SENEGAL-LITTERATURE-PORTRAIT
+++ Par Fatou Kiné Sène +++
Dakar, 21 mars (APS) – Le nouveau président de l’Association des écrivains du Sénégal (AES), Abdoulaye Fodé Ndione élu le 8 mars dernier à Keur Birago, siège des auteurs, est un écrivain et éditeur indépendant dont la trajectoire est bien ancrée dans la littérature pour avoir publié plusieurs ouvrages et présidé à des associations littéraires internationales depuis plus de deux décennies.
C’est dans son bureau sur l’avenue Albert Sarraut, au siège de la maison d’éditions ‘’Feu de Brousse’’ et du ‘’Mémorial de Gorée dirigé par l’écrivain Amadou Lamine Sall, que le successeur du défunt président de l’AES, Alioune Badara Bèye a reçu l’équipe de l’APS..
Ce natif de Dakar précisément à la cité Bastos, dont les parents sont originaires de Yenne à 30 minutes de la capitale sénégalaise a présidé durant six ans à partir de 2015 à ”Afrilivres”, une association d’éditeurs d’Afrique francophone subsaharienne, de Madagascar et de l’Ile Maurice basée à Cotonou au Bénin.
Il a été aussi pendant trois ans président de l’Union des écrivains d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine au terme de la 7ème Conférence générale de cette organisation tenue à El Gouna, en Egypte en mai 2016.
Cette institution a été créée à Tachkent à Ouzbékistan (Asie centrale) en octobre 1958, trois ans après la conférence de Bandung (Indonésie) en 1955 sous la houlette de Gandhi (Inde) et de Gamal Abdel Nasser (Egypte).
”On me connaît plus à l’étranger que dans mon pays, c’est bizarre d’ailleurs. Parce que simplement, je ne suis pas dans les médias”, lance-t-il.
Un auteur enseigné dans le monde
Cette notoriété à l’étranger est d’ailleurs confirmée par ses poèmes et nouvelles enseignés un peu partout dans le monde.
On peut citer son premier recueil de poèmes ‘’Faubourienne”, un manuscrit primé dans les années 1990 par l’association des jeunes écrivains du Sénégal et qui sera publié plus tard par les Nouvelles éditions africaines du Sénégal en 2005.
”Ce texte m’a valu vraiment un parcours assez spécial, parce que même si vous voyez sur la couverture de l’ouvrage, les NEAS avait annoncé ce prix que j’avais remporté en poésie. Ce premier recueil m’a fait même voyager”, se rappelle-t-il avec enthousiasme.
L’ouvrage ”Faubourienne” a été accepté par l’Académie française et le texte a été enseigné par le professeur sénégalais Hamidou Sall dans l’Hexagone. Ce même recueil est aussi enseigné en République démocratique du Congo à Kinshasa, avec l’Académie pédagogique qui forme les professeurs dans ce pays.
Il signale que ce texte est traduit en roumain, ce qui lui a valu d’être élevé au rang de Chevalier de la poésie de la ville de Lași (prononcez iyashi, Ndlr), située dans le nord de la Roumanie.
Les deux recueils de nouvelles ”Les sentiers perdus” (Feu de brousse, 2011) et ”Des pas sur la mer” (les Éditions Maguilen, 2019) du poète, éditeur et nouvelliste sénégalais Abdoulaye Fodé Ndione est aussi enseigné à la faculté de Lettres de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en licence 3 où il intervient souvent.
La nouvelle ”La pirogue de l’espoir” a fait l’objet d’une étude scientifique par le professeur Alioune Diaw de l’Ucad et publié dans des journaux au Canada et en France.
Abdoulaye Fodé Ndione s’est frotté à tous les genres littéraires même si la poésie reste son dada. Et à chaque fois, cette exploration littéraire lui vaut une récompense comme celle remportée avec la nouvelle ‘’La pirogue de l’espoir’’, prix de la fondation Léopold Sédar Senghor pour la nouvelle en 2012
Ce texte relate l’expérience de jeunes sénégalais qui ont choisi de risquer leur vie en tentant de se rendre clandestinement en Espagne par la mer.
Son premier roman édité par les NEAS en 2022 ”Cœur en location” qui retrace la vie sulfureuse d’une fille métisse Tcha Tcha, de son nom d’emprunt ayant grandi dans une décadence familiale sera finaliste du prix Ivoire en Côte d’Ivoire.
