SENEGAL-ENVIRONNEMENT-RECYCLAGE
Dakar, 18 mars (APS) – Le recyclage du plastique est devenu une réalité au Sénégal. Après des mobiliers de jardin, des récipients, des nappes de table, ce sont des briques en plastique qui sont aujourd’hui proposées par la société Clean Brique. À la découverte de cette brique plastique avec le CEO Dimitri Lazareff, et le CTO Thomas Gomes. Entretien.
APS : M. le CEO Dimitri Lazareff, pouvez-vous nous parler du projet Clean Brique et de ses objectifs ?
Dimitri Lazareff : Notre projet qui est basé sur l’efficacité s’appelle +Clean Brique+. Nous souhaitons industrialiser le processus de recyclage afin de transformer les déchets plastiques en briques et autres éléments comme les tuiles. Notre objectif est de produire 10 000 briques par jour d’ici 2026, donc une production à grande échelle. Et c’est assez nouveau dans le développement durable, car on parle souvent d’artisanat ou de petites unités, notamment en Afrique de l’Ouest. En ce qui nous concerne, nous souhaitons être plus industriels. Nous avons déjà travaillé un peu en Afrique de l’Est, en Tanzanie plus exactement, où j’ai mené un projet de recyclage qui nous a permis de nettoyer quatre villes et de collecter 5 000 tonnes de déchets pour les recycler ensuite. L’objectif était de lancer une campagne. Maintenant pour une action plus à long terme, il s’agit de s’installer au Sénégal, près de la décharge de Mbeubeuss, afin d’y recycler les déchets et de pouvoir fabriquer différents éléments, comme des briques.
APS : Vous tablez sur une production journalière de 10 000 briques, avez-vous une idée du potentiel de déchets plastiques qui existent à Dakar pour soutenir ce niveau de production ?
DL : Le potentiel est énorme, car il y a déjà beaucoup de déchets. Il y a aussi beaucoup de gens qui travaillent dans la décharge, des gens très bien formés et spécialisés comme les piqueurs, les ramasseurs et autres. Il y a aussi un marché du bâtiment en pleine croissance, donc le marché est là et le potentiel en termes de matières premières est là.
APS : Pourquoi vous avez ciblé les déchets plastiques plutôt que les autres types de déchets ?
DL : Nous allons traiter d’autres types de déchets, car en plus du plastique, nous ciblons des déchets comme les tissus et le coton. Mais des briques en coton seraient plus légères et plus simples pour l’intérieur. Nous utiliserons des briques en plastique, plus résistantes, pour les fondations par exemple. Il y aura d’autres matériaux similaires. L’objectif est de proposer une gamme d’une quinzaine de produits, réellement utiles et plus performants que les produits de construction classiques, tout en étant moins chers.
APS : Vous parliez de la décharge de Mbeubeuss pour la gestion des déchets, êtes-vous au courant des activités de la SONAGED et du PROMOGED ?
DL : Nous sommes en discussion avec la SONAGED et le PROMOGED pour établir une collaboration. L’objectif est de travailler étroitement avec ces structures qui gèrent la décharge et la question des déchets. De nombreuses organisations travaillent déjà avec elles et sont très efficaces à cet égard. Nous aussi, nous souhaitons entretenir une collaboration à long terme avec ces deux entités. Je pense qu’il y aura davantage de déchets là-bas.
APS : Clean brique sera-t-il intégré à la structure de gestion des déchets au Sénégal, de la collecte à l’élimination ?
DL : Nous souhaitons vraiment privilégier la proximité. Nous avons établi un rayon dans lequel nous allons opérer et le but c’est d’être à côté de la décharge.
Mais notre vœu, c’est de disposer d’un espace pour installer nos infrastructures, d’autant plus que nous disposons de grosses machines. Donc, oui, cet espace devrait être dans l’environnement de la décharge de Mbeubeuss.
APS : Il existe de nombreuses petites unités qui sont actives dans le domaine du recyclage pour les déchets plastiques. Avez-vous une certaine cartographie de ce secteur ?
DL : Oui, absolument, nous sommes entrés en contact avec certains acteurs. Notre objectif est de collaborer autant que possible avec les institutions et les acteurs existants afin d’obtenir un résultat efficace et optimal. En Tanzanie, nous avons eu à collaborer avec 40 ONG et les Nations Unies, main dans la main, pour parvenir à recycler 5 000 tonnes de déchets. C’est véritablement notre objectif.
Nous sommes venus pour créer un système d’alliance et la mise en place d’une sorte de coopérative serait l’idéal. L’objectif ultime reste de pouvoir vendre tous les produits recyclés de la ville de Dakar.
APS : Quels sont les objectifs en termes de tonnage de déchets à traiter quotidiennement que Clean Brique s’est fixé ?
DL : D’abord, notre premier objectif, c’est de nous adapter à la demande. Nous ne voulons pas produire trop de choses qui ne pourraient pas être écoulées sur le marché, mais nous sommes très flexibles en matière de gestion des déchets.
