Bélédougou : le difficile quotidien des villages riverains des sociétés minières
Bélédougou : le difficile quotidien des villages riverains des sociétés minières

SENEGAL-SOCIETE-ECONOMIE-ENVIRONNEMENT

Par Ibrahima Diabakhaté

Kédougou, 13avr (APS) – La zone du Bélédougou, comprenant les communes de Sabodala et de Khossanto, abrite les sociétés minières et les sites d’orpaillage clandestins les plus importants de la région de Kédougou. Malgré cette richesse et le caractère industriel de cette zone, les vagues de poussières rougeâtres, la pénurie d’eau, l’enclavement, l’insécurité galopante, la réduction des terres cultivables, sont le lot quotidien des populations de cette partie sud-est du Sénégal.

Située à 70 kilomètres de la commune de Bembou, dans le département de Saraya, la zone du Bélédougou abrite les opérations minières de Endeavour Mining de Sabodala et de l’entreprise Sored mine et des sites d’orpaillage clandestins. Elle comprend plusieurs villages dont Khossanto, Mamakhono, Bambraya 1 et 2, Sabodala, Madina Sabodala, Bransan, Dambankhoto, Faloumbou, Koutifinkhoto, Diakhaline.

Ces villages ont été déplacés, à cause des opérations minières. Les maisons et autres espaces de culture et de pâturages ont été détruits. C’est l’avènement d’un autre monde. De jours comme de nuit, des véhicules de tous genres traversent la zone dans un vrombissement qui fait trembler jusqu’au toit de chaume des cases. Les sols s’envolent en nuées, l’air se charge de poussières. Les eaux deviennent un réceptacle de toutes les pollutions, la biodiversité végétale et animale se meurt.

Les populations des communes de Khossanto et de Sabodala sont obligées de supporter le bruit des engins, leur vibration et la poussière qu’ils soulèvent. Sur ces terres de Bélédougou, l’environnement biophysique a été complètement bouleversé à cause de l’exploitation aurifère.

En ce jour, le soleil a décidé de sortir. Il brille très fort avec une forte chaleur et illumine toutes les cases entourant les sites d’orpaillage. Pour autant, cette canicule ne ralentit pas l’ardeur des travailleurs qui ne renoncent jamais à la recherche de l’or.

Des camps de femmes s’adonnant à la prostitution font partie du décor de tous les villages qui abritent en même temps les opérations minières et les sites d’orpaillage clandestin. Originaires du Sénégal et des autres pays de la sous-région, elles sont venues participer à cette ‘’fièvre de l’or’’, un phénomène qui caractérise la région de Kédougou, ces dernières années.

Manque d’infrastructures sociales de base

Le maire de la commune de Khossanto, Mamady Cissokho déplore l’état de la route de Bembou à Sabodala. Il invité l’Etat du Sénégal à construire ce tronçon de ‘’70 kilomètres pour que les populations puissent vivre pleinement de l’impact des opérations minières’’.

Malgré les importantes quantités d’or extraites de leur sous-sol par la compagnie minière de Sabodala, les villages de Khossanto, Mamakhono, Bambraya, Sabodala, Bransan et Médina manquent de tout et vivent dans le noir. ‘’On souffre beaucoup encore en période d’hivernage’’, dit le maire de Khossanto, pour témoigner de la situation difficile que vivent les populations de cette contrée de la région de Kédougou.

‘’En période d’hivernage, on ne bouge pas et nous faisons face à des inondations pendant des jours. Et nous sommes coupés du reste de la région. Les gens ne sortent pas et ne rentrent pas. Et c’est un grand danger que nous vivons en saison des pluies’’, déplore-t-il.

Mamady Cissokho signale que la zone de Bélédougou ne dispose pas ‘’d’infrastructures sociales de base’’ et les populations sont dans une précarité et une insécurité galopante.

Les populations des communes de Khossanto et de Sabodala, au cœur de l’exploitation de l’or par les compagnies minières et de l’orpaillage clandestin, vivent dans un cauchemar. Elles inhalent de la poussière à longueur de journées.

‘’Vous avez vu ces vagues de poussières ! Partout dans nos maisons, on ne respire plus et c’est très difficile de voyager à moto sur la route de Khossanto-Bembou’’, se désole Kharifa Cissokho, un jeune de la commune de Khossanto.

Les communes de Khossanto et de Sabodala sont devenues un lieu de passage de toutes sortes de véhicules, des engins lourds et de personnes venues d’autres horizons à la recherche du métal précieux et du rêve d’un lendemain meilleur.

‘’Nous avons du bruit partout dans la zone, tantôt ce sont les véhicules, les gros engins, les motos trois roues et tantôt ce sont les machines des orpailleurs dans les sites clandestins. Et nous sommes en insécurité totale ‘’, déplore le maire de la commune de Khossanto.

