Par Abdoulaye DialloTambacounda, 25 nov (APS) – La coupe illicite de bois, grand accélérateur de la déforestation, est un fléau qui ravage les dernières réserves forestières de régions jusque-là considérées comme relativement boisées au Sénégal, dont celle de Tambacounda (est).L’ampleur inédite de ce phénomène dans la partie orientale du pays suscite dépit et incompréhension, dans l’arrondissement de Missirah surtout.Le massif forestier de Missirah se dégrade à mesure que la coupe abusive de bois s’intensifie et met en péril les derniers écosystèmes forestiers qui régulent au quotidien la vie des villages concernés.Missirah est l’un des trois arrondissements du département de Tambacounda. Les communes de Dialacoto et Nettéboulou en font partie. La situation géographique de la commune du même nom, chef-lieu d’arrondissement, en fait une localité stratégique pour la préservation de l’environnement.Située à une centaine de kilomètres du parc national du Niokolo-Koba, la commune de Missirah est un important réservoir de biodiversité et d’écosystèmes exceptionnels. Cela se voit surtout pendant l’hivernage, qui fait retrouver au paysage toute sa majesté, au grand bonheur du cheptel qui profite de la verdure et de la tendresse du tapis herbacé le long de la route nationale menant à Missirah.Par une journée fortement ensoleillée, l’astre du jour, au plus haut dans le ciel, tape de ses rayons les plus ardents, alors que l’hivernage s’apprête à faire ses adieux. Les paysans, pour leur part, sont occupés par les derniers réglages des travaux champêtres.Dans la maison de Mamadou Sylla, le silence règne en maître, seuls les échos de la ville et l’appel du muezzin à la prière de l’après-midi viennent perturber cette quiétude.Assis sur un lit, chapelet à la main, le fonctionnaire à la retraite se redresse à l’arrivée du reporter de l’APS, venu s’enquérir de l’ampleur de la coupe de bois dans l’arrondissement de Missirah.‘’C’est la déforestation totale de notre terroir’’, tranche Mamadou Sylla, s’exprimant au nom du chef de village, empêché.‘’Actuellement, il n’y a plus d’espèces protégées ici. Les trafiquants coupent n’importe quel arbre’’, se plaint-il en présence d’autres membres de l’association Bassobé Niohon Déma, qui lutte contre la déforestation par la sensibilisation et le reboisement.Selon Mamadou Sylla, les inconvénients de la déforestation commencent à se faire sentir avec la forte chaleur et la rareté des pluies.‘’À cause de ce phénomène, notre rizière commence à sécher après la saison des pluies. C’est une conséquence directe [de la coupe illicite de bois], parce qu’avant que la déforestation ne s’intensifie, l’eau y restait douze mois sur douze. La rizière ne séchait jamais’’, se souvient-il.Au fil de la discussion, le patriarche, en témoin privilégié des évènements et de la marche de son village, se lance dans une diatribe contre le ‘’laxisme’’ ayant conduit à cette dérive, sachant que jusque-là la coupe de bois pour sa transformation en bois de chauffe était bien réglementée.Impunité ou complicité ?‘’Pour la carbonisation c’était au début un secteur bien organisé par les services des eaux et forêts, qui avaient délimité des parcelles à exploiter et les espèces forestières à couper. Malheureusement, avec le temps et le relâchement, les gens n’ont plus respecté ces mesures et ont commencé à couper le bois partout et n’importe comment’’, se désole Mamadou Sylla.‘’Il s’agissait, au départ, de bois mort. Finalement, les trafiquants ont inventé des techniques modernes qui consistent à couper les arbres en morceaux et à dire qu’il s’agit de bois mort’’, signale M. Sylla.Certaines voix dénoncent une impunité, d’autres pointent une complicité.Un silence, puis Mamadou Sylla esquisse un petit mouvement pour se réajuster dans son lit avant de laisser la parole à un membre de l’association Bassobé Niohon Déma, le président en l’occurrence. Chemise blanche assortie à un jean, Kéba Kadiakhé est un acteur majeur de la lutte contre la coupe illégale de bois et la déforestation à Missirah.‘’Le trafic de bois est un phénomène bien réel. Il continue de faire des ravages dans nos forêts’’, fait-il observer en présence du représentant du chef de village et des autres membres de l’association qui l’écoutent avec attention.Pire, ajoute-t-il, ‘’beaucoup de personnes s’adonnent à cette pratique, dans tous les villages de la commune de Missirah’’.Les populations, conscientes des conséquences néfastes qu’il engendre dans l’arrondissement de Missirah, ont fait de la lutte contre le trafic de bois une affaire citoyenne, avec l’aide des ressortissants de la zone vivant à l’étranger. Ensemble, ils ont mis sur pied l’association Bassobé Niohon Déma, qui compte une centaine de membres, afin de lutter contre la coupe illicite de bois et rendre Missirah verdoyant, par des activités de reboisement.Sékou Dramé, un membre de l’association, a vécu en France pendant plus de quarante ans. Depuis son retour au bercail, il s’est engagé aux côtés des habitants de sa commune natale pour lutter contre la déforestation.Se disant attaché à son village, M. Dramé assure de sa volonté de se battre pour ‘’éviter à Missirah les conséquences néfastes de ce phénomène déjà vues ailleurs’’.