Dakar, 8 mai (APS) – L’auteur-compositeur malien Salif Keita avait dit, sans que vraiment beaucoup de monde y croit, que son album Un autre Blanc, sorti en 2018, serait son dernier, parce qu’à 69 ans, son âge à l’époque, il se disait “fatigué” et dépourvu de l’énergie nécessaire à l’enregistrement d’un disque.
Mais à l’écoute de l’album acoustique So kono (Dans la maison en mandingue), sorti le 11 avril dernier chez No Format, on peut se réjouir du fait que ses amis Lucille Reyboz et Laurent Bizot l’ont convaincu à fixer sur support la manière dont il compose, le plus simplement du monde, ses morceaux.
Poussé donc dans ses derniers retranchements, Salif Keïta se met à la tâche, dans sa chambre d’hôtel à Kyoto, au Japon, où il était invité en 2023 au festival ”Kyotophonie”.
Porté et inspiré par l’atmosphère d’une ville calme, il accepte de se mettre à nu, de poser de manière épurée des arrangements qui portent une musique dont l’intimité du ressenti n’a d’égale que la profondeur des mots distillés.
Alors que la guitare n’a été jusque-là qu’un simple instrument de composition, il enregistre en toute intimité avec sa voix dont les mélomanes reconnaissent depuis de longues années la majesté et la capacité à capter leur attention, en leur procurant les émotions les plus fortes. So kono va au-delà du cadre d’une chambre et renvoie, pour qui connaît l’anthologie et la signification de la musique chez les Mandingues, à tout un univers socioculturel.
La voix du poète qui a enchanté au fil de puissants albums – Soro, Amen, Folon, Moffou, entre autres – est encore plus saisissante dans cette approche spontanée, accompagné de complices de longue date, Makan Badjé Tounkara (ngoni) et Mamadou Koné (calebasse) sur trois des neuf titres de l’album. Clément Petit au violoncelle, Julia Sarr et Olyza Zamati aux chœurs, font aussi partie de l’aventure.
“Ma moitié c’est ma guitare. Je la joue de façon très intime. Il y a une bonne complicité entre elle et moi. C’est ce que le producteur a vu, compris”, dit Salif Keïta dans une vidéo de promotion du disque. Ce que l’on ressent, tout aussi intimement, c’est une voix que le musicien a réussi à façonner au fil du temps et des épreuves, même si son essence première est là.
”Proud”, le titre qui conclut le disque, est la seule composition originale de l’album So kono. Elle a une tonalité qui fait une claire référence à celle de la confrérie des chasseurs, dont Salif Keita fait partie. Il y rend grâce au Tout-puissant, Créateur et Inspirateur suprême, évoque Soundjata Keita, fondateur l’empire mandingue, fait l’éloge de la différence dont il a dit par le passé qu’elle “fait bouger le monde”, et de l’agriculture, l’activité de ses défunts parents.
Le producteur a bien fait de lui proposer cette idée de titiller sa guitare pour faire entendre un artiste accompli à la voix pleine d’humanisme, de mélancolie, de sincérité et de franchise.
Il y renoue avec ses racines – même s’il n’en a jamais été loin – et son instrument fétiche, la guitare, pour nous plonger au cœur de l’âme de la musique mandingue.
Dans l’intimité, face à lui-même et à ses souvenirs, Salif Keïta exprime son amitié et sa reconnaissance à des hommes et des femmes qui l’ont aidé sur la route (”Aboubakrin”, ”Awa”, ”Soundjata”, ”Kanté Manfila”), apporte réconfort à une dame plongée dans la solitude après le décès de son unique fils (”Tassi”). Et comme toujours chez lui, l’amour ne peut être absent de la balade : ”Chérie”, ”Laban”, ”Tu vas me manquer”, sont là pour porter le message et les mélodies.
Heureux qui comme les publics de Paris, Amsterdam, Berlin et Londres, vont être les premiers, entre le 21 et le 29 mai, à apprécier en live cette proposition artistique.
ADC/BK