Nous devrons surtout nous employer à répondre à la demande, car la demande au Sénégal n’est pas exclusivement axée sur les produits recyclés. Nous devrons avoir un argumentaire de vente assez persuasif, pour convaincre les professionnels du bâtiment et des travaux publics que nos produits sont équivalents, voire supérieurs, aux produits classiques et qu’ils répondent aux besoins. Une fois cela fait, la demande augmentera et dans ce cas, nous sommes très flexibles en termes de production et pouvons produire jusqu’à un million de tonnes par jour, si nécessaire.
APS : Avez-vous pensé à la concurrence, car il y a trois grandes cimenteries sur place aujourd’hui ?
DL : Oui, oui, tout à fait. Mais en réalité, nous ne voyons pas ces cimenteries comme de la concurrence.
APS : Mais, ce sont des parts de marché qu’elles vont perdre avec l’installation de Clean Brique non?
Thomas Gomes : Pas forcément. Les choses évoluent, tout le monde évolue. Il y a beaucoup de constructions à Dakar, et rien qu’en regardant la ville, on se rend compte qu’elle est en construction. Nous nous efforcerons à apporter notre pierre à l’édifice pour participer au développement du pays. Je pense que nous nous adapterons, pour revenir à ce que vous avez dit, non seulement à la demande, mais aussi à la disponibilité de la matière première.
Nous essaierons d’évoluer au fil du temps avec les acteurs, notamment ceux qui vivent à proximité de la décharge. Nous voulons vraiment valoriser ces déchets. C’est un sujet qui nous tient vraiment à cœur : nous voulons dépolluer les plages, réduire la quantité de déchets et essayer de nous développer, main dans la main, avec les habitants et les institutions qui gèrent tout ce qui touche aux déchets.
Parlez-nous un peu de la chaîne de valorisation des déchets. Comment cela va-t-il se passer ?
TG : Nous aurons déjà plusieurs produits, nous voulons recycler autant de produits que possible. Nous parlons de plastique, mais aussi du tissu, et il y aura différents usages. Le plastique sera donc davantage utilisé dans les constructions en dur, avec de grosses briques, en même temps nous essaierons également de recycler le tissu, qui sera plus esthétique, plus artistique, pour rénover des bureaux, des open space, afin de réduire les coûts des rénovations. Pour le tissu, ce serait des briques orientées beaucoup plus vers la rénovation des pièces et des bureaux. En revanche pour le plastique, ce serait des constructions plus physiques, construire de petites maisons En fait, nous ne souhaitons pas travailler dans le tri des déchets pour le moment ; nous ne pouvons pas développer une énorme chaîne de production, le tri des déchets et la fabrication. Nous collectons de la matière première déjà triée et la revaloriserons pour créer ces briques. On ne peut pas trier en amont pour l’instant, cela représenterait beaucoup de charges, beaucoup trop d’espace, une infrastructure très grosse, ce qui fait qu’on ne peut pas se permettre, du moins pour l’instant, de trier les déchets en amont.
APS : Donc en amont, vous allez travailler avec les structures de collecte…
DL : C’est ça, il s’agit des piqueurs, des récupérateurs, des groupements qui s’activent déjà dans le tri. On achète au kilogramme la matière première déjà triée, et on recycle tous ces déchets pour les revaloriser. Pour le plastique, nous allons travailler avec un systèmes de transport, des broyeurs et puis des malaxeurs pour créer une pâte homogène avec des moules qui seront surchauffés, ou légèrement chauffés, et ensuite nous pourrons fabriquer cette brique. Ce qui est bien avec ce projet, c’est que chaque moule va créer un prototype et on pourra lancer juste une production avec certains moules. Et là, on parle de plastique. Pour le tissu, ce sera autre chose. Là, on va restera sur du broyage, mais on a chez nous un liant écologique qui va relier ce tissu et ensuite créer la petite brique qui va pouvoir rénover les bureaux.
APS : Mais pour le plastique, avez-vous pensé aux aspects climatiques d’autant plus que le Sénégal se situe dans une zone géographique assez chaude
DL : Bien sûr. Tous les prototypes sont soumis à des tests de résistance aux conditions climatiques, d’humidité et de vent aussi, il ne faut pas que les structures soient cassantes. Tous les prototypes que nous produisons avec différents dosages sont soumis à ces épreuves. Donc, on prend vraiment en compte la chaleur en priorité. Ensuite, il faut tenir compte de la résistance au vent et à l’humidité en dernier point, pour le Sénégal.
APS : Qu’en sera-t-il avec certaines pratiques sénégalaises comme l’utilisation du feu dans les chambres pour l’encens par exemple ? Est-ce compatible ?
TG : Ce qu’il faut faire justement, c’est d’éviter qu’elle brûle. On a beau travaillé la résistance à la chaleur, mais comme dans toute construction, en cas d’incendie, elle brûle.
Ce plastique devrait donc être plus résistant que les briques classiques. Prenons l’exemple des Jeux olympiques en France : tout a été fabriqué à partir d’objets recyclés.
