SENEGAL-ECONOMIE
Par Abdoulaye Diallo
Tambacounda, 16 avr APS) – La transformation des produits locaux, en plus d’inspirer de nouvelles habitudes de consommation, connaît une forte croissance dans la région de Tambacounda (est), une dynamique impulsée et entretenue par les femmes transformatrices en dépit de contraintes se traduisant par exemple par des difficultés à obtenir une autorisation de fabrication et de mise en vente (FRA).
Dimanche 13 avril, jour de la Foire agricole régionale de Tambacounda organisée par Caritas Sénégal. Sur l’esplanade de la mairie de Tambacounda, où se tient cette exposition de produits locaux, ce dynamisme peut se sentir à tous les stands.
Malgré la canicule qui commence déjà à se faire ressentir, l’engouement est bel et bien au rendez-vous, alors que des notes musicales d’artistes sénégalais contribuent à agrémenter la fin de matinée.
Fanta Ndiaye, la présidente du groupement d’intérêt commun (GIE) ‘’Sumpu Habilla’’ qui s’active dans la transformation des produits locaux et forestiers non ligneux, s’est déjà installée dans son stand.
Créé en mars 20221, le GIE ‘’Sampu Habilla’’, qui compte plus de 50 membres (hommes et femmes), est basé à Sarré Guilèle, un quartier de la ville de Tambacounda.
La production et la consommation locales se portent bien à Tambacounda
Pour le dernier jour de la Foire régionale de l’agriculture, Fanta Ndiaye, avec ses quinze années d’expérience, a choisi d’exposer du fonio transformé, de la poudre de pain de singe et des jus locaux, parmi d’autres produits.
‘’La production et la consommation locales commencent à prendre de la valeur à Tambacounda. Les femmes de cette région travaillent bien, et dans de bonnes conditions d’hygiène. Les acteurs ont compris l’importance du consommé local’’, dit-elle, enthousiaste.
‘’Maintenant, nous pouvons fabriquer du pain avec de la farine de fonio et du mil, donc ça commence à devenir intéressant. Les populations de Tambacounda consomment de plus en plus de fonio, de même que les jus locaux’’, affirme Fanta Ndiaye.
Malgré ce constat encourageant à plus d’un titre, les femmes transformatrices de la région font face à des difficultés liées à l’accès au financement, aux marchés et à l’obtention de la FRA.
‘’Nous demandons aux autorités de nous accompagner techniquement et financièrement. À Tambacounda, notre principal obstacle, c’est le manque d’autorisation de fabrication et de mise en vente. Nous voulons exporter mais nous ne pouvons pas le faire sans ce document’’, insiste-t-elle.
Fanta Ndiaye, dans l’espoir d’une solution à ce problème, lance un appel à l’État du Sénégal, aux organisations non gouvernementales et à tous les partenaires qui peuvent accompagner les femmes transformatrices de Tambacounda.
Mariama Diané, une habitante de Sarré Guilèle, dans la commune de Tambacounda, s’est également spécialisée dans l’agroalimentaire et la transformation des céréales et de fruits.
Cette femme de taille imposante, teint noir, dirige depuis dix ans ‘’Keur Ya Absa’’, une entreprise de 10 employés. ‘’Keur Ya Absa’’ transforme du mil, du maïs, du sorgho, du fonio, du gingembre, du ‘’bissap’’ (hibiscus), de l’arachide de coco, du ‘’moringa’’ et divers autres produits.
Le coût élevé de la FRA
‘’La transformation fonctionne bien à Tambacounda. Les populations de Tambacounda commencent à s’intéresser aux produits locaux’’, fait observer la cheffe de cette entreprise, avec satisfaction.
‘’Nous demandons des améliorations comme l’accès aux marchés publics et au marché international mais cela nécessite un certain nombre de conditions, dont la formation et l’obtention de la FRA’’, ajoute Mariama Diané, sans cesser d’observer tranquillement l’ambiance de la Foire agricole régionale de Tambacounda depuis son stand.
Il ne s’agit pas, pour elle, de remettre en question la nécessité de l’autorisation de fabrication et de mise en vente, qui est ‘’une obligation pour chaque femme transformatrice. C’est normal d’ailleurs, parce qu’il s’agit de sécurité alimentaire, on ne peut pas laisser les transformatrices vendre des produits qui ne sont pas certifiés’’.
