Saint-Louis, 10 juin (APS) – Les écrivains africains doivent aider à valoriser leur continent d’origine en évitant d’avoir un discours ‘’trop afrocentré’’, pour s’ouvrir au monde, comme l’exige leur époque, soutient l’écrivain et enseignant franco-congolais Alain Mabanckou. ‘’Je pense que la position d’un écrivain noir ne peut plus être comme celle des années avant, pendant ou après les indépendances’’, a-t-il argué dans un entretien avec l’APS. ‘’Aujourd’hui, a analysé M. Mabanckou, nous sommes partagés entre la nécessité de […] construire nos nations et celle de nous ouvrir au monde. Donc, on ne peut pas avoir un discours trop afrocentré en disant l’Afrique, l’Afrique, l’Afrique, et en considérant que le reste du monde n’existe pas.’’ Premier écrivain d’expression française à siéger au jury du Booker Prize, l’un des plus importants prix littéraires au monde, il était ce samedi l’invité de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (nord), où il a animé une conférence sur le thème ‘’écrire le monde depuis l’Afrique : de nouveaux récits possibles’’. L’écrivain africain d’aujourd’hui ‘’doit assumer sa présence à la fois en Afrique mais également s’ouvrir au monde’’, a soutenu le lauréat du prix Renaudot en 2006 pour ‘’Mémoires de porc-épic’’ (Seuil). ‘’Si nous allons dans ce sens (le discours trop afrocentré), on va être un jour surpris d’être les médecins des maladies que les autres nous ramènent. Donc, il faut à la fois être présent en Afrique et s’ouvrir au monde’’, a-t-il insisté. Les écrivains africains sont surtout dans ‘’la liaison sociale’’ Alain Mabanckou considère que l’écrivain africain d’aujourd’hui doit faire en sorte que ‘’le continent africain soit valorisé mais en même temps comprendre dans quelle mesure on peut exporter notre africanité’’. Il doit ‘’aussi prendre ce qui est là-bas pour un peu amender ce qui ne va pas chez-nous’’, a recommandé M. Mabanckou à ses pairs. ‘’Ce qui différencie un écrivain noir d’un écrivain européen, blanc, c’est qu’on donne toujours au premier une mission, en général. On a l’impression que l’écrivain noir est quelqu’un qui doit sauver le continent’’, l’Afrique, a analysé le professeur de littérature francophone à l’université de Californie (États-Unis). Le romancier a aussi occupé la chaire de création artistique du Collège de France. Il est l’auteur d’une quarantaine de livres. ‘’On ne demande jamais à l’écrivain blanc de sauver l’Europe. L’écrivain blanc écrit dans sa liberté et son indépendance. Il parle à son nom’’, a renchéri Alain Mabanckou. Cela veut dire, selon lui, que l’écrivain africain se retrouve ‘’dans une situation, peut-être, de liaison sociale, alors que l’écrivain européen cherche à se détacher de la société pour mieux écrire’’. Cela dit, M. Mabanckou juge que ‘’la littérature africaine est en bonne santé’’ et est ‘’en train de se mondialiser’’. ‘’Je pense que la littérature africaine est en bonne santé. Elle est en train de combattre et d’entrer dans la compétition. Elle est en train de se mondialiser et d’envahir les places internationales. Elle se fait lentement’’, s’est-il réjoui. Contredire le discours plein de préjugés sur l’Afrique Il y a ‘’ceux qui viennent d’Afrique’’, les écrivains ‘’nés dans la diaspora, ou les enfants issus du métissage. Tout ça donne désormais un nouveau paysage à la littérature africaine’’, a relevé le romancier. La littérature africaine ‘’n’est plus regroupée. Elle est disséminée. Elle voyage comme les Africains aujourd’hui’’, a signalé Alain Mabanckou. ‘’Je pense que ce qui est important aujourd’hui pour nous, c’est de trouver un nouveau discours tenu par les intellectuels africains. Et ce discours consiste désormais à se dire que ce qu’on a raconté jusque-là sur l’Afrique l’a été par un œil extérieur, par des gens qui n’entraient pas vraiment dans l’âme de ces Africains’’, a-t-il souligné. ‘’L’histoire de l’Afrique commence à [s’exprimer] lorsqu’elle est écrite par les Africains eux-mêmes. Dans ce sens, c’est même la responsabilité des Africains que nous convoquons, pour qu’ils puissent désormais lire l’histoire de leur continent, écrire cette histoire et la transmettre aux générations futures’’, a dit M. Mabanckou. Les Africains, sous ce rapport, ne doivent plus se contenter de ce qui est écrit sur eux « par les autres, mais chercher à faire en sorte que ce que nous écrivions puisse inverser la donne et contredire le discours plein de préjugés concernant le continent africain ». CGD/AMD/BK/ESF
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