SENEGAL-CULTURE-DECOUVERTE
Par Ibrahima Diébakhaté et Abdoulaye Diallo
Kédougou, 17 oct (APS) – Les Koniagui, une des quatre minorités ethniques de la région de Kédougou (sud-est), font de la préservation et de la valorisation de leur culture une question de survie. Un engagement quasiment sacré, pour ne pas subir les vagues d’une uniformisation culturelle portée par la mondialisation et le manque de visibilité.
Cette communauté répartie dans plusieurs localités de la région de Kédougou, reste très peu connue en dehors de sa zone d’implantation naturelle.
Congori, fief des kogniagui dans la commune de Kédougou, est un quartier périphérique situé non loin de l’aérodrome de la capitale du sud-est du Sénégal.
En ce jeudi matin, un calme plat règne dans la concession de Bruno Loty, un ancien responsable de l’association regroupant les minorités ethniques de la région.
Dans sa cour encerclée par une palissade en bambou, les allées et venues des poulets du pays et des canards rythment la vie familiale. Bruno observe satisfait, l’ambiance joviale de sa demeure.
Autour des cases en pailles, de petits poussins déambulent, picorant par-ci par-là tout ce qui traîne par terre. Des scènes de vie ordinaires qui résument tout son attachement à son terroir, à sa communauté. Une vie pleine et tranquille que cet acteur culturel ne voudrait changer contre rien au monde.

Veẅeÿe, le vrai nom des Koniagui
Bruno tient dans ses mains une petite calebasse, un instrument aux multiples facettes culturelles et spirituelles.
“Cette calebasse traditionnelle a une grande signification dans la tradition et la culture koniagui”, cet acteur important de la préservation, de la valorisation et de la transmission de la culture Koniagui aux générations futures.
“Nos ancêtres utilisaient ce type de calebasse pour boire de l’eau, du vin. Et jusqu’à présent, on [continue] à utiliser ce type de calebasse pour formuler des prières”, a-t-il expliqué.
Selon Bruno Loty, le mot ”koniagui” est dérivé d’un terme pulaar désignant les abeilles.
“Ce surnom date de l’époque coloniale quand les peuls ont voulu islamiser les Koniagui. Nos ancêtres ont résisté avec une armée d’abeilles. Donc, les Peuls appelaient nos ancêtres Koniagui, [un terme] qui signifie +des abeilles+. Mais en réalité +Veẅeÿe+ est le vrai nom des Koniagui”, a-t-il précisé.
La communauté Koniagui est présente dans plusieurs localités du département de Salémata, dans l’arrondissement de Bandafassi et la commune de Kédougou, mais également à Maco et dans plusieurs autres localités de la région de Kédougou.
Les Koniagui sont arrivés dans cette région “à partir de la Guinée-Conakry. Le pays koniagui se trouve un peu à cheval entre le Sénégal et la Guinée où se trouve d’ailleurs la plupart des villages koniagui […]”.
A partir de ce pays voisin, les Koniagui, portés par une forte dynamique migratoire, se sont retrouvé dans cette partie du Sénégal, “et cela depuis très longtemps maintenant”, a expliqué M. Loty.
La communauté Koniagui s’était distinguée, au départ, par la traditionnelle fabrication de palissades communément appelé “crintins”.
”La fabrication de crintins était l’activité phare de nos ancêtres, nos parents avaient une grande expérience dans ce domaine et d’ailleurs la plupart des crintins qui sont utilisés à Kédougou et un peu partout au Sénégal sont fabriqués par les Koniagui [..]”, dit-il.
“Nos ancêtres quittaient le pays bassari pour venir à Kédougou juste pour fabriquer et vendre des crintins, et à l’approche de l’hivernage, ils retournaient dans le fief des Koniagui, dans le département de Salémata pour préparer la saison des pluies”, ajoute l’acteur culturel.

