Par Assane Dème

Kaolack, 21 fév (APS) – Le vol de bétail hante les éleveurs des régions du centre du pays, malgré le vote, par l’Assemblée nationale, en 2017, d’une loi criminalisant cette infraction.

En cette matinée ensoleillée, une délégation de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) foule le sol du très animé foirail de Dinguiraye, dans la région de Kaolack. C’est le plus grand marché de bétail du département de Kaolack. Il est situé près de la route nationale numéro 4, à 42 kilomètres de la ville de Kaolack. Moutons, vaches, chevaux