‘’Je ne le fais pas pour moi, car j’ai une maison à Dakar. S’il fait chaud à Missirah, je peux aller à Dakar. S’il fait chaud à Dakar, je peux aller en France, mais tout ça n’est pas important par rapport à l’intérêt général de Massirah. C’est pourquoi il faut se battre pour la préservation de notre environnement et de ses nombreux écosystèmes forestiers’’, plaide Sékou Dramé.Des habitants confient, sous couvert de l’anonymat, que certains coupeurs de bois vivent à Missirah. Si la plupart viennent d’ailleurs, certains sont bien établis sur place et opèrent au vu et au su de tous, dans une relative impunité, dénoncent-ils.Ces trafiquants de bois bénéficient de complicités locales pour s’en sortir lorsqu’ils sont pris en défaut, disent ces personnes, dans le strict anonymat.‘’Une fois, un trafiquant de bois a été arrêté, puis il a été curieusement relâché. Nous le voyons qui envoie toujours des centaines de camions à Dakar’’, nous souffle-t-on à l’oreille.À Missirah, la brigade des eaux et forêts, sise à l’entrée de la ville, sur la route de Kédougou, est chargée de la préservation du patrimoine forestier de l’arrondissement.Son chef, l’adjudant-chef Mame Malick Thiam, reçoit chez lui au quartier Liberté, près du lycée Mame-Cheikh-Mbaye, dans la commune de Tambacounda. Il commence par rappeler la répartition de la forêt de l’arrondissement de Missirah en cinq massifs forestiers divisés en blocs.‘’À Néttéboulou, il y a sept blocs, à Gouloumbou trois blocs, de même qu’à Sita Niawoulé. Pour la commune de Missirah, la forêt est divisée en deux blocs, alors que le village de Ségoucoura en compte six’’, détaille-t-il, assis sur une chaise roulante.Pour l’exploitation du bois, des espaces ont été aménagés avec des règles de coupe reposant sur un quota annuel, renseigne cet homme au teint noir et à la stature imposante.Des changements avec de nouveaux agents des eaux et forêtsConcernant les accusations relatives à une supposée complicité dont bénéficieraient les coupeurs de bois, Mame Malick Thiam répond, sourire aux lèvres, qu’il vient de prendre ses fonctions à Tambacounda. Une manière de dire qu’il n’est pas au fait de la situation.‘’J’ai pris fonctions à Missirah le 25 juin dernier’’, précise le garde forestier. ‘’La direction des eaux et forêts a jugé nécessaire d’affecter à Tambacounda de nouveaux agents. Depuis que nous sommes à Missirah, le trafic de bois a baissé dans cette zone parce que nous menons régulièrement des actions en brousse.’’‘’On a arrêté des trafiquants et fait une saisie importante de bois. Les mis en cause ont été remis aux autorités judiciaires. L’un a été condamné à deux ans de prison, dont quatre mois ferme, l’autre à deux ans de prison, dont six mois ferme’’, révèle-t-il.Les actions conduites par la brigade de eaux et forêts de Missirah ‘’sont d’ailleurs saluées par plusieurs acteurs de la zone’’, affirme-t-il.‘’J’ai vu la réaction de l’association Bassobé Niohon Déma dans une interview réalisée par des confrères à vous. Je peux dire que depuis que nous sommes là, cette même association a félicité la brigade des eaux et forêts pour nos actions de lutte contre le trafic illicite de bois’’, se réjouit l’adjudant-chef des eaux et forêts.Cette association ‘’a clairement dit qu’il y a eu des changements par rapport à ce qui se faisait avant notre arrivée. Et nous allons inscrire cette bonne dynamique dans la continuité’’, poursuit-il.Malgré les alertes des populations et des militants de la préservation de la forêt, Mame Malick Thiam assure que l’écosystème forestier se porte bien à Missirah. ‘’L’écosystème forestier va bien. On effectue des tournées régulières sur le terrain. Qu’on nous interpelle ou non, nos agents sont sur le terrain. La préservation de la forêt de Missirah est notre mission principale’’, jure le chef de la brigade des eaux et forêts.‘’Vingt-cinq mille plants d’arbres reboisés en trois mois’’Au regard de la gravité de la menace, la brigade des eaux et forêts et les populations ont décidé de se donner la main pour dérouler des campagnes de reboisement.L’association Bassobé Niohon Déma, déterminée à enrayer la menace de la déforestation, a mené des activités de reboisement pour donner un nouveau souffle à la forêt de Missirah, avec l’aide de la brigade des eaux et forêts.‘’Nous plantons chaque année plus de 1.000 arbres et des centaines de plants par année. Nous avons sensibilisé les populations sur l’importance du reboisement, en organisant une grande marche pacifique’’, fait savoir Kéba Kadiakhé, un membre de l’association Bassobé Niohon Déma.‘’Nous avons noué un partenariat avec les eaux et forêts de Missirah pour dénoncer les malfaiteurs qui détruisent nos écosystèmes forestiers, parce nous ne pouvons pas reboiser tout le temps et laisser des gens s’adonner à des activités illicites pour détruire la forêt. C’est inacceptable’’, martèle M. Kadiakhé.Cette campagne de plantation d’arbres est en même temps un levier sur lequel le service des eaux et forêts veut s’appuyer pour continuer à reverdir Missirah.‘’Chaque mois, nous établissons un rapport que nous remettons au sous-préfet de Missirah. Nous travaillons avec un projet dénommé ‘Trees For The Future’. Ce mois-ci, nous avons reboisé 4.000 plants. Donc, depuis que je suis là, il y a presque trois mois, nous espérons avoir atteint 25.000 plants reboisés’’, assure Mame Malick Thiam.‘’En plus de Bassobé Niohon Déma, qui s’adonne au reboisement, des volontaires et des associations viennent nous demander des plants d’arbres’’, dit-t-il en s’en réjouissant.La gestion des écosystèmes forestiers, d’importants puits de stockage de carbone, est d’un enjeu crucial dans l’arrondissement de Missirah, où il est attendu des pouvoirs publics une intensification des initiatives visant à protéger la forêt, dans un contexte de changement climatique.ABD/BK/ABB/ESF
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