+++Par Aïssatou Bâ+++ Dakar, 8 jan (APS) – Quatre ans après la promulgation, en 2020, de la loi sur la criminalisation du viol et de la pédophilie au Sénégal, des activistes de la société civile, notamment les associations féminines, saluent ce grand pas en avant dans la lutte contre les violences sexuelles, tout en déplorant le fait que l’objectif de la dissuasion ne soit pas encore atteint au regard des statistiques. Les violences sexuelles constituent des formes graves d’atteinte à l’intégrité des personnes dont les principales victimes sont les femmes et les enfants. Dans l’optique d’un renforcement de la protection de ces catégories vulnérables, l’État du Sénégal a très tôt mis en place une législation pénale, mise à jour en fonction des mutations de la société. C’est le cas de la loi n° 99-05 du 29 janvier 1999 modifiant certaines dispositions du Code pénal de 1965. Cette loi a, entre autres innovations, défini et durci son régime juridique, notamment lorsque ces infractions (viol et pédophilie) sont accompagnées de certaines circonstances aggravantes. Toutefois cette loi ne faisait pas du viol un crime, sauf lorsqu’il est suivi de la mort de la victime. Elle a également élargi la répression des actes de pédophilie qui n’étaient appréhendés que sous leur forme vague d’attentat à la pudeur. Deux décennies plus tard, et au regard de la multiplication et de l’intensification des faits d’agressions sexuelles, ainsi que des conséquences dévastatrices de ces infractions, des associations féminines, notamment l’Association des juristes sénégalaises (AJS) et tant d’autres ont plaidé ont obtenu le durcissement des pénalités liées à ces faits incriminés. Initialement votée le 30 décembre 2019 par l’Assemblée nationale, à l’issue d’un vote à l’unanimité et par acclamation, et promulguée le 10 janvier 2020, la loi criminalisant le viol et la pédophilie était annoncée comme un instrument de dissuasion des éventuels auteurs d’agressions sexuelles. Bien qu’elles apprécient son effectivité, les femmes juristes du Sénégal, pensent qu’eu égard aux statistiques portant sur les agressions sexuelles liées au genre, l’’’objectif de dissuasion n’est pas encore atteint’’. Quatre ans après le durcissement des sanctions liées au viol et à la pédophilie, ces activistes, ayant milité pour son vote et sa promulgation, gardent tout de même ’’espoir face au combat sur la protection des victimes à travers son application’’. Elles soulignent avoir rencontré des poches de réticence de la part de certains magistrats et autres praticiens du droit, qui estimaient que le fait de criminaliser le viol et la pédophilie, ‘’alourdissait la procédure’’. Selon la présidente de l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS), Me Aminata Fall Niang, l’objectif de l’adoption de cette loi serait toutefois atteint sur le plan des textes. ’’Il y en a qui maintiennent cette position-là, que la criminalisation va non seulement allonger la durée du procès et celle du traitement des dossiers, mais aussi et surtout contribuer à une déperdition des preuves, puisqu’il est difficile de conserver des preuves en cas de viol et de pédophilie tout le long d’une instruction’’, fait-elle savoir. Selon elle, le ministère de la Justice qui a participé à leur symposium qui a porté sur ces infractions liées au genre a donné des chiffres prouvant que parmi les populations carcérales aujourd’hui, le nombre de personnes incarcérées pour viol et pédophilie reste ’’absolument minime’’ par rapport à la ’’masse de délinquants’’ de toute autre nature. »Donc quatre ans après, nous estimons que la criminalisation est là ; elle est effective. Il faut appliquer la loi, c’est tout, et se donner les moyens de l’appliquer’’, a précisé Mme Niang, ajoutant que les sanctions prévues pour ce genre de crime vont de 10, 15, 20 ans ou la perpétuité, selon les circonstances aggravantes. L’évolution de la courbe des délinquants sexuels de 2018 à 2024 (source : ANSD) Selon les données de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) relatives à la population carcérale de criminels sexuels, il est recensé sur l’ensemble du pays 759 détenus de cette catégorie en 2017, 655 en 2018, 759 en 2019, 515 en 2020, 747 en 2021, 603 en 2022 et 440 en 2023. Plaidoyer pour la gratuité du certificat médical en cas de viol »Nous devons lutter pour que le certificat médical en cas de violence sexuelle soit gratuit, que la victime se présente directement à l’hôpital ou via la police’’, plaide Me Fall Niang, invitant les gens à s’imaginer ‘’à la place de la victime, qui parfois traîne pendant des heures avec la ‘’souillure’’. ‘’Humainement, c’est extrêmement difficile à supporter, surtout s’il s’agit d’abus sur des fillettes. Comment voulez-vous demander à une victime de viol de ne pas se laver, de conserver un état et de faire des allers-retours entre la police ou la gendarmerie et l’hôpital, avec cette souillure. Ce n’est pas possible’’, martèle-t-elle, instant sur l’’’importance d’alléger la procédure’’. ’’Pas plus tard qu’il y a quelques semaines à Pikine, on a eu un cas de viol d’un enfant de quatre ans. Et c’est à cette dernière qu’on veut demander de ne pas se laver. Mettez-vous à sa place…’’, observe la juriste. Les statistiques