SENEGAL-HISTOIRE-PROFIL
Par Assane Dème
Kaolack, 21 juil (APS) – L’Almamy Maba Diakhou Ba, figure religieuse musulmane sénégambienne du 19e siècle, est un résistant anticolonial qui fonda une théocratie musulmane et dirigea un mouvement de réforme islamique à partir du Badibou-Rip, un terroir à cheval sur la frontière entre le Sénégal et la Gambie, avec l’objectif d’instaurer l’islam comme outil de gestion de la cité.
”Il avait une vision basée sur l’instauration de l’islam comme outil de gestion de la cité. Son dessein apparaît nettement à partir du nom qu’il a donné à l’ancienne localité de Paos Simba, rebaptisée ‘Nourou Lahi’ (La lumière d’Allah, en arabe)”, qui, après déformation, a fini par donner Nioro, a expliqué Serigne Ahmadou Cissé Ba, porte-parole de la Hadra Almamy Tafsir Maba Diakhou Ba.
Dans un entretien accordé à l’APS, à l’occasion de la commémoration du 160e anniversaire de sa disparition, M. Ba affirme que Maba Diakhou Ba, de son vrai nom Mouhammad, combattait l’injustice et veillait sur la protection des faibles, des principes fondés sur l’islam.
”Son +Djihad+ (Guerre sainte) suit celui de son maître, El Hadji Oumar Tall, en rapport avec la lutte des aristocraties traditionnelles pour implanter l’islam et combattre les envahisseurs coloniaux français”, a rappelé Serigne Ahmadou Cissé Ba.
Il confie que c’est El Hadji Oumar Tall qui l’initia au ”wird Tidjane” [acte cultuel propre à cette confrérie], à Kabakoto, près de Nioro du Rip, vers 1844-1846, et donna son onction à son ”Djihad” dans cette partie de la Sénégambie.
Ainsi, à partir de Nioro du Rip et Keur Maba Diakhou, il réunit d’éminentes figures religieuses et temporelles de la Sénégambie, avec l’ambition de mettre en place une coalition africaine pour combattre la France coloniale.
Les travaux de l’historien sénégalais Iba Der Thiam et d’autres chercheurs tels que Martin Klein, Kélétigui, ou Mamour Seck ont contribué à mettre en exergue la dimension de Maba Diakhou, mais ils ne “rendent malheureusement pas suffisamment compte de son envergure”, a regretté M. Ba.
Evoquant les événements clés de la vie de ce marabout guerrier qui doivent être portés à la connaissance des jeunes générations, le porte-parole de la Hadra Almamy Tafsir Maba Diakhou Ba soutient que certaines des étapes en question ont été décisives dans la vie de cette figure historique.
Il cite notamment l’épisode où il parvint à former une coalition des forces musulmanes venues à bout des forces françaises de Pinet Laparade, en 1865, au champ de bataille de Pathé Badiane, dans la région de Kaolack (centre).
Un institut islamique prévue sur le site de Somb
Il existe aujourd’hui plusieurs sites mémorables dans l’histoire du Sénégal, dont des centres d’enseignement arabo-islamique, des mosquées, des tombes et lieux ayant un lien avec les batailles livrées par Maba Diakhou Ba et son parcours.
On peut en citer le Tata et la mosquée de Nioro du Rip, son mausolée à Somb, près de Diakhao, dans la région de Fatick, le champ de bataille de Pathé Badiane, Longhor Mbaye où il a fait une partie de ses études.
A en croire Serigne Ahmadou Cissé Ba, la valorisation de l’immense patrimoine de Maba Diakhou Ba demeure un vieux projet qui, malheureusement, bute encore sur un déficit de financement.
Toutefois, des activités scientifiques telles que des colloques, symposiums et d’autres initiatives similaires sont souvent organisées avec comme objectif, la valorisation de son héritage intellectuel, culturel et politique.