Les lits étaient fabriqués à partir de cartons recyclés. Au début, tous les athlètes étaient un peu réticent, même choqués. Mais à la fin, ils ont tous dit que c’est incroyable, impressionnant qu’on puisse aboutir à un bilan carbone négatif. Il faut changer, il faut oser, il faut entrer dans la mentalité des gens.
APS : Dormir dans une chambre construite avec des briques en plastiques. Que faite-vous des microplastiques qui infestent l’air ambiant et par voie de conséquence notre organisme ?
TG : Je comprends votre souci. Mais sachez qu’une fois fondus et recompactés, les microplastiques n’ont plus aucun effet. Il ne faut pas les écraser. Il ne faut pas les brûler. Il faut les faire fondre. On constate, qu’au niveau de la décharge, certains plastiques s’enflamment automatiquement avec la chaleur, le méthane. Et c’est tout ce qu’il faut éviter. Dès qu’on brûle un plastique, des particules s’évaporent. Nous étions hier (dimanche, ndlr) au niveau de la décharge, la fumée est extrêmement polluante. Il faut chauffer le plastique, et le faire fondre. Et puis, tout cela se fera dans des machines et des milieux fermés. Nous ne serons pas sur une décharge à ciel ouvert où nous évacuerons le méthane. Tout sera fait dans un milieu clos et toute la fumée sera piégée et, par la suite, recyclée afin de ne pas émettre plus de déchets que nous n’en produisons.
APS : Le Clean Brique sera-t-il 100 % plastique ?
TG : Ce ne sera pas du 100 % plastique. Il y aura une proportion en fonction de la demande et des prototypes que nous sortirons au fur-et-à mesure. Comme les bouteilles en plastique il y aura une partie de plastique recyclé que nous avons achetée et une partie de plastique classique qui sera mélangée à d’autres matériaux.
APS : Par exemple, du ciment ?
TG : Pas forcément du ciment. On ne peut pas tout dire en ce moment. Mais certains matériaux relèveront du classique et on intègre tous les éléments en plastique à l’intérieur de cette brique.
APS : Si on prend le classique qui est là, les briques en ciment ou en terre cuite, on connaît bien les liants qui sont utilisés. Comment ça va se passer avec les briques en plastique ?
TG : Là actuellement ,on est sur un projet d’emboitage sans ciment.
APS : Comme un Lego ?
TG : Exactement, comme un Lego. Mais ce n’est pas forcément un Lego. Nos prototypes sont conçus pour s’emboiter comme des Lego, on n’aura pas de matériaux à l’intérieur pour lier cet ensemble de pièces. C’est un ensemble qui rendra le mur de briques solide et résistant aux intempéries, et surtout à la chaleur. Il est également montable et démontable. C’est très pratique, par exemple pour les Jeux Olympiques de la jeunesse à venir avec la forte demande en sites d’hébergement. C’est aussi l’objectif, surtout dans les villes en construction permanente comme Dakar, de pouvoir construire des choses dont on sait qu’elles seront détruites dans un, deux ou six mois, pour pouvoir les reconstruire plus tard et conserver tous les matériaux. Pour l’instant, il n’y a que Dakar. Plus on se rapproche de la côte, plus c’est destructeur. Et maintenant, on fait des tests, mais on n’en est pas encore là.
APS : Par exemple, si vous quittez Dakar pour l’intérieur, les températures sont extrêmement élevées, puisqu’elles se situent entre 45 et 50 degrés. Et le bâtiment en plastique ?
TG : Tous nos prototypes sont testés dans des conditions de forte chaleur, il n’y aura aucun problème suite à l’exposition à de forte chaleur. Au Sénégal, il n’y aura aucun problème. Dès l’instant qu’on lance un produit, c’est parce que il est testé et approuvé par de organismes agréés.
APS : Pouvez-vous nous parler un peu de Clean Brique, ses états de service, notamment en Afrique ?
TG : Nous avons commencé en Afrique de l’Est, puis nous avons décidé de nous déplacer en Afrique de l’Ouest, précisément à Dakar, car le marché était plus important. Notre objectif est de démarrer à Dakar, puis de nous étendre sur toute l’Afrique de l’Ouest, surtout au Mali et en Côte d’Ivoire, qui sont également des marchés très importants. Nous avons un produit magnifique et nous en sommes fiers. Notre objectif est de convaincre le consommateur que nos produits sont aux normes et peuvent remplacer les matériaux traditionnels pour un moindre coût, plus d’efficacité et de confort. On a eu beaucoup de succès en Tanzanie. On constate qu’au Sénégal, l’érosion côtière constitue un énorme souci, avec Saint-Louis qui est en train de perdre beaucoup de terres par an, le besoin d’avoir des maisons qu’on pourrait déplacer devient de plus persistant. Par exemple, les Nations Unies ont construit des écoles avec ces briques plastiques en Côte d’Ivoire. En quatre jours, ils ont monté une école avec une vraie structure, avec l’eau courante et l’électricité, et ce, sans ciment. C’est-à-dire que si jamais y a un souci dans la zone, on démonte tout sans détruire les matériaux.
MT/HB