Si Mariama Diané est consciente de la nécessité de la FRA, elle estime tout de même que le coût de ce document et les critères requis pour se le procurer peuvent être revus afin que les femmes transformatrices de Tambacounda puissent en disposer facilement.
‘’À titre d’exemple, si on transforme beaucoup de produits, la règle voudrait qu’on cherche une FRA pour chacun d’eux. Parfois, pour un seul produit, on débourse 50 000 ou 40 000 francs CFA afin d’obtenir une FRA. C’est un coût très élevé pour les femmes transformatrices’’, explique-t-elle.
‘’Nous demandons au gouvernement de nous faciliter l’obtention de la FRA, nous lui demandons également de soutenir l’agriculture en installant des chambres froides et des unités de transformation de dernière génération pour les femmes’’, plaide Mme Diané.
À mesure que les heures et les minutes continuent de s’égrener, l’ambiance ne cesse de monter à la Foire agricole régionale de Tambacounda. L’affluence augmente de même, avec un ballet incessant d’acteurs de la transformation de produits locaux ou même de simples curieux. Ils font le tour des stands pour profiter du spectacle et découvrir la diversité des produits exposés.
L’accès aux financements, l’une des barrières
Mariama Tounkara, membre du GIE ‘’Fass Diom’’, qui réunit 50 femmes, vient de Koussanar, une commune située à environ 50 kilomètres de la ville de Tambacounda.
Cette exposante estime que la production et la transformation de produits locaux ‘’prospèrent bien Tambacounda’’, avec ‘’des progrès concrets [enregistrés] depuis quelques années’’.
Les clients ‘’viennent ici pour acheter nos produits, donc nous rendons grâce à Dieu’’, mais ‘’il ne faut pas se voiler la face, nous avons besoin du soutien des partenaires parce que la transformation exige d’importants moyens matériels et financiers’’, signale Mme Tounkara.
‘’L’autre difficulté que nous avons, ajoute-t-elle, c’est la FRA. Nous avons fait des démarches en vain. Nous demandons de l’aide pour pouvoir vendre nos produits à l’étranger.’’.
Fatoumata Diallo, une habitante du quartier Abattoirs complémentaires de Tambacounda, est la propriétaire de l’entreprise ‘’Ma FaBio’’, qu’elle a créée en 2020 pour se lancer dans la transformation bio des produits locaux.
‘’J’ai choisi de faire du bio parce que c’est bien pour la santé des consommateurs’’, déclare-t-elle sans quitter du regard l’ambiance de la foire, avant d’assurer ‘’sincèrement’’ que la production et la consommation locales sont bien rentables à Tambacounda.
Cela s’explique par le fait que les populations commencent à découvrir les avantages des produits locaux, laisse-t-elle entendre d’une voix submergée par l’ambiance de la foire.
‘’Nous voulons contribuer au développement de notre pays’’
‘’Les entreprises de transformation locales ont tous les papiers nécessaires, sauf la FRA. Pour le moment, on nous la refuse catégoriquement. Les agents du service régional du commerce me demandent de trouver un siège à mon entreprise, je leur ai dit de venir chez moi pour voir comment je travaille, mais ils n’ont pas accepté’’, raconte Mme Diallo.
Elle considère que les autorités doivent davantage aider les femmes transformatrices de Tambacounda et leur faciliter l’accès au financement et à l’obtention de l’autorisation de fabrication et de mise en vente.
‘’À titre individuel, j’ai déposé plusieurs projets à la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des jeunes et femmes mais en vain, on me dit souvent que mon projet n’a pas été retenu. Nous sommes nombreuses dans ce cas à Tambacounda, alors que nous voulons contribuer au développement de notre pays’’, lance-t-elle.
Au regard de ces difficultés, les femmes transformatrices de la région de Tambacounda espèrent un changement avec le nouveau référentiel politiques publiques, le programme ‘’Sénégal 2050’’, qui fait de l’agriculture, de la transformation et de la consommation des produits locaux des activités phares pour augmenter la croissance économique et permettre au pays d’atteindre la souveraineté alimentaire.
ABD/BK/ESF