La veille de la célébration de la fête de Tabaski, un homme avait été tué par balle dans la soirée, dans l’attaque d’une boutique de transfert d’argent par des assaillants armés de fusils, à Bambraya, un village de la commune de Sabodala.

‘’C’était aux environs de 21 heures que les malfaiteurs dont le nombre reste encore inconnu ont fait irruption sur les lieux en abattant la victime présentée comme un conducteur de moto. Et nous avons actuellement très peur avec l’approche de la fête de Tabaski qui arrive encore. Et les gens rentrent et sortent libres dans le village et ne sont pas identifiés ’’, raconte Kossoro Cissokho, relevant que les attaques et les braquages ne font que se multiplier dans la zone à cause de l’exploitation de l’or.

En réponse, la société minière Endeavour Mining de Sabodala a fait savoir que la durabilité est au cœur de leur responsabilité d’entreprise. ‘’Nous faisons tout pour protéger l’Environnement et préserver les écosystèmes dans lesquels nous intervenons afin de contribuer à bâtir des communautés résilientes et autonomes. Et nous gérons de manière éthique et responsable les ressources que nous exploitons’’, déclare Aziz Sy, le président des affaires publiques de l’entreprise au Sénégal, au Mali et en Guinée.

Il a indiqué qu’au Sénégal, les engagements de Endeavour Mining de Sabodala se concrétisent à travers des ‘’actions tangibles sur le terrain’’, notamment dans le département de Saraya, précisément dans les communes de Sabodala et Khossanto, où la mine de Sabodala joue un rôle clé dans le développement socio-économique local.

Dans le cadre de l’approvisionnement local, signale M. Sy, en 2023, plus de 80 % des achats de la mine ont été réalisés auprès de plus de 600 fournisseurs sénégalais, surtout locaux dans la région de Kédougou.

Le village de Mamakhono envahi par des vagues de poussières

La situation n’est guère reluisante à Mamakhono, un village, avec des maisons en cases couvertes de toits en paille ou en tôle, des rues avec un sol rougeâtre. Les populations respirent du vent chaud qui est très poussiéreux, à l’instar des autres localités de la zone aurifère du Bélédougou.

‘’Ce sont des vagues de poussières dans nos maisons. On ne respire pas en saison sèche et c’est le temps le plus compliqué’’, ont déploré des notables et des jeunes trouvés au niveau des places publiques.

Mamakhono est le plus gros village de la commune de Sabodala, dans le département de Saraya, avec plus de 5000 âmes. Malgré les opérations minières, cette localité fait face à une situation difficile en matière d’alimentation en eau potable. Les populations arrivent toutefois à s’approvisionner en liquide précieux grâce aux deux forages construits par la société minière Endeavour Mining de Sabodala.

Trouvée au forage, Bintou ne cache pas son amertume surtout à l’endroit des autorités municipales de Sabodala. ‘’Elles ont laissé la situation perdurer sans réagir faute de pompe et de robinet. On est là à faire la queue tous les jours, parfois l’eau ne coule même pas au niveau des forages. Aujourd’hui, Mamakhono accueille beaucoup de personnes de diverses nationalités. Et c’est ici que tout le monde vient chercher de l’eau avec toutes les difficultés en cette période de forte chaleur’’, déplore la dame.

Le correspondant de l’APS a tenté de joindre au téléphone à plusieurs reprises le maire de Sabodala pour l’interpeller sur toutes ces questions, sans succès.

En plus de la réduction des terres cultivables au village de Mamakhono, les populations doivent faire face à la non employabilité des jeunes dans les sociétés minières. ‘’Ils nous ont tout pris et on a plus de terres pour cultiver ou faire de l’orpaillage et c’est compliqué pour nous en ce moment. Les jeunes ne travaillent pas dans la mine de Sabodala, ce qui n’est pas normal’’, regrette Nfaly Tigana, un jeune du village de Mamakhono.

Bambaraya, un autre village de la commune de Sabodala, est très enclavé et dépourvu d’un poste de Santé, de l’électricité et de réseau téléphonique, selon ses habitants. ‘’L’évacuation des femmes enceintes et des malades pose un grand problème. C’est une zone qui n’a pas de route’’, explique le chef de village, Demba Cissokho, déplorant le manque de personnel et d’équipement médical de la case de santé de Bambaraya.

Les populations de cette localité réclament toujours ‘’Kiesta’’, un site d’orpaillage qui a été repris par la société minière Endeavour Mining de Sabodala. ‘’La société minière nous a pris huit sites d’orpaillage et ils ne nous restaient que +Kiesta+. Maintenant où allons-nous travailler et comment allons-nous nourrir nos familles ?’’, s’interrogent-elles.

