Loi d’amnistie de 2024 : une controverse sans fin

SENEGAL-POLITIQUE-JUSTICE

Dakar, 24 mars (APS) – En lieu et place d’une abrogation de la loi d’amnistie des faits se rapportant aux évènements politiques ayant secoué le pays entre 2021 et 2024, promise par le Premier ministre, Ousmane Sonko, lors de sa déclaration de politique générale du 27 décembre dernier, une révision semble être l’option des autorités, à la lumière d’une récente proposition de loi interprétative émanant d’un député de la majorité parlementaire. Ce qui alimente davantage la controverse née de la maturation, de l’adoption, de la promulgation et de l’application de ladite loi.

Le 14 mars 2024, sortaient de prison, Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, à la faveur de la promulgation la veille de la loi d’amnistie adoptée une semaine plus tôt par l’Assemblée nationale.

Analysée à rebours du temps, cette disposition législative a sans doute joué un rôle décisif dans une étape clé de la marche du parti PASTEF, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, dans la marche vers le pouvoir. Paradoxalement, cette formation politique a été dans le camp des pourfendeurs de ce projet de loi. Ses députés avaient notamment voté contre son adoption, le 6 mars 2024, à l’Assemblée.

Bon nombre d’acteurs politiques et de la société civile y voyaient une volonté manifeste de couvrir les auteurs présumés de violences, par moment, meurtrières ayant secoué le pays entre mars 2021 et février 2024.

‘’Ne pas laisser impunies les infractions de droit commun, sans lien avec une motivation politique’’

Aussi, grande a été leur surprise, lorsque le bureau de l’institution parlementaire a confirmé avoir reçu une proposition de loi introduite par Amadou Ba, une des personnalités de premier plan du camp présidentiel.

Le bureau de l’Assemblée nationale avait déjà rejeté, une proposition de loi de Thierno Alassane Sall (non-inscrit) visant à abroger la loi d’amnistie des faits susceptibles de revêtir une qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle en lien avec les violentes manifestations politiques survenues entre 2021 et 2024.

Le bureau de l’Assemblée nationale a estimé que cette proposition ne respect [ait] pas les exigences constitutionnelles en matière budgétaire conformément à l’article 82 de la Constitution et à l’article 60 du RIAN (le règlement intérieur de l’Assemblée nationale), selon lesquels ”toute proposition de loi susceptible d’entraîner une diminution des ressources de l’État ou une augmentation de ses dépenses doit impérativement être accompagnée de mécanismes de compensation financière’’.

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi interprétative, l’auteur souligne que la loi d’amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024 avait pour ambition d’effacer des faits susceptibles de qualification criminelle ou correctionnelle commis en rapport avec les événements politiques qui ont traversé le Sénégal de 2021 à 2024.

Il estime, en s’appuyant sur l’intention du législateur originel, que le champ d’application de la loi était restreint aux seules infractions qui répondaient à une motivation politique ou celles commises en lien avec l’exercice d’une liberté politique.

La volonté du législateur n’a donc jamais été de laisser impunies des infractions de droit commun, sans aucun lien avec une motivation politique, a-t-il expliqué en insistant sur le fait que la loi d’amnistie n’entendu pas exclure de son champ d’application, la prise en charge des droits des victimes par le biais d’une indemnisation juste et équitable, indépendante de la possibilité d’une mise en jeu de la contrainte par corps.

Sous ces deux rapports, la présente loi interprétative vise à clarifier le sens et la portée de certaines dispositions de la loi antérieure, notamment en ses articles 1 et 3, puis, adapter le corpus juridique interne aux conventions internationales auxquelles le Sénégal a adhéré et qui s’imposent au législateur, lit-on dans le document récemment rendu public.

Amadou Ba cite l’exemple de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984.

Le principe de la prohibition de ces crimes ne peut faire l’objet d’amnistie. Il en est également ainsi du Statut de Rome entré en vigueur le 1 juillet 2002 et internalisé dans l’ordonnancement juridique du Sénégal, a-t-il avancé, en assurant que sa proposition vise à clarifier le champ d’application du texte, afin d’éviter que la loi nationale puisse entrer en conflit avec les accords internationaux régulièrement ratifiés par le Sénégal.

Ce nouveau développement a, comme il fallait s’y attendre, été diversement apprécié. Le député Thierno Alassane Sall, une des farouches critiques du régime issu de l’alternance politique du 24 mars, a été l’un des premiers à monter sur ses grands chevaux.

‘’Il ressort de cette proposition de loi, que la loi d’amnistie de 2024 reste entièrement en vigueur. Autrement dit, si le texte passe, les faits susceptibles d’être qualifiés de délits ou de crimes commis dans la période visée et ayant des motivations politiques, ne pourront pas être connus par nos juridictions’’, a-t-il avancé en réaction à l’annonce de cette proposition de loi.

Dans une déclaration publiée dans la foulée de l’annonce de ladite proposition de loi, celui qui avait quelques jours plus tôt déposé une proposition visant à abroger la loi d’amnistie de 2024, affirme que ‘’l’interprétation proposée vient paradoxalement obscurcir la loi d’amnistie, qui est suffisamment claire’’.

La loi d’amnistie n’a véritablement jamais fait l’unanimité depuis que la volonté de son adoption a été confirmée par l’ex-chef de l’Etat, Macky Sall, lors du lancement d’un dialogue national qu’il avait appelé après avoir décidé du report de l’élection présidentielle qui devait se tenir le 25 février 2024.

Un débat à fleuret moucheté

Il avait, le 26 février 2024, au centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio, soutenu que le vote et la promulgation d’une telle loi s’inscrivait dans ‘’une volonté d’apaisement de l’espace politique, de réconciliation et de dépassement’’.

Le pays traversait une crise politique rythmée par des manifestations meurtrières, une vague d’arrestations d’opposants membres notamment du parti PASTEF, dont la dissolution avait déjà été actée par le ministère de l’Intérieur. Les principaux responsables de la formation politique, son président Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, croupissaient encore à la maison d’arrêt du Cap Manuel, à Dakar.

En fin de compte, un débat à fleuret moucheté a depuis, marqué l’annonce du projet d’amnistie. Engageant une véritable course contre la montre, Macky Sall avait saisi en procédure d’urgence l’Assemblée nationale pour faire adopter cette loi amnistiant des faits, ‘’tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnel, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous supports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non’’. 

En dépit des vives contestations d’organisations de défense des droits de l’homme et de nombreux partis de l’opposition sous la houlette du Pastef qui l’assimilaient à un déni de justice et au culte de l’impunité, le texte passe à l’Assemblée nationale le 6 mars avec 94 voix pour, 49 contre et 3 abstentions. 

HB/AKS/SBS/OID/ASB

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