SENEGAL-BURKINAFASO-CINEMA
De l’envoyé spécial de l’APS, Aboubacar Demba Cissokho
Ouagadougou, 26 fév (APS) – La réalisatrice sénégalaise Angèle Diabang est connue pour ses films qui, sans les slogans qui peuvent édulcorer un engagement certain, réussissent à faire voir et entendre des aspirations féminines à la liberté, dans un contexte socioculturel et politique qui assigne, par le verbe et les visions féodales, à des rôles et tâches rétrogrades.
Son adaptation du roman de Mariama Bâ, ‘’Une si longue lettre’’, un classique de la littérature publié en 1979 – en compétition dans la section ‘’Perspectives’’ de la 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision (FESPACO) -, s’inscrit dans ce parti pris consistant de manière pas forcément expresse à exposer un regard sur lequel des points de vue tranchés, contradictoires, peuvent être posés.
Ramatoulaye (Amélie Mbaye) est une femme africaine qui assume pleinement sa vie et sa marche vers une ‘’modernité’’ faite d’un ancrage dans les valeurs positives endogènes de sa société. Tout allait bien dans sa tête jusqu’à ce que Modou Fall (Serge Abessolo), l’homme avec lequel elle était mariée depuis vingt-cinq ans, décide de prendre comme seconde épouse Binetou, qui se trouve être la meilleure amie de sa fille Daba. Tombée comme un coup de massue sur elle, la nouvelle crée chez elle une terrible désillusion.
Mais il serait réducteur de ne voir le film que sous l’angle d’une prise de position dans le débat sur la polygamie – ce qu’il n’est pas –, dont Angèle Diabang réussit de manière magistrale à montrer la violence. La réalisatrice pose le débat sur ce sujet, mais elle va au-delà en dressant une petite radioscopie de la place de la femme dans la société, de son rapport à la société, à la famille, à un corpus de valeurs, dont la plupart ne voient en elle qu’un appendice des désirs des hommes. Le film d’une durée de cent cinq minutes campe plus généralement le débat sur la polygamie, le rapport de la femme à la société, à la famille, à la prégnance d’une vision féodale de la répartition des rôles, à l’amour.
L’action du film de Diabang se déroule en 2000, année de la première alternance au sommet de l’État sénégalais, porteur d’un certain espoir pour la jeunesse de changer de perspective. Pour le contexte, il est intéressant de comprendre le point de vue de la cinéaste sous cet angle à la fois actuel – des changements par rapport au contenu du roman – et reprenant en même temps une certaine permanence des stéréotypes.
— La fine fleur de techniciens ouest-africains —
On peut cependant reprocher à la réalisatrice de ne pas, dans l’adaptation de ce classique, avoir poussé l’audace artistique en se détachant du texte, pour proposer une touche d’auteur à son œuvre. Elle s’est certes appropriée le texte, mais le souci de ne pas ‘’trahir’’ un livre aussi culte – traduit en plus de 20 langues –, sur lequel de nombreuses lectures et interprétations peuvent être faites. Quand on sort du livre, comme du film, on peut toutefois, en répondant à la question ‘’les choses ont-elles changé depuis que le livre a été écrit ?’’, dire qu’il y a encore du chemin à faire.
Angèle Diabang reste fidèle à la description que donne Mariama Bâ dans le roman, faisant tourner la majeure partie des séquences de son film à Thiès (ouest), où on peut encore admirer des rues avec de grands arbres, des maisons dotées d’une cour, etc. Une autre partie du film s’est jouée à Dakar et à Popenguine (ouest). Diabang, qui a travaillé à partir de la lettre de Ramatoulaye à son amie Aïssatou, a condensé les rôles et traduit en images et en dialogues les pages de cette lettre de l’héroïne du roman.
Les personnages – mention spéciale aux plus jeunes d’entre eux – ont été à la hauteur, même si, au fur et à mesure que les séquences passent, on peut regretter que des émotions que dégagent les visages et les mots soient interrompues par certains plans peu à propos. Des évocations de noms importants (Aline Sitoé, figure de la résistance anticoloniale, Annette Mbaye d’Erneville, première journaliste et icône du mouvement associatif féminin, Safi Faye, première réalisatrice sénégalaise, Djibril Diop Mambéty) font le lien entre la reconnaissance et la nécessité de la transmission.
Pour ce film, Angèle Diabang s’est entourée de la fine fleur de techniciens ouest-africains – le chef opérateur Amath Niane, Aly Dia, directeur de production, Ismail Thiam à la mise en scène – et du machiniste expérimenté Arona Camara. Ce film a bénéficié d’un financement du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle du Sénégal.
ADC/ESF