Selon le président régional des orpailleurs de la région de Kédougou, Lamine Cissokho, le site de ‘’Kiesta’’ continue de faire l’objet de contestation. ‘’(…) Nous sommes restés trois mois sans travailler et nos familles sont dans le désarroi. La société n’a recruté que quatre personnes de Bambaraya depuis le début des opérations minières. Et elle pouvait nous laisser ce site qui est un legs’’, a-t-il dit.

Les populations de Bambaraya comptent organiser des manifestations pacifiques dans les différents sites d’orpaillages de la zone du Bélédougou. ‘’Nous allons organiser en mai ou juin prochain des manifestations avec tous les orpailleurs de la région de Kédougou pour réclamer [le site]. (…) Ils nous parlent des accords de résilience économique mais jusqu’à présent rien du tout. Nos femmes sont restées sans activités économiques et sociales’’, a déploré M. Cissokho.

L’agriculture et l’élevage impactés par les opérations minières

Les populations de Bambaraya ont tourné le dos à l’agriculture et l’élevage, en raison de l’extraction du métal précieux dans leur localité. ‘’L’agriculture ne se fait presque plus, même en période hivernale parce qu’on n’a plus de terres. Et l’élevage aussi à cause de la dégradation de l’environnement et de la forte pollution de nos terres et de nos eaux’’, disent-elles.

Demba Cissokho, le chef de village a déploré la perte de bêtes appartenant aux villageois qui sont ‘’tombés dans les grandes fosses des sites d’exploitation abandonnées par l’entreprise minière Sabodala‘’. Les populations de Bambaraya ne prévoient pas une reconversion vers l’agriculture et l’élevage, à cause du manque de terres et surtout de parcours du bétail dans les villages de Bambraya 1 et 2, a-t-il affirmé.

Bakary Cissokho, un étudiant en master, est retourné dans l’orpaillage, une activité grâce à laquelle il a pu payer ses études supérieures au Maroc. ‘’C’est avec le travail que je faisais dans le site d’orpaillage de +Kiesta+ que j’ai payé ma formation au Maroc. Et la société nous a tout pris et on ne bénéficie pas de retombées économiques et sociales des activités minières’’, a-t-il expliqué.

Le 16 février 2024, le préfet du département de Saraya, Babacar Diagne, avait publié un rapport annonçant le démarrage imminent de l’exploitation d’un gisement aurifère de la zone. Des accords économiques et sociales ont été signés entre les populations de Bambraya et la société minière Endeavour Mining de Sabodala, a assuré M. Diagne dans un entretien avec l’APS.

Les villages de Sabodala, de Madina Sabodala ont fait l’objet de déplacements physiques, économiques et sociaux. Le système de compensation n’a pas pris en compte les dommages et les pertes économiques disent leurs populations qui ont été déplacées à cause des opérations minières. ‘’Nous avons tout perdu, nos terres, nos biens culturels et nos cimetières. L’environnement a été complètement bouleversé’’, selon elles.

Relocalisation des villages de Sabodala et de Madina Sabodala

La fondation Endeavour Mining a construit 567 logements et 71 magasins d’un montant de plus de 31 milliards francs CFA dans le cadre de la relocalisation des villages de Sabodala et de Madina Sabodala. ‘’Nous avons réinstallé en 2017 plus de 4 000 personnes sur un nouveau site moderne répondant aux standards les plus élevés’’, a expliqué Aziz Sy, président des affaires publiques de la fondation Endeavour Mining de Sabodala.

La société minière a même fait des investissements dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Les plus récents ont été réalisés en 2022 et 2024 dans les communes de Sabodala et de Khossanto.

‘’Nous avons construit 2 centres de santé en 2023 dans les villages de Tenkoto et Bambaraya pour un coût total de 150 millions FCFA. Nous avons attribué 80 bourses d’études en 2024 de la troisième à la Terminale, aux ressortissants de Sabodala, Khossanto, Saïenssoutou, Missirah Sirimana’’, a indiqué M. Sy.

Il a souligné que la caravane de santé initiée par la société minière a permis à plus de 2 000 personnes de se faire dépister gratuitement des maladies oculaires. Il ajoute que plus de 1 700 enfants ont bénéficié d’accompagnement à travers l’ensemble des projets éducatifs.

Des initiatives de développement durable

Dans le cadre de l’autonomisation économique des femmes, la mine a créé 12 périmètres maraîchers à Sabodala et 4 à Khossanto depuis 2022, d’une superficie totale de 20,19 hectares, renseigne le président des affaires publiques de la Fondation Endeavour Mining.

