+++ Par Aïssatou Bâ ++++

Dakar, 6 nov (APS) – Le rap sénégalais dénommé ‘’Rap galsen’’ se conjugue également au féminin depuis la fin des années 90 avec les pionnières telles que Fatim Sy allias ‘’sista Fa’’ et Absa Dème ”Keisha” qui portent la voix des sans voix particulièrement celle des femmes.

Ces deux pionnières du mouvement hip hop évoluent dans des groupes mixtes et engagés.

Sista Fa est membre du groupe ‘’Wa BMG44’’ (Wa Bokk Mënmën Guëstu) qui signifie littéralement ”tous ensemble pour mieux réfléchir” en wolof. Le 44 renvoie à 1944 année du massacre des tirailleurs Sénégalais par le France à Thiaroye dans la banlieue de Dakar. Keisha est du groupe  ‘’Domou Djolof’’ (fils du pays).

Toutes les deux formations sont ancrées dans leur terroir orientent leur musique plus vers les causes des femmes et en général sur les tares de la société sénégalaise.

Sista Fa ou encore les jeunes comme Aminata Gaye allias ‘’Mina la voilée’’, Selbe Diouf connue sous le nom d’artiste de ‘’Sister LB’’ ‘’féministe engagée’’ et tant d’autres, développent des thèmes spécifiques comme les violences basées sur le genre ou encore les problèmes politiques.

A l’image de Ami Yerewolo du Mali, Natacha Flora Sonloué alias ‘’Nash’’ de la Côte d’Ivoire, Aïcha Bah dite ”Ashley” de la Guinée (elle rappe contre la pédophilie et la polygamie), ou Kayiri Sylvie Toé alias ‘’Féenoose’’, Burkinabé vivant en Allemagne, les stars du hip hop Sénégalais utilisent leur musique pour défendre la cause des femmes et des enfants.

Fatim Sy parle ”des violences basées sur le genre et précisément de la fistule obstétricale, pour dénoncer tous ces vices des hommes dont sont victimes les femmes et leur progéniture’’.

Les rimes de la résistance des rappeuses

‘’Actuellement, je travaille plus sur les violences faites aux femmes, aux enfants’’, confie-t-elle.

Défendre la cause des femmes et des enfants

Trouvée au siège de l’Association des métiers de la musique du Sénégal (AMS) où elle occupe le poste de trésorière dans le bureau, Sista Fa souligne l’importance de leur message dans la vie des populations.

Elle indique avoir participé à des campagnes de sensibilisation contre l’excision dans les régions de Kédougou ou de Kolda (sud du Sénégal).

Selon plusieurs rapports, notamment ceux du journal américain de  médecine tropicale et d’hygiène de 2015 et celui de l’UNICEF de 2022 intitulé mutilations génitales au Sénégal : bilan d’une étude statistique, la région de Kédougou enregistrait à elle seule, un taux de 92% de cas de mutilation génitale, contre 88% pour Kolda.

Sûre de son combat pour le changement, Fatim Sy, dit vouloir continuer sur cette lancée pour défendre la cause des femmes et des enfants.

‘’Je suis en train de faire un album qui parle de l’excision des femmes, de la violence faite aux femmes et aux enfants’’, annonce-t-elle.

Elle cite l’exemple d’une association dirigée par la féministe Wasso Tounkara dénommée ‘’Genji’’ qui s’active dans la réalisation de telles chansons.

‘’En général, on est nombreuses à dénoncer ces fléaux à travers des featuring. On peut être à quatre voir cinq rappeuses sur un son pour parler de ces thématiques’’, explique l’artiste, précisant que la plupart des compositions sont réalisées en langues locales, pour toucher tout le monde.

Présidente de la commission genre de l’AMS, ”Sista Fa”, mouille non seulement le maillot pour l’égalité et l’équité au sein de la population, mais aussi pour les travailleuses dans les métiers de la musique.

‘’Notre objectif est de faire valoir les droits des femmes, non seulement au sein de la société sénégalaise, mais aussi dans le milieu de la musique, pour leur permettre de bénéficier par exemple d’un congé de maternité’’, ajoute-t-elle.

A l’en croire, elle et ses consœurs de l’association ont décidé de dénoncer des sujets parfois tabous aux yeux de la société.

‘’Quand on te dit qu’un marabout a couché avec un enfant de 4 ou 5 ans, par exemple, ce sont des sujets tabous. On a pris la décision d’en parler’’, laisse-t-elle entendre.

Elle ajoute : ‘’même si on peut avoir des problèmes, en tant que maman et rappeuse j’ai pris la décision de parler pour les sans-voix, on se doit de le faire’’.

