SENEGAL-GENRE-PLAIDOYER
Dakar, 18 mars (APS) – L’universitaire sénégalaise Fatoumata Bernadette Sonko souligne, dans une tribune, la nécessité de travailler collectivement à ‘’l’épanouissement et à l’émancipation de toutes les femmes’’, ‘’héroïnes ordinaires’’ du quotidien, dans un contexte marqué par une fragilisation de leurs droits acquis.
‘’Les héritages des héroïnes ordinaires que sont les femmes, avec ou sans théorie féministe, sont à défendre et à préserver à l’image de l’intégrité territoriale’’, écrit Mme Sonko, enseignante au Centre d’études des sciences et techniques de l’information de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar.
‘’Grâce à elles, l’éducation des filles a progressé, la santé des femmes s’est améliorée, leur sécurité prise en compte avec la criminalisation du viol, les inégalités dans le couple en matière de prise en charge médicale, de fiscalité et de transmission de la nationalité abolies, sans oublier la parité devenue une réalité en politique’’, note-t-elle.
S’il peut être compréhensible que ‘’certaines [femmes] défendent plus leurs devoirs que leurs droits et que d’autres ne soient pas forcément féministes’’, relève Fatoumata Bernadette Sonko, ‘’cela ne doit nullement servir de pantalonnade à une ‘haine de l’égalité’, pour paraphraser Jacques Rancière’’.
Mme Sonko juge ‘’désespérant de constater à quel point des fossoyeurs œuvrent pour fragiliser davantage des droits acquis’’. ‘’Leur propension à les remettre en cause demeure trop forte en cette période d’incertitude marquée pour les femmes’’, dénonce-t-elle en faisant le constat que le régime patriarcal ‘’sait ‘réarmer’ ses ‘enrôlées’, partisanes d’une émancipation sous tutelle.’’
— Un ‘’conservatisme sociétal caillouteux’’ —
Mais rien de tout cela ne doit faire ‘’sombrer dans le découragement, le mot de ralliement est ‘résistance’. Parce que les encagoulées seront débusquées pour rendre caduque la gangrène antiféministe et éradiquer le continuum de la violence sous toutes ses formes envers les Sénégalaises par l’érection d’un mur des fossoyeurs !’’, écrit l’universitaire.
Elle considère que le rejet d’une ‘’perspective féministe dans les questions liées au genre (féminin et masculin) exclut les femmes, menace leurs acquis sous prétexte d’incompatibilité avec les valeurs sociétales et les empêche de faire valoir leurs droits’’.
De même, ajoute-t-elle, la construction d’une ‘’peur viscérale du féminisme dans l’espace public n’est qu’un rapport de force qui s’appuie […] sur l’appropriation au masculin des sources du savoir par la fabrique d’‘ennemies existentielles’, celle de femmes remettant en cause le roman national inculqué à chaque génération, c’est-à-dire le récit dominant de leur incapacité, voire de leur infériorité’’.
Les Sénégalaises étant ‘’habituellement soumises à un cycle d’attention ponctuel (élections, drames) et de désintérêt général, le reste du temps’’, Fatoumata Bernadette Sonko insiste sur la nécessité de ‘’travailler conjointement à l’épanouissement et à l’émancipation de toutes les femmes’’.
‘’Celles qui ont défriché un étroit sentier parsemé de conservatisme sociétal caillouteux et rendu possible le rêve de tant filles comme moi’’, comme celles qui ‘’se battent pour une égalité de fait en droit et en responsabilité entre femmes et hommes dans notre société’’, ainsi que celles et ceux qui ‘’restent mobilisé.e.s contre les violences de genre’’, poursuit Mme Sonko.
— Des ‘’représentations médiatiques biaisées et sclérosées’’ —
Elle évoque aussi celles qui ‘’s’érigent en bouclier contre le masculinisme politique et la déferlante haineuse sur les réseaux sociaux’’, celles qui ‘’déconstruisent le discours performatif enfermant les femmes dans l’infantilisation, la vulnérabilité et la fragilité permanentes’’, et enfin celles qui ‘’décryptent les représentations médiatiques biaisées et sclérosées, qui crayonnent les femmes en éternelles victimes ou les rendent invisibles’’.
‘’Être une fille ne va pas de soi et devenir une femme n’est pas si simple non plus, dans une société basée sur la ‘valence différentielle des sexes’, selon les termes de Françoise Héritier, autrement dit la valorisation du masculin sur le féminin’’, soutient l’universitaire sénégalaise.
‘’Éduquées à s’épanouir dans le silence, les filles sont assignées à un destin, au moment où les garçons sont préparés à s’approprier l’espace public, à parler pour exister, voire à brasser de l’air pour se donner de l’importance’’, observe-t-elle.
Fatoumata Bernadette Sonko ajoute, pour conclure son argumentaire, que ‘’les filles, et plus tard les femmes, biberonnées à la résignation tranquille et à la tétanie, savent que les serrures de leurs portes sont d’une fragilité extrême en raison des maltraitances institutionnelle, sociale, économique et médiatique’’.
BK/ESF