‘’Ce sont 1 937 femmes qui en bénéficient et ces activités ont généré plus de 50 tonnes de légumes et 65 millions FCFA de revenus pour les productrices’’, a détaillé Aziz Sy, évoquant le lancement du projet “Chop Ladies’’, qui sous-traite des services de restauration à un groupe de femmes de Sabodala’’.

Il ajoute que la fondation Endeavour Mining a créé une zone protégée de 1 500 hectares dans le périmètre minier de la mine de Sabodala pour préserver les chimpanzés et leur habitat naturel.

Pénurie d’eau à Sabodala et à Madina Sabodala

Les villages de Sabodala et de Madina Sabodala, appelés désormais ‘’Niakafiri’’, dans le cadre du projet de relocalisation initiée par la société minière Endeavour Mining sont confrontés à une forte pénurie d’eau.

Frappées par une pénurie depuis leur installation à Niakafiri, les populations sont oubliées par la société minière Endeavour Mining. Les seuls forages et les robinets qui alimentent les villages sont en panne, plongeant les populations dans la détresse. Malgré leur appel à l’aide, la situation ne s’améliore pas, poussant les villageois à revenir aux années noires des corvées d’eau.

En cette période de forte canicule qui sévit dans toute la région de Kédougou, les populations sont obligées de se rendre plus de cinq fois au forages et au robinet à la recherche du liquide précieux qui se fait de plus rare dans ces villages construits par la société Endeavour mining. ‘’Les forages ne fonctionnent pas depuis que nous nous sommes installés ici, il y a de cela plus de deux ans’’, selon un habitant de Sabodala.

Actuellement avec cette pénurie d’eau, les habitants sont obligés de parcourir des kilomètres pour abreuver les vaches, les petites ruminants et les autres animaux.

Selon Aziz Sy, la Fondation Endeavour Mining de Sabodala a fait de grandes réalisations en matière d’accès à l’eau et à l’électricité pour les communautés hôtes. ‘’Nous avons construits deux châteaux d’eau et trois forages. Et nous avons aussi électrifié 11 villages sur les 14 que compte la commune de Sabodala, financés à hauteur de 1,4 milliard FCFA par la mine, en partenariat avec l’ASER (Agence sénégalaise d’électrification rurale) et la municipalité de Sabodala’’, a-t-il précisé.

Les villages de Faloumbou et de Dambankhoto dans la commune de Sabodala ont été aussi déplacés à quelques kilomètres, selon leurs habitants.

La politique de recrutement de la main d’œuvre locale dénoncée 

Le 11 septembre 2023, des jeunes de la commune de Khossanto et de Sabodala avaient organisé une manifestation pour dénoncer la modification d’un arrêté du préfet du département de Saraya, relatif au recrutement de la main d’œuvre locale non qualifiée des sociétés minières. Deux personnes avaient été tuées par balle dans la commune de Khossanto et quatorze autres grièvement blessées, selon une source médicale.

L’arrêté préfectoral modifiant les conditions de recrutement de la main d’œuvre locale non qualifiée a provoqué la colère des populations de Sabodala de Mamakhono et de Khossanto et environs impactées par les opérations minières des sociétés de Endeavour mining et de Sored mine.

Les ministres de l’Intérieur, Antoine Félix Diome et des Mines et de la Géologie, Oumar Sarr, s’étaient rendus en urgence, dans la zone, au lendemain des violentes manifestations pour essayer d’arrondir les angles.

‘’À chaque fois que nous sortons pour manifester notre mécontentement contre les entreprises minières dans le cadre du recrutement de la main d’œuvre locale, c’est un problème’’, déplore Samba Cissokho, président du conseil communal de la jeunesse de Khossanto.

Les populations locales de Bélédougou sont toujours très remontées contre les sociétés minières par rapport aux conditions de recrutement de la main-d’œuvre locale et des impacts environnementaux.

‘’On a tout perdu, même nos champs ont été pris et toute la jeunesse est au chômage’’, fustige Samba Cissokho. Il souligne que la mise en place de cette commission chargée de la main d’œuvre locale non qualifiée avait fait l’objet d’un consensus entre les populations et les responsables des entreprises minières. ‘’C’est un engagement social qui n’a jamais été respecté par les entreprises minières et nos autorités et même le recrutement journalier ne fonctionne (…)’’, rappelle-t-il.

La société Endeavour Mining de Sabodala a mis en place trois comités de recrutement locaux pour faciliter l’intégration des jeunes dans les opérations minières. ‘’En 2023, la mine de Sabodala gold Operations comptait 97% de Sénégalais et 3% d’expatriés dans le cadre de recrutement local’’, a dit Aziz Sy.

PID/ ASB/MT/MK/ADC

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