Trouvant certains genres musicaux très folkloriques, Sista Fa estime que le rap est porteur d’un message.

‘’(…) il y a trois ou quatre mois, pendant que le pays brûlait (allusion au processus électoral), j’ai fait plusieurs singles, dont l’un intitulé  Bu ko sax jéem (n’essaie même pas de le faire), en featuring avec le mouvement ”Y en a marre” (un groupe de rappeurs activistes)”, rappelle Sista Fa.

Cette musique a été, selon la rappeuse, réalisée pour dire ‘’non’’ à un ”troisième mandat” de l’ancien président de la République du Sénégal, Macky Sall.

Dans ses propos, elle dit à l’ancien Président qu’il ne s’en sortira pas, car le Sénégal appartient à tout le monde.

‘’Tu ne t’en sortiras pas. Le Sénégal, c’est notre affaire à tous et non une propriété privée. Tu sais mieux que nous que tu vas quitter le pouvoir, donc pas la peine de te cacher (…)’’, scande celle qui revendique son ‘’rap politique’’.

‘’Je suis politique. Je fais du rap politique. J’ai fait partie des plus grands groupes où les gens avaient vraiment peur de leur message (…)’’, martèle Fatim Sy.

Dans chaque chanson, ces femmes rappeuses véhiculent des messages sur l’égalité du genre, le courage, les droits des femmes, contrairement à certains hommes qui évoquent très souvent l’amour ou encore la femme dans leur tube, note-t-elle.

De son côté, Sister LB promet le succès à la femme dans son flot intitulé ‘’maa la dig tekk’’ (Je t’ai promis une conversation).

Elle promet à la femme que la victoire viendra, d’où son appel à ne jamais abandonner.

‘’Tu m’as montré la voie et mon fardeau n’est pas lourd. La route cahoteuse signifie que je vois; Allume le courage et vois ce qui t’attend et je t’y mènerai’’, fait-elle valoir, demandant ainsi aux gens d’avoir confiance en eux et d’oublier leurs ennemis.

‘’(…) Elles ont cette possibilité de se mettre en face et de pouvoir dénoncer les tares de la société. Elles ont cette force, elles ont le micro’’, martèle le président de l’AMS, Daniel Gomes.

Trouvé dans son bureau, il se félicite de voir comment Sister LB et Sista Fa inspirent du respect partout où elles sont invitées, grâce aux messages et valeurs qu’elles incarnent.

Il souligne le fait que beaucoup, au début du hip hop sénégalais, soient restées dans le stéréotype dans leurs messages.

‘’Jusqu’à présent, elles ont quand même réussi à ne pas se laisser étouffer justement par des personnes que je traiterais un peu de rétrogrades’’, dit-t-il.

Pour le lead vocal du groupe Oréazul, ces femmes sont arrivées en se disant qu’elles ont aussi ‘’droit au chapitre’’, après que leurs parents aient compris les frontières à ne pas franchir dans le rap.

‘’Je pense que si le message est dit, il l’est plus pour les jeunes de la génération d’il y a 15-20 ans, qui sont aujourd’hui devenus des personnes adultes’’, explique-t-il.

Contrairement à leurs frères, les mots clés utilisés dans leur musique sont souvent liés à la promesse, au combat, à la victoire et au travail, entre autres.

Les mots utilisés par les rappeuses dans leur son
Les mots utilisés par les rappeurs dans leur son

L’impact du rap féminin sur la société

Devant l’institut privé de gestion (IPG) situé au quartier populaire liberté 4 dans la région de Dakar, Mouhamadou Dior, un des mélomanes du rap Galsen, note ”l’impact positif’’ des messages délivrés par les rappeuses sur la jeunesse sénégalaise.

‘’Elles sensibilisent sur les violences basées sur le genre, sur la maltraitance des hommes, sur la façon dont on doit se défendre (…)’’, évoque-il.

Ces rappeuses, poursuit Mouhamadou Dior, lancent des messages pour motiver les autres en les poussant à ne pas se laisser faire et à dénoncer les tares de la société.

Entouré de ses proches, Haruna, étudiant en informatique dans le même institut, estime que les messages lancés par ces femmes permettent de prendre ‘’conscience et de rester plus vigilant’’. ‘’Elles permettent souvent aux gens de prendre conscience et de rester plus vigilants dans les familles, de plus surveiller leurs enfants aussi, parce qu’on entend souvent parler des cas de viols concernant les petites filles, des maltraitances, etc.’’, souligne-t-il.

Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre International des Journalistes (ICFJ) dans le cadre de la

Bourse Reportage pour les Journalistes Femmes en Afrique Francophonie

AMN/FKS/OID/AB

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