Un éditeur appelle à inonder le pays de livres pour “une souveraineté éclairée”
Un éditeur appelle à inonder le pays de livres pour “une souveraineté éclairée”

SENEGAL-CULTURE-EDITION

Dakar, 17 oct (APS) – Le directeur général des éditions L’Harmattan Sénégal, Abdoulaye Diallo, a invité vendredi les pouvoirs publics à rendre le livre le plus accessible possible partout au Sénégal, en vue de tendre vers “une souveraineté éclairée”.

“Le premier élément sur lequel je voudrais insister, c’est la disponibilité du livre. Il faut que nous inondions ce pays de livres. Inonder le Sénégal, l’Afrique de livres”, a lancé l’éditeur sénégalais.

Il participait, avec d’autres panelistes, à une conférence publique portant sur “L’éducation par le livre pour une souveraineté éclairée”, au deuxième jour du Forum national du livre et de la lecture.

Abdoulaye Diallo préconise d’implanter des bibliothèques dans les écoles, les quartiers, les municipalités, les universités et ailleurs.

“Tout à l’heure, le ministre demandait comment faire dans une maison où le père et la mère ne savent pas lire”, a-t-il feint de s’interroger en laissant entendre que son parcours peut être une réponse à cette question.

“Je suis le pur produit de ce que l’Etat du Sénégal a pu faire. J’ai eu la chance de rencontrer des gens que l’Etat avait mis sur mon chemin avec en sixième une enseignante passionnée de livres et une bibliothèque scolaire où chaque mercredi et samedi il y avait des séances de lecture de contes”, raconte-t-il, se disant convaincu que son parcours “peut être reproduit aujourd’hui partout au Sénégal”.  

“Il faut que nous retournions à ce point. Pour les familles qui ont les moyens, qu’ils aient des livres à la maison, qu’ils lisent pour que leurs enfants les voient lire. Il faut que nous fassions en sorte que les livres soient présents dans les bibliothèques et les médiathèques”, a plaidé l’éditeur et libraire, enseignant au département d’histoire de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.

Il suggère par ailleurs de doter les bibliothèques universitaires de moyens conséquents pour l’acquisition d’ouvrages, soulignant la nécessité d’engager “la bataille de la souveraineté éditoriale”.

Sans bibliothèque nationale, beaucoup de connaissances se perdent

Cela revient à ses yeux à la question de la bibliothèque nationale. “Il faut qu’elle soit faite et qu’elle ne soit pas simplement le réceptacle des livres, mais il faut qu’elle soit cette gardienne de la mémoire immatérielle de notre pays”, a-t-il dit.

Selon le libraire, beaucoup de connaissances se perdent parce que le Sénégal n’a pas de bibliothèque nationale.  

Il a aussi évoqué la question du marché des manuels scolaires et celle de la circulation du livre en Afrique, des sujets intéressant parmi d’autres les acteurs du secteur.

“Vous ne verrez pas en France un éditeur sénégalais, suisse ou allemand concourir avec les éditeurs français pour les manuels destinés aux écoles françaises. Ce sont des questions de souveraineté. On ne peut pas confier l’avenir de nos enfants à des aides”, martèle-t-il.

“L’avenir d’un peuple, d’une nation se lit dans les yeux de ses lecteurs et le Sénégal l’a bien compris en décidant de faire du livre et de la lecture une cause nationale, de placer la littérature au cœur des politiques de développement publiques”, a salué Ange Felix Ndakpri, commissaire général du Salon international du livre d’Abidjan (Côte d’Ivoire).  

Pour atteindre la “souveraineté éclairée” en passant par l’éducation par le livre, il recommande de “positionner le livre non pas comme un simple produit ou support, mais comme un vecteur culturel. Le positionner dans toutes ses versions, traditionnelle papier, numérique, audio, podcast, etc.”

M. Ndakpri propose de créer des espaces éphémères de lecture qui contribueraient à populariser le livre et à dépasser le complexe entourant le livre en évitant qu’il soit perçu comme un luxe.

Pour Ange Felix Ndakpri, le marché de l’édition scolaire doit revenir aux nationaux. Il en appelle aussi à une collaboration Sud-Sud sur certaines questions comme l’approvisionnement en papier.

Pas d'”acte réel” de financement de la culture

Il affirme que l’Algérie excepté, aucun pays en Afrique ne possède une usine de fabrication de papier, alors “le continent regorge de bois”.    

L’ancien ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly estime pour sa part que le livre et la lecture sont “des questions extrêmement importantes” qui supposent que la culture, considérée comme ”un instrument de développement”, doit avoir plus de place dans les politiques publiques.

“Le Grand-Prix du chef de l’Etat pour les arts et les lettres est resté six ans sans être organisé. Je l’ai organisé en 2017 et depuis lors rien. Les Recidak [Rencontres cinématographiques de Dakar] qui consacrent la fête du cinéma sont restées douze ans sans être organisées, j’ai relancé cette manifestation en 2014. Je ne comprends pas la réticence du pouvoir politique à comprendre que la culture est un instrument de développement”, a indiqué le journaliste-écrivain.

Dans l’Etat de Californie, aux Etats-Unis, les productions culturelles et leurs dérivées occupaient le troisième poste le plus important avant de passer désormais en deuxième position, selon Abdou Latif Coulibaly.

Il appelle à “travailler la perception” que certains peuvent avoir de la culture, considérée davantage comme un hobby qu’autre chose.

“Jusque-là, aucun chef d’Etat n’a posé un acte réel de financement de la culture”, a tranché l’ancien ministre, qui espère que la donne va changer.

Le secrétaire d’Etat à la Culture, aux Industries créatives et au Patrimoine historique, Bakary Sarr, par ailleurs président du comité scientifique du Forum national du livre et de la lecture, a répondu à certaines des questions soulevées lors de cette conférence publique.

Il a assuré, en particulier, que la question de la bibliothèque nationale fait partie des projets prioritaires de l’Etat.  

La Guinée-Conakry, l’Algérie et la Tunisie, entre autres pays africains, étaient représentés à cette conférence.

FKS/BK