Une communauté peu connue
Malgré sa richesse historique et culturelle, la communauté koniagui fait face à un manque de visibilité, un problème qui date de l’époque coloniale, selon Bruno Loty.
“Le pays koniagui est victime de la balkanisation, le colon a tracé les frontières comme il veut, et c’est d’ailleurs ce qui fait que le pays bassari, par exemple, est scindé en deux. On trouve une partie du pays bassari sur le territoire sénégalais et une autre sur le territoire guinéen”, a-t-il relevé.
La communauté koniagui se distingue par son accoutrement et les festivités inspirées par les mythes et légendes qui fondent son identité.
“Nous sommes une communauté qui a su préserver son identité. L’accoutrement est le premier aspect par lequel on peut identifier les koniagui”, signale-t-il.
Il ajoute que la communauté Koniagui a trois grandes fêtes traditionnelles, d’abord le “Diendien”, une fête dont la danse est uniquement réservée aux hommes. Il y a ensuite le “Sampatie”, fête durant laquelle les femmes et les hommes dansent en même temps, et enfin le “Chiba”. Seules les femmes sont autorisées à danser pendant cette fête.
Adji, une chanteuse qui veut porter très haut la voix des Koniagui
Pour valoriser les potentialités culturelles du pays koniagui, des artistes ont décidé d’être les porte-voix de cette communauté, à travers des productions musicales et des émissions radiophoniques.
C’est le cas d’Adji Camara, plus connue sous son nom d’artiste “Star Adji”, une artiste talentueuse qui habite le quartier Congori de la commune de Kédougou.
Grâce à son engagement, Adji s’est fait un nom dans le milieu traditionnel koniagui et dans le pays bassari en général. Elle a sorti deux albums par le biais desquels la chanteuse est en train de vulgariser la richesse culturelle de sa communauté, à travers des concerts dans la commune de Kédougou et dans plusieurs villages communautaires de Bandafassi.
“J’ai commencé à chanter en Casamance lors des fêtes traditionnelles, mariages et baptêmes des koniagui. Et quand je suis venue à Kédougou pour intégrer les minorités ethniques, on m’a demandée de chanter dans ma langue”, a-t-elle raconté.
Originaire de Madina Wandifa, dans la région de Sédhiou (sud), l’artiste reste une passionnée de la musique et de la culture koniagui.

Agée d’une quarantaine d’année, Adji a débuté très tôt sa carrière musicale, se transformant au fil des années en une véritable bête de scène.
Elle est devenue la principale tête d’affiche des concerts et autres festivités traditionnelles des communautés koniagui de Bandafassi et Salémata.
De taille moyenne, l’air timide, le sourire facile, Adji porte toujours un foulard couvrant ses tresses traditionnelles, toujours fière de mettre en avant son accoutrement traditionnel, chaque fois que de besoin.
Selon de nombreux connaisseurs, l’artiste est dotée d’une grande sensibilité musicale.
Elle a certes fréquenté l’école pendant son enfance mais n’a jamais bénéficié de formation artistique, alors qu’elle fait désormais partie des représentantes les plus emblématiques de la musique du pays bassari des minorités ethniques.
“J’ai fréquenté l’école mais j’ai abandonné très tôt pour me marier. Je sais lire un peu maintenant avec l’aide de mes enfants qui m’enseignent petit à petit”, confie-t-elle.
Plusieurs thèmes traditionnels abordés dans ses chansons
La “star Adji” a utilisé plusieurs thématiques traditionnels koniagui dans ses albums, avec l’aide de “Black Kémé”, un jeune rappeur bassari, dont elle dit s’inspirer qui fait partie de ses conseillers.
Elle aborde dans ses chansons plusieurs thématiques liées aux traditions koniagui, une manière de lutter contre le déracinement.
“J’ai sorti quatre chansons pour sensibiliser nos communautés surtout les femmes et vulgariser notre culture et notre identité koniagui. Malheureusement, la majeure partie de la population sénégalaise et le monde ne nous connaissent pas”, regrette Adji.

Cette passionnée de musique compte sur son art pour promouvoir et valoriser davantage son identité, avec l’ambition de contribuer à sensibiliser le monde sur la nécessité de préserver les traditions.
“Nous rencontrons beaucoup de difficultés parce que nous sommes une ethnie minoritaire. Mais nous ne devons pas rester derrière […], nous devons tout faire pour nous imposer à travers la musique, la culture et les arts du pays bassari qui est un patrimoine mondial de l’Unesco”, soutient cette mère de trois enfants.
Adji a pu se faire un nom partout à Kédougou, surtout dans le pays bassari notamment chez les Koniagui dont elle continue de porter haut les couleurs.
De l’habillement aux tresses, tout chez Adji renvoie à la culture koniagui, en atteste l’utilisation de colliers et perles qui accompagnent sa tenue traditionnelle et culturelle.
Pour mieux faire ressortir les potentialités de la culture koniagui, Adji Camara a animé pendant cinq ans une émission à la radio communautaire Kédougou Fm.
Elle n’hésitait pas à partager ses émissions sur les réseaux sociaux pour sensibiliser l’opinion sur la tradition koniagui.
“Nous avons aujourd’hui besoin de financements pour continuer ce travail de vulgarisation et sensibilisation de notre culture”, plaide l’artiste.
Les figures de la communauté koniagui compte s’investir pleinement lors du Festival des minorités ethniques prévu du 17 au 19 octobre, à Kédougou, pour faire rayonner les potentialités culturelles de cette minorité ethnique.

PID/ABD/ASB/BK