Ce fut le cas en 2017, avec la tenue d’un symposium sur sa vie et son œuvre. Un pèlerinage annuel est organisé à Somb chaque année en mai, signale Serigne Ahmadou Cissé Ba. Pour la pérennisation de son œuvre, dit-il, un institut islamique Maba Diakhou Ba a été construit à Nioro du Rip.
La construction d’un autre institut islamique est prévue sur le site du champ de bataille de Somb. De même, l’érection d’un musée sur le Tata de Nioro du Rip fait partie des projets à réaliser.
”De la matière existe pour alimenter ce musée. On peut citer quelques éléments comme les canons arrachés des mains des hommes de Pinet Laparade, à Pathé Badiane, des objets personnels de Maba, notamment un exemplaire du saint Coran, qu’il a écrit de sa propre main”, a-t-il listé.
Porteuse d’un héritage basé sur la fraternité coreligionnaire, la famille de l’Almamy Maba Diakhou Ba entretient fièrement ce legs ancestral qui fait qu’aujourd’hui, les relations avec les autres familles religieuses sont jugées ”excellentes”.
”Ce sont, à la fois, des liens raffermis par l’islam et les relations parentales et historiques. Ces relations sont toutes aussi bonnes avec les familles de Lat Dior Ngoné Latyr Diop, Alboury Ndiaye, Fodé Kaba Doumbouya, etc. Elles le sont autant avec la famille de Bour Sine qui, chaque année, participe à l’organisation de la ziarra de Somb”, s’est réjoui M. Ba.
Ce qu’il juge ”très normal” dans la mesure où de nombreuses personnes sont, à la fois, des descendants de Maba et de Bour Sine, en raison des liens de mariage noués au sein des deux familles.
Faire de Nioro du Rip un centre de rayonnement de l’islam
Quelque 160 ans après sa disparition, il dit retenir de Maba Diakhou, son ”dévouement sans faille” à la cause islamique et son opposition à l’implantation de la puissance coloniale.
”Très jeune déjà, il a fait preuve de détermination pour la recherche de connaissances, pour sa religion et sa communauté, dans un contexte difficile. Le savoir n’est jamais acquis facilement. Il exige beaucoup de sacrifices”, a-t-il fait valoir.
Il rappelle que le califat de la Maba Diakhou Ba est aujourd’hui incarné par le fils du fils-cadet de l’Almamy, en l’occurrence Ndiogou Cira Marame Ba, un fils posthume né après la bataille de Somb.
”L’actuel Khalife contribue à la gestion de l’héritage de son grand-père : faire de Nioro du Rip un centre de rayonnement islamique et du site de Somb un grand centre d’éducation coranique et islamique”, insiste le porte-parole de la Hadra Almamy Tafsir Maba Diakhou Ba.
Parmi les projets du Khalife figure aussi la valorisation du site de Pathé Badiane, un lieu de mémoire pour toute la Sénégambie, symbole de l’unité et de la concorde des musulmans au 19e siècle, qui ont permis d’infliger une défaite mémorable aux Français.
Au village de Longhor Mbaye, cité parmi les foyers d’enseignement arabo-islamique traditionnel les plus emblématiques sous l’impulsion de Serigne Momar Mbaye, l’Almamy Maba a reçu des enseignements portant sur le droit musulman ou la jurisprudence malikite, la théologie musulmane (Tawhid), le Tafsir (exégèse), la méthode (usul al kalam), le lexique de la langue arabe (Al luqa), le mysticisme (Al Tasawwuf), la tradition du prophète, la logique (Al mantiq), la rhétorique et la prosodie (Al arud).
”En effet, Maba Diakhou, comme on peut le constater, était bien formé. Se fondant sur son parcours, on peut dire qu’il avait reçu une formation auprès d’éminents professeurs”, a-t-il fait observer.
Ses études achevées au Cayor, devenu savant, satisfait de son niveau, de ses connaissances et de sa bonne formation, Maba retourne au Djolof, chez ses parents, où il s’était installé, un moment, comme maître coranique.
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