Dakar, 18 mai (APS) – Une folle rumeur selon laquelle l’arabe serait devenue la langue officielle du Sénégal en remplacement du français a été largement partagée sur les réseaux sociaux à travers le pays et même dans certains pays de la sous-région, en Afrique du Nord, mais aussi au Moyen-Orient, via des plateformes se réclamant du panafricanisme en particulier.

Dans des messages publiés en français, en anglais et en arabe, les personnes à l’origine de cette rumeur prétendent que “pour une première fois depuis son indépendance, [le Sénégal a] adopté en fin avril 2024 l’arabe comme langue officielle, en remplacement du français”.

Un compte Facebook identifié sous le nom Adam Chaibani, par exemple, en profite pour appeler à “en finir avec la colonisation […]” et faire de “la libération de l’Afrique notre combat”.

Le contexte géopolitique actuel qui se caractériserait par le développement d’un “sentiment anti-français” constitue un terreau favorable pour la propagation de fakenews qui se nourrissent également de l’arrivée au Sénégal d’un nouveau régime appelant à des partenariats justes et équilibrés entre Paris et ses anciennes colonies d’Afrique.

Il y a eu, avant cette rumeur sur l’institution de l’arabe comme langue officielle au Sénégal, une autre fakenews se rapportant au paiement des impôts des sociétés françaises implantées au Sénégal, en lien avec les orientations politiques et économiques des nouvelles autorités sénégalaises.

Ces rumeurs diffusées sur les réseaux sociaux laissaient croire que des “entreprises françaises opèrent au Sénégal sans y payer d’impôts, avant que le président Bassirou Diomaye Faye n’annonce que ces impôts seront désormais payés au Trésor public sénégalais.

La vérité, c’est que “conformément au Code général des impôts du Sénégal, les entreprises françaises ayant une présence physique au Sénégal sont tenues de s’acquitter de leurs obligations fiscales au Sénégal”, précise l’universitaire et économiste sénégalaisThierno Thioune.

Qu’en est-il réellement du statut de la langue arabe au Sénégal ?

Le chef de l’État, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a annoncé, le 17 avril 2024, à l’issue d’un Conseil des ministres, avoir décidé de créer une Direction des Affaires religieuses et de l’Insertion des diplômés de l’enseignement arabe, laquelle sera rattachée à la présidence de la République.

Depuis cette annonce, aucune autre décision n’a été prise sur les questions relatives à la langue arabe au Sénégal.

Mieux, cette mesure est encore attendue dans ses effets, relativement au statut, au fonctionnement et aux membres de cette Direction des Affaires religieuses et de l’Insertion des diplômés de l’enseignement arabe.

Il y a cependant qu’un certain débat est entretenu sur la pertinence ou non de cette décision à travers des tribunes publiées dans les médias et les réseaux sociaux.

Des observateurs considèrent qu’il ne fallait pas régler “une injustice par une injustice”, en faisant allusion à la marginalisation dont se disent victimes certains arabophones sénégalais, qui, soutiennent certains, avaient jusque-là du mal à faire reconnaitre la valeur professionnelle de leurs compétences et diplômes.

C’est le cas par exemple du chroniqueur Jean-Pierre Correa qui soutient que “l’insertion des diplômés de l’enseignement arabe soulève la question de la pertinence et de l’équité vis-à-vis des diplômés des autres disciplines linguistiques”.

“Pourquoi créer une structure spécifique pour les diplômés en arabe, et pas pour ceux des autres langues [français, anglais, russe, allemand, espagnol, langues nationales…] ? Cette décision pourrait être vue comme une forme de favoritisme qui mine les principes d’équité et d’égalité des chances pour tous les citoyens, quelle que soit leur formation académique”, affirme-t-il dans une chronique intitulée “Puisque l’air est encore si léger”  et publiée le 19 avril 2024 par le site d’information Seneplus, soit deux jours après l’annonce de cette mesure présidentielle.

S’il est vrai que la langue arabe dispose d’un fort encrage sociologique et spirituel au Sénégal, il n’en demeure pas moins qu’il n’a jamais été question d’un changement de régime linguistique au Sénégal, dont la Constitution confère au français le statut de langue officielle.

L’enseignement de la langue arabe, longtemps porté par des initiatives privées, a bénéficié du soutien et de l’encouragement des pouvoirs publics au Sénégal, essentiellement avec la création d’un département d’études arabes à l’université Cheikh Anta Diop en 1966, à côté du français, de l’anglais, des langues romanes et slaves, du grec et du latin.

Il en est de même de la création d’un département pour la formation pédagogique d’enseignants de langue arabe à l’École normale supérieure (ENS) à partir de 1977, au retour d’une tournée du président Léopold Sédar Senghor dans certains pays arabes comme l’Arabie saoudite et l’Égypte.

Si l’année 2002 a été présentée comme une date charnière avec l’introduction de l’enseignement religieux musulman à l’école élémentaire, c’est en 2013 que l’État du Sénégal a décidé d’instituer un Baccalauréat arabe et de la réouverture d’une section diplomatique à l’École nationale d’administration pour accueillir des diplômés en arabe (2016).

C’est dans cette dynamique d’institutionnalisation de l’éducation arabo-musulmane et du fait religieux au Sénégal que le président de la République Bassirou Diomaye Faye avait annoncé cette décision de créer une Direction des affaires religieuses et un bureau d’insertion des diplômés en arabe.

SMD/BK

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