SENEGAL-CINEMA-TEMOIGNAGES
Dakar, 3 nov (APS) – Le cinéaste Sembène Ousmane (1923-2007) évoquait dans un livre collectif intitulé ”Cinquante ans du cinéma africain : hommage à Paulin Soumanou Vieyra” publié en 2004 par la revue Présence africaine, les “liens denses et profonds” qui l’unissaient à son confrère Paulin Soumanou Vieyra (1925-1987).
Le centenaire de la naissance de Vieyra est célébré cette année. Un colloque consacré à sa vie et à son œuvre s’est ouvert à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (nord), ce lundi.
Le Sénégalais Sembène Ousmane et Paulin Soumanou Vieyra, un Béninois naturalisé sénégalais, sont deux grandes figures du cinéma africain. Ils ont été témoins de ses débuts.
Sembène raconte, dans l’ouvrage évoqué ci-dessus et publié un demi-siècle après leur rencontre, qu’ils se sont connus à Paris, à la librairie Présence africaine, où convergeaient de nombreux intellectuels des colonies françaises d’Afrique et d’ailleurs.
Présence africaine, tout un monde : une revue fondée en 1947 par l’intellectuel sénégalais Alioune Diop (1910-1980), une maison d’édition créée deux ans plus tard et une librairie, qui portent toutes les trois le même nom.
“Lui, étudiant à Paris, et moi travaillant à Marseille, nous nous rencontrions souvent à [la librairie] Présence africaine pour nous enrichir mutuellement de points d’intérêt commun : le cinéma, la littérature et le théâtre. Même épisodique, ces retrouvailles raffermirent nos affinités ; le temps consolidait nos liens”, témoigne Sembène.
Un effet de “coups de pilon”
Les années 1950, qui coïncident avec les temps héroïques du cinéma africain, sont également celles de la sortie de deux films de Paulin Soumanou Vieyra, “Afrique-sur-Seine” et “Môl” (le pêcheur, en wolof).
“Afrique-sur-Seine”, sorti en 1955, est considéré comme le premier film réalisé par un Africain au sud du Sahara. Robert Caristan (caméraman), Jacques Mélo Kane et Mamadou Sarr – père de l’ancien ministre Samuel Sarr -, tous des étudiants à l’Institut des hautes études cinématographiques de Paris, ont contribué à sa réalisation. “Môl” est un court métrage tourné au Sénégal.
Ces deux films eurent l’effet de “coups de pilon” sur le monde fermé du cinéma de l’époque, se souvenait Sembène Ousmane, surnommé L’Aîné des anciens (le doyen des tout premiers cinéastes africains).
Paulin Soumanou Vieyra était “témoin” de ces moments de prise de conscience, où survinrent de grands évènements, dont l’une des plus grandes batailles de la guerre d’Indochine (Diên Biên Phu), le début de la guerre d’Algérie et, sur un plan purement scientifique, la thèse de l’appartenance de l’Antiquité égyptienne à une civilisation négro-africaine, défendue par un jeune historien, Cheikh Anta Diop (1923-1986).
Autrement dit, l’Égypte antique était peuplée d’Africains noirs. Sept tours d’horloge pour soutenir cette thèse – dans une université française.
Vieyra est un témoin du premier congrès des écrivains et des artistes noirs à Paris, de l’accession à l’indépendance du Ghana en 1957, du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, auquel ont participé, en Europe, des jeunes venus de diverses régions d’Afrique, selon Sembène.
À la conférence de Bandung (Indonésie), du 18 au 24 avril 1955, se réunissent des leaders politiques de pays d’Asie et d’Afrique nouvellement indépendants, pour affirmer leur volonté d’indépendance et leur non-alignement avec les pays dominants, se souvenait le célèbre cinéaste sénégalais.
“Il est le témoin éternellement vivant de ce moment de notre histoire : un continent réveillé et en marche, témoin aussi de ce moment […] Paulin filmait tout… jour et nuit. Aucune rencontre ne le laissait indifférent”, témoigne Sembène.
Il rappelle, dans le livre publié en 2005 par Présence africaine, avoir partagé une cabine de train et une chambre d’hôtel avec Paulin Soumanou Vieyra.
Sans “Paulin Soumanou Vieyra, est-ce que j’aurais réalisé des films ?”
Sembène affirme avoir été le “petit assistant” de Vieyra. “Le soir ou tôt le matin, pendant que je tétais ma pipe, il mettait de l’ordre dans ses notes pour de futurs commentaires. Ensemble, nous avons visité Varsovie, Budapest, Prague, Moscou, Sofia…”, a-t-il écrit en évoquant le souvenir de Paulin Soumano Vieyra.
Sembène Ousmane se souvient aussi des mots de Vieyra – “C’est bien, je suis là” -, lors de leurs retrouvailles à Moscou, une ville où il étudiait le cinéma, une ville où le président du Conseil, chef du gouvernement sénégalais, Mamadou Dia, effectuait une visite officielle, accompagné du reporter Vieyra.
“Ma formation terminée, je retourne au pays, nanti d’un outil essentiel : une caméra 35 millimètres. Paulin S. Vieyra m’aida à réaliser ‘Borom Sarret’ en 1963 mon premier court métrage”, raconte Sembène.
“N’eussent été mes liens denses et profonds avec Paulin Soumanou Vieyra, est-ce que j’aurais réalisé des films ?” s’est-il demandé, tout modeste.
Comme par un échange de bons procédés, Paulin Soumanou Vieyra lui a dédié – prématurément – une monographie intitulée “Ousmane Sembène : cinéaste” (244 pages), consacrée à l’œuvre cinématographique de L’Aîné des anciens, entre 1962 et 1971, et publiée par Présence africaine en 1972.
FKS/ESF/BK

