Au 12e Salon national des arts visuels, le temps en question sous un nouveau regard
Au 12e Salon national des arts visuels, le temps en question sous un nouveau regard

SENEGAL-CULTURE-REPORTAGE

Par Aïssatou Bâ

Dakar, 18 juil (APS) – L’exposition de la douzième édition du Salon national des arts visuels (17 juillet-8 août) propose un questionnement sur le passé, le présent et le futur, en s’appuyant sur des œuvres symboliques à travers un regard renouvelé sur l’évolution du monde et le cours de la société.

Axé sur le thème “Regards nouveaux/Yeesal Gis-Gis”, cette exposition  regroupe 21 jeunes artistes visuels venant de 12 régions du Sénégal, de Dakar majoritairement.

Un public nombreux a assisté à son vernissage, jeudi, à la Galerie nationale d’art, à Dakar, l’occasion de découvrir des œuvres mêlant imaginaire et réalité.  

Dès ses premiers pas dans la galerie, le visiteur peut admirer, suivant une vue panoramique, des œuvres réalisées par les grandes figures de l’art visuel sénégalais et des artistes de la jeune génération.

A gauche de la salle, perchée sur un mur peint en blanc, il y a par exemple l’œuvre de Balla Ndao, lauréat du premier prix du président de la République pour cette édition du Salon national des arts visuels.

Intitulée “Bët bu set ci jant bu fenk, pour un monde digital plus humain”, cette toile est une invitation à suspendre le temps.

Elle se présente sous la forme d’un œil et a été réalisée à partir de matières et d’objets mix recyclés (acier, inox, verre et miroirs).

L’œuvre de Balla Ndao est complétée par une scénographie représentant des sourires de milliers d’enfants, à côté d’objets comme des cuillères à café.

Tout au fond de la galerie, à gauche et à droite, “Sabars, tribute to dudu” d’Amadou Chalys Lèye et le “Bâtisseur” d’El Hadji Samba Khary Ndao apportent leur contribution à ce renouvellement du regard artistique.

Au milieu et parmi tant d’autres figures, s’impose une œuvre mixte sur toile de l’artiste Amy Celestina Ndione, dénommée “Un regard en métamorphose”.

Cette jeune artiste qui en est à sa deuxième exposition au Salon national des arts visuels invite, à travers sa toile, à se tourner vers les “anciennes richesses”, “culture” et “valeurs”.

“(…) Pendant longtemps, explique-t-elle, on nous a fait croire que ce que nous avons, n’était pas assez bien. On nous a rapporté une autre culture qui ne nous appartient pas. Aujourd’hui, il est temps de reprendre ce qui est réellement à nous.”

Amy Celestina Ndione pense qu”’il est temps pour les Africains de transformer le passé en l’adaptant aux réalités actuelles”.

“Si vous regardez bien l’œuvre, je l’ai divisée en trois parties. D’une part, elle représente le passé, le milieu, le présent et de l’autre côté, c’est le futur. J’ai fait exprès de couper un morceau de la toile pour y ajouter une autre matière, une moustiquaire. Et de l’autre côté aussi, j’ai ajouté un tissu qui est différent de la toile de base”, dit-elle.

Elle soutient qu’avec un regard nouveau, “il ne faut pas avoir peur de retirer, de transformer ou d’assembler”, dans le but de “changer et améliorer les choses”.

“Sur la deuxième partie [de l’œuvre] par exemple, où il y a le miroir, je fais allusion au présent. Le présent, c’est l’instant T, c’est maintenant. Sur un miroir, le miroir ne va pas refléter le passé. Il représente le temps présent”, ajoute-t-elle.

Femme, envol et autre regard

Lauréat du prix de la révélation de cette édition du Salon national des arts visuels, l’artiste photographe El Hadji Samba Diédhiou perçoit le regard nouveau dans son art comme l’ascension d’une femme. Son tableau illustre cette image en évoquant l’évolution de la photographie à travers un “digital painting” mettant en lumière le métissage symbolisé par le noir et blanc.

Cette image à la fois sombre et colorée, illustre une femme qui a décidé de prendre son envol, avec une délicatesse bien soignée, suggérée par son mouvement corporel.

Un mouvement qu’une fillette de six ou sept ans, venue visiter l’exposition en compagnie de ses parents, a tenté de reproduire.

A première vue, l’image donne aux visiteurs l’illusion d’une danseuse suspendue dans les airs, en train d’exécuter un pas de danse classique. En réalité, cette œuvre symbolise tout à la fois le départ, l’envol et l’indépendance, selon son créateur.

“On a amené un autre aspect, on parle de la femme sur le métissage de la photographie du noir et blanc. Pour les gens, c’est juste une image qui reste statique, alors que pour moi, c’est une image qui n’est pas figée, mais qui bouge”, relève l’artiste. 

A l’en croire, l’ascension symbolise ici cette liberté que les femmes ont de prendre leur envol et de s’imposer, s’il le faut.

“Dans ma vision, tout le monde est pareil, il y a une façon de valoriser, de donner beaucoup plus de place à la femme et de ne pas montrer ces dernières lorsqu’elles sont fatiguées ou sont dans les foyers, mais de montrer cet envol et cette intelligence qu’elles ont dans leur façon d’exister”, martèle-t-il.

Trouvé dans un coin de la salle, un artiste qui expose pour la première fois de sa vie dans un cadre national, a fait le choix d’honorer la femme avec un regard qui se veut inspirant.