de l’AJS montrent qu’en 2023, par exemple, 166 cas de violences sexuelles ont été répertoriés dans les six zones où elle intervient. La boutique de droit de Pikine a enregistré à elle seule 38 cas, 31 pour la commune de Médina, 23 pour la région de Kaolack, 22 Kébémer (Louga), 19 Kolda, 14 Ziguinchor, 10 Thiès et 1 pour Sédhiou. D’après les données sur les violences sexuelles de janvier à juin 2024 de l’ensemble des boutiques de droit de l’AJS, 83 cas ont été répertoriés durant cette période, dont 27 pour la commune de Médina, 22 pour Pikine, 10 Kolda, 8 Kaolack, 6 pour Kébémer et Thiès et 2 pour les régions de Ziguinchor et de Sédhiou. ’’Donc, c’est affreux, ces histoires de viol-là. Et les chiffres sont effarants. De janvier à juin 2024, dans nos boutiques de droit, nous avons recensé plus de 600 cas d’agressions, de violences basées sur le genre’’, révèle Me Fall. Actions de communication et de sensibilisation ‘’L’idée était non seulement l’aspect évaluation de l’effectivité en termes d’application de la loi par les tribunaux, mais aussi sa vulgarisation auprès des populations et tous les acteurs qui interviennent dans la chaîne de prise en charge de ce type de violence’’, explique la chargée du projet ‘’Contribuer à l’éradication des violences sexuelles’’ de l’AJS, Me Aminata Samb. Elle indique que la vulgarisation de cette loi, criminalisant le viol et la pédophilie, a pour objectif de sensibiliser la communauté, afin qu’elle ‘’porte elle-même ce combat’’. ’’Sur le terrain, on est en train de faire des activités de formation, de sensibilisation et aussi de communication. On a eu à former des journalistes par exemple, pour un traitement adéquat des violences sexuelles, etc.’’, précise Me Samb. Cette démarche a permis aux acteurs de sillonner plusieurs universités du Sénégal, notamment celles de Bambey, de Saint-Louis, de Dakar, de Kaolack ou encore la police et la gendarmerie pour former sur la prise en charge des victimes. Le diagramme du nombre de cas de violences sexuelles basées sur le genre dans les six zones d’intervention de l’AJS »Les femmes et les jeunes filles font aussi partie de nos formations. Ce sont nos partenaires. Il y a une formation qui est prévue pour les victimes de violences sexuelles, pour leur autonomisation, pour qu’elles puissent être insérées professionnellement’’, affirme-t-elle. Me Samb soutient au-delà de ce projet que l’AJS forme également des para-juristes notamment des volontaires hommes et femmes, qui deviennent des relais sur le terrain. »On a plus de 1 000 para-juristes, répartis sur tout le territoire national, que nous formons régulièrement et qui nous appuient beaucoup sur cette question’’, renseigne la cheffe du projet. Pour l’application de la loi dans toute sa »rigueur’’ Avocate de son état, Me Marame Dia Sylla, prône l’application de la loi, dans toute sa »rigueur ». »La loi est faite pour être appliquée à partir du moment où elle est entrée en vigueur. Les juges sont dans l’obligation de l’appliquer’’, dit-elle, insistant sur l’application effective de cette loi dans toute sa ‘’rigueur ». Une fois la sentence prononcée, le juge contraint le condamné à payer 2, 3 ou 5 millions de FCFA d’amende, note Me Dia. Elle indique que depuis la promulgation de la loi, elle a reçu et suivi plus d’une dizaine de cas de viol. Ce qui, selon elle, représente ‘’une augmentation’’. ‘’Ce sont généralement des filles dont l’âge varie entre 13 et 16 ans. Souvent, c’est sur le chemin de l’école, soit au daara, c’est-à-dire à l’école coranique, ou au sein d’une maison, dans le quartier qu’elles sont violées ou sont victimes de violences sexuelles. Il y a eu pas mal de cas’’, ajoute-t-elle, précisant que les jeunes garçons ne sont pas non plus épargnés dans cette situation. Elle s’est toutefois plainte du »non aboutissement » de certains cas, à cause des ‘’arrangements’’ entre familles. »Si cela advient au sein de la famille, ils essayent de régler cela à l’amiable, d’étouffer l’affaire’’, poursuit Me Dia, déplorant le fait que les plaintes sont parfois retirées en cours de procédure, à cause desdits ‘’arrangements’’. Développement d’une culture de la dénonciation Pour la présidente du Conseil sénégalais des femmes (COSEF), Seynabou Mbaye Gueye, l’application de la loi favorise petit à petit le développement d’une culture de dénonciation au sein des populations. Elle exprime sa satisfaction de voir de plus en plus des victimes prendre leur courage à deux mains pour dénoncer les viols même au sein de leur famille. »Le fait qu’il y ait des associations de femmes qui accompagnent les victimes, pour leur commettre des avocats, leur assurer un suivi psychologique, pour moi, c’est un sentiment de satisfaction’’, fait-elle valoir. Malgré ce sentiment de satisfaction, la présidente du COSEF souligne toutefois qu’il reste beaucoup à réaliser, en raison de la nouveauté de la loi, qui ‘’date de 4 ans seulement’’. »Donc, 4 ans, c’est très peu. Il y a encore beaucoup d’efforts à fournir, notamment dans le domaine de la prise en charge de victimes, pour éviter qu’elles soient stigmatisées’’, ajoute-t-elle. Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophone. AMN/MK/ABB/OID
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