L’écrivain Amadou Lamine Sall, son mentor
Le secret reste l’exigence que s’impose l’auteur dans ses écrits. ”(…). C’est important d’écrire, mais il faut avoir des repères par rapport aux genres auxquels vous vous exercez. C’est très important”, conseille celui qui est entré en littérature par la porte de la poésie et au côté de son mentor, l’écrivain Amadou Lamine Sall avec qui il chemine depuis 1998 date de création des Rencontres poétiques de Dakar organisées par la Maison africaine de la poésie internationale (Mapi).
”C’est en côtoyant Amadou Lamine Sall que j’ai essayé aussi de m’armer encore en poésie, de travailler vraiment et de comprendre ce qu’est la poésie. Parce que lui, son royaume, c’est la poésie seulement”, fait-il fait savoir.
”Il me serait difficile de dire ce qui m’a poussé à aller vers la littérature. Je crois que quand vous l’avez en vous, vous ne pouvez pas faire autrement. C’est Dieu simplement qui donne ce talent. Mais ce talent ne suffit pas. Il faut travailler”, lance Ndione qui a suivi un cursus technique au centre de formation technique du lycée Delafosse après des études primaires à Castor et Ouagou Niayes.
Il précise avoir aussi un diplôme supérieur en management de projet obtenu à l’Institut Polytechnique de Dakar et une formation d’informaticien assez poussée avant de fréquenter l’université de Yaoundé au Cameroun où il a étudié le management de projet, l’édition, la communication et la négociation.
Il fréquentera plus tard pendant plus de dix ans le Centre africain de formation à l’édition et à la diffusion (Cafed) basé à Tunis grâce à une bourse de l’Organisation internationale de la Francophonie, car Abdoulaye Fodé Ndione est le directeur de la maison ”Abis Editions” qui avait remporté en 2017 le Grand prix du chef de l’Etat pour les lettres avec le roman ”Fergo tu traceras ta route” de l’écrivaine sénégalaise Rahmatou Seck Samb.
Mais l’auteur des recueils de poèmes ”Affluence” (Néas, Dakar, 2010) et ”Pièces à conviction” (Maguilen, 2013) pense que ‘’la littérature est un espace où on est libre’’. ‘’On est à tous les combats. Je ne sais pas comment c’est arrivé en tout cas, mais j’ai aimé les lettres, bien que j’ai un cursus qui n’est pas littéraire’’, fait-il comprendre.
Celui qui faisait tout pour glisser de la littérature dans ses équations de mathématiques adorait les fins d’années scolaire qui lui permettaient d’écrire dans les cahiers de souvenirs, un passé qu’il se remémore avec joie.
Le vœu du président Alioune Badara Bèye exhaucé
Aujourd’hui, qu’il préside l’association des écrivains du Sénégal dont il est membre depuis 2005 date de la sortie de son premier recueil de poèmes sous l’aile de Alioune Badara Bèye qui a souvent souhaité que Ndione le succède.
”Il [Alioune Badara Bèye] m’avait appelé en me disant : ‘il faut que tu viennes déposer ta photo et ta lettre d’adhésion, tu viens avec moi’. Parce qu’il avait aimé mon recueil de poème”, dit-il. Sa relation avec l’auteur de la pièce de théâtre historique ”Nder en flamme” (1988) remonte aux années 2000 alors qu’il travaillait avec le poète Amadou Lamine Sall qui lui présente Alioune Badara Bèye.
”C’est après 2000, parce que simplement, Bèye m’avait vu travailler avec Amadou Lamine Sall lors d’une rencontre. Il avait vu comment je bougeais beaucoup. Et lors d’un symposium littéraire, il a demandé simplement à Sall de me laisser travailler avec lui. Notre amitié a commencé comme ça”, témoigne-t-il rappelant que cette relation était tellement ”profond et extraordinaire” et s’est consolidée au fil des années.
”Il m’a beaucoup parlé. C’est comme, s’il voulait me donner quelque chose sans le dire. On est devenu après presque, je ne dis pas inséparable, mais vraiment un duo extraordinaire. Parce que les cinq dernières années, même si les gens ne le savaient pas, il m’avait laissé organiser la Journée Internationale de l’écrivain africain, les cinq dernières éditions”, fait-il savoir.
Abdoulaye Fodé Ndione estime avoir toujours refusé ”cette dévolution, parce que ce n’est pas correct en littérature, ce n’est pas correct”. ”Si je suis là aujourd’hui, je pense que j’ai fourni quelque chose en littérature. Je pense que cela doit être d’ailleurs le point culminant de tout ça, l’aboutissement. Donc, même quand il me disait, j’ai des témoins, je lui disais non, cela ne m’intéresse pas vraiment, ce n’est pas dans mes perspectives’’, explique-t-il.
Mais après réflexion et avant le décès de Bèye, il lui a fait savoir son acceptation à condition que l’occasion se présente et que l’assemblée générale valide cela. ”(…) je lui ai dit, écoute grand, s’il y a quelque chose dans ce sens-là, je me proposerais. Mais il faut que ce soit dans une assemblée générale. Dieu nous a aidés, on a fait l’assemblée générale et j’ai postulé comme tout le monde”, relate-t-il.
Devant l’écrivaine Sokhna Benga, une autre candidate pour la présidence de l’AES, Abdoulaye Fodé Ndione remporte haut la main l’élection.
”C’est une grande satisfaction. Ma première parole de président de l’association a été de lui (Alioune Badara Bèye) rendre hommage. Parce que quelque part, il le souhaitait. Et puis j’ai dit aux autres que le travail qu’il a fait, nous devons aller de l’avant”, exprime-t-il remerciant tous les écrivains du Sénégal.
Aujourd’hui, à la présidence de l’AES ”une très grande mission”, il appelle au rassemblement de tous les écrivains, ceux qui sont dans le pays et dans la diaspora, ‘’parce que le Sénégal regorge énormément d’écrivains talentueux’’.
Les défis de l’AES
Ndione envisage de partager la gouvernance compte tenu du bureau composé de onze membres ”très dynamiques”. Le nouveau président de l’AES qui se positionne en fédérateur se dit ”le baye Fall” de l’association, prêt à interpréter les convictions de ses membres et reste ouvert pour écouter tout le monde.
”C’est la littérature sénégalaise qui doit s’enorgueillir un peu. Qu’on pousse la littérature ailleurs, c’est-à-dire hors de nos frontières. Et que les gens qui sont dans les autres pays aussi, reçoivent notre littérature. Pour l’installer convenablement pour un rayonnement, nous allons y travailler avec un programme pour connecter la littérature avec toutes les activités autour”, explique-t-il.
S’exprimant sur le forum du livre annoncé par le chef de l’Etat, Abdoulaye Fodé Ndione estime qu’il est important de se mettre autour d’une table et d’évaluer l’existant au vu de l’avancement depuis quelques années du Sénégal en termes de littérature.
”Si on regarde les statistiques au niveau de la direction du livre, on voit bien que le nombre a augmenté, de nouveaux auteurs qui arrivent avec des textes de qualité. Les maisons d’édition se sont démultipliées, On a énormément de maisons d’édition qui produisent chaque année et de tout cela, il faut qu’on essaie de le canaliser. Je ne parle pas de réglementer parce qu’en termes d’écriture, il est très difficile, mais quand même, de mettre des cadres qui puissent prendre en charge beaucoup de préoccupations des écrivains, des éditeurs’’, dit le président.
Il en appelle à un retour du Grand prix du président de la République pour les lettres qui n’ pas été octroyé depuis 2017, avec une périodicité réglée et une bonne organisation. ”Mais aussi aux nouvelles autorités de financer et d’accompagner de façon constante les projets dans le secteur du livre”, ajoute-t-il.
”Je crois que la situation éditoriale du Sénégal doit être vraiment revue. Il y a au niveau du ministère de la Culture, le fonds d’aide à l’édition, qui est très bien par rapport à l’édition, mais qui doit être vraiment augmenté aussi de façon substantielle pour permettre de soutenir les éditeurs, parce que les éditeurs se sont des entreprises, il faut qu’on les soutienne, qu’on prend des références comme le Canada qui aident de façon massive l’industrie du livre”, fait valoir Ndione qui a été commissaire général du dernier Salon du livre.
”La littérature est la plus grande valeur exportée par le Sénégal”, fait savoir le président de l’AES qui révèle que la Foire du livre et du matériel didactique de Dakar va reprendre cette année.
FKS/MK/ADC