Ousmane Samaké, puisque c’est de lui qu’il s’agit, propose un  tableau en toile sur “PVC (couche de polychlorure de vinyle) à travers lequel il représente une femme habillée en wax, faisant un signe des mains et couvrant son visage et sa bouche. Une belle illustration du silence et du refus de voir, dont fait montre le monde, face aux peines et souffrances de la femme.

“C’est pour dire que cela fait longtemps que les femmes ont beaucoup d’ambition pour faire certaines choses, mais souvent elles ont des contraintes, que ce soit dans la société, en famille, etc.”, indique l’artiste en herbe.

Samaké évoque, à travers sa toile, un monde qui ne veut pas valoriser les femmes, une manière d’inviter ces dernières à se prendre en charge pour apporter leur contribution au changement.

“Ici, je veux juste dire que c’est l’occasion pour les femmes de donner leur point de vue, voir le monde autour d’elles, d’exprimer leurs idées, etc., d’où la photographie que j’ai réalisée”, conclut-il, visiblement satisfait de son œuvre.

Un seul pas entre passé et futur

Au fond de la galerie, l’œuvre de l’artiste Mor Guilé Ndiaye, dénommée “Enracinement et ouverture”, questionne l’héritage des ancêtres et le passé, tout en invoquant le futur à travers la jeunesse, en vue d’offrir “une lecture intérieure et contemporaine” de la vie.

“En haut et à gauche du tableau, vous avez un ancien regard, un visage sombre aux deux yeux ouverts qui apparaissent dans l’ombre. Il voit, mais ne comprend pas. Il regarde sans profondeur, ce personnage est classé dans l’ancien système, prisonnier d’une vision dépassée”, décrit le peintre.  

Selon lui, le chemin vers le futur est représenté au milieu du tableau par “un nouveau regard”, illustré par un visage “jeune, vibrant, éclairé, coloré et détaché”.

Habillé d’un grand boubou “baye Lahad”, ce jeune artiste venu de la région de Thiès (ouest) explique comment son œuvre crée non seulement “un dialogue entre mémoire et transformation, mais aussi entre ancien et nouveau regard”.  

“Comme je l’ai décrit ici, l’enracinement de ces deux regards se fait sous forme d’un palmier avec ses racines, ses tiges et ses branches, l’agriculture, l’élevage, un oiseau, un ancien ainsi que des couleurs vives et sombres démontrant la recherche de ce que l’on a oublié”, fait-il valoir.

Devant un mur situé au milieu de la salle, se trouve posté Mouhamed Jawad Ly, vêtu d’un pantalon et d’une tunique rouge.

L’œuvre de ce jeune artiste dakarois, intitulée “Voir la sortie, sentir la chute”, parle non seulement des relations toxiques, mais aussi du moyen de sortir du passé et d’aller de l’avant.

Son tableau, intrigant et interpellant tout à la fois, illustre les efforts d’un homme cherchant à sortir du gouffre mais qui, malheureusement, se fait bloquer par ses proches.

Avec des couleurs vives et sombres inspirées du marron, l’artiste peint cet homme entouré de ses proches, à l’intérieur d’un abyme. Une image qui démontre, selon lui, la toxicité de certaines relations humaines.

“Il existe certaines personnes très toxiques, qui, une fois dans vos vies, quand bien même vous travaillez durement pour progresser, vous tirent toujours vers le bas. Donc, c’est un appel à la vigilance tout simplement”, précise-t-il.

Exprimant sa reconnaissance d’avoir été sélectionné pour participer à cette édition du Salon national des arts visuels, il invite les uns et les autres à “plus de vigilance” pour se protéger des personnes négatives.

Quand la poésie se mêle au développement

A l’extrême droite, au fond de la galerie, est installé un générateur de filtre de pétrole, fait de soudage, de découpage, pointage et de scies recyclés, et entouré de fibres blanches et de lampes à pétrole. C’est une installation de l’artiste sculpteur pluridisciplinaire El Hadji Samba Khary Ndao.

Cette œuvre, intitulée “Bâtisseur”, propose un ensemble de matériaux comme des ustensiles de cuisine, des pièces de voiture et matériaux industriels abandonnés, pour créer une scène à la fois poétique, politique et profondément ancrée dans la réalité sénégalaise.

De sa voix imposante, cet habitué des expositions propose aux jeunes de poser un “nouveau regard” sur le monde, à travers la machine à pétrole.

“Il s’agit de leur montrer comment exploiter nos ressources naturelles. C’est aussi un appel porteur d’espoir pour dire aux jeunes Sénégalais qu’il faut extraire les ressources que nous avons à notre portée, pour avoir un futur autonome et imaginatif où l’art devient un acte de résilience et de construction”, dit-il. D’où l’image des lampes à pétroles autour de l’œuvre, pour appeler ainsi à l’électrification des villages.

“C’est un hommage pour les gens qui habitent dans les villages. Il faut qu’on pense à eux aussi”, commente l’artiste.

Le 12e Salon national des arts visuels, prévu pour se poursuivre jusqu’au 8 août prochain, offre aussi à voir une exposition dédiée aux femmes au centre culturel Blaise Senghor, à Dakar.

Il constitue un rendez-vous biennal organisé en intervalle avec la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar.

AMN/ADL/FKS/ASG

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