pendant quelques temps dans le Cayor. Amary Ndack Seck s’installe à Thiénaba en 1888, où il mène “une pratique spirituelle plus pacifique”.

Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès

A travers un travail de documentation confrontant les archives nationales françaises et les archives coloniales sénégalaises, les écrits d’historiens sénégalais ayant travaillé sur les communautés madiyankés comme Daouda Diop et Souleymane Dia, ceux d’historiens de la Sénégambie comme Mamadou Diouf et Boubacar Barry, ainsi que la tradition orale, ce projet a mis en lumière cette bataille, sous divers angles.

De jeunes Sénégalais et Français se sont rendus sur le terrain à Dékheulé, Yang-Yang, Samba Sadio, Mékhé, pour voir si les populations sur place connaissent cette histoire, note Emmanuelle Cadet.

“C’est une guerre qui aurait lieu en 45 minutes”, dit-elle, soulignant le caractère “asymétrique” de cette confrontation, avec le recours à deux pièces d’artillerie qui font “basculer” le cours de la bataille, envoyant “80 munitions par tir” en direction des troupes adverses, alors qu’elles tentaient un encerclement, armés de fusils artisanaux et de poignards.

Le lendemain, le décompte ordonné par le colonel fait état de 399 corps et 48 chevaux retrouvés morts entre le champ de bataille et Coki, à 5 km, poursuit-elle.

Selon les sources françaises, Amadou Cheikhou Ba aurait été tué, mais la tradition orale madiyankobé parle de disparition.

Parmi eux, les lieutenants chargés de dénombrer les morts, comme Emile Faidherbe. “On peut imaginer qu’il ait trouvé ces objets sur les corps de guerriers au sol”, relate Mme Cadet.

La propriété des biens en question

Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès

“Notre grosse question est : à qui a-t-il pris ces biens ? Comment distinguer un combattant qui vient du Fouta et qui est avec Lat-Dior d’un combattant qui vient du Fouta et qui est avec Amadou Cheikhou ?”, se demande-t-elle.

“Ils n’avaient pas d’uniformes, donc il n’y avait pas grand-chose pour les distinguer”, relève-t-elle, même s’il y a des éléments permettant de reconnaitre une selle venant du Fouta.

Les objets talismaniques coraniques, le mors et les amulettes de cheval similaires à ceux fabriqués aujourd’hui encore à Wouro Madiyou, peuvent aussi donner des indications. “Peut-être que ces objets n’ont pas été pris sur un seul guerrier, mais choisis sur plusieurs d’entre eux”, avance-t-elle.

Une fois revenu de la bataille, Emile Faidherbe a été promu capitaine et vient chercher son grade à Epinal. Il en profite pour aller voir son oncle malade dans sa résidence secondaire à Lille.

Le général Louis Faidherbe qui lui a permis de faire carrière dans les troupes coloniales, est à la fois son tuteur et le mari de sa sœur.

C’est en ce moment qu’il va faire don de ces objets au musée de Dunkerque, accompagné de son oncle.

L’inventaire de 1875 du musée de Dunkerque fait état de 9 objets, le 9e étant un poignard qui n’existe plus dans la collection. Il pourrait avoir disparu dans les bombardements qui avaient détruit une grande partie de la ville de Dunkerque lors de la Seconde Guerre mondiale, laisse-t-elle entendre.

Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès

“On est quand même déjà content que ces objets aient pu être conservés”, dit-elle.

“Ce sont des objets qui ont été très peu montrés, ils ne sont pas exposés à Dunkerque, donc [sont] très peu connus”, relève la présidente de Alter Natives. Ils sont dans les réserves, donc en bon état.

Ces deux expositions organisées au Sénégal sont une “occasion de les faire parler”, estime-t-elle, précisant que “pour Dunkerque, c’est important de voir ce que les Sénégalais en disent”.

Oulimata Ly, la petite sœur de Mamadou Lamine Ly, a écrasé des larmes devant les verres où sont exposés les objets centenaires.

“J’entendais ma mère et ma grand-mère raconter l’histoire de la bataille de Samba Sadio, mais je ne m’étais jamais imaginée que je poserai un jour le regarder sur des objets que nos ancêtres utilisaient pour faire le djihad”, lâche-t-elle, étreinte émotion. “Cela me touche en tant que descendante directe de Cheikhou Amadou de voir les effets qu’avaient mes ancêtres en faisant le djihad”, dit-elle.

Plaidoyer pour une restitution des objets

“En tant qu’association, nous suivrons la procédure qu’il faut pour plaider auprès de notre Etat pour qu’à son tour, il saisisse l’Etat français, afin que ces objets, une fois retournés à Dunkerque, dans le Nord de la France, soient restitués au Sénégal, conservés dans nos musées où les Sénégalais pourront les visiter”, dit-elle.

Selon le conservateur du musée régional de Thiès, Pierre André Coly, qui s’était rendu à Dunkerque dans le cadre des préparatifs de ce projet, cette exposition a été une occasion de mettre cette infrastructure “aux normes”, afin d’accueillir ces objets.

Selon M. Coly, des discussions ont été engagées avec l’inspection d’académie pour que soient organisées des visites de l’exposition par les écoles thiéssoises.

Pour Oulimata Ly, cette histoire doit être enseignée aux enfants, afin de susciter leur curiosité, et les amener à chercher à connaitre leur passé et à mieux s’attacher à leur religion, l’islam.

Mamadou Lamine Ly, son frère aîné, exprime aussi une “grande satisfaction” quant au retour de ces objets en terre sénégalaise, estimant que cela marque une étape dans le processus de restitution. “Nous espérons [qu’ils] reviendront au Sénégal”, dit-il.

Amadou Barro, président de l’association des ressortissants de Wouro Madiyou se montre tout aussi optimiste quant au retour définitif de ce patrimoine historique. “La première étape, dit-il, c’était de les retrouver, la deuxième, c’est de les faire venir au Sénégal et la prochaine, c’est la restitution”.

Il voit dans cette exposition la réalisation d’une “prophétie” de ses parents quant à la renaissance de l’histoire de Samba Sadio. “Ils nous disaient, raconte-t-il, que celui qui vivra longtemps verra l’histoire de Samba (Wouro Madiyou) renaître”.

“Aujourd’hui, c’est nous qui recevons ces objets”, dit-il, enthousiaste au sujet de ce qu’il considère comme un signe annonciateur de “quiétude et de prospérité”.

Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès
Pierre André Coly, conservateur du musée régional de ThièsDes objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès

Amadou Barro, président de l’association des ressortissants de Wouro Madiyou

Des objets de combattants morts à la bataille de Samba Sadio exposés au musée régional de Thiès
Mamadou Lamine Ly

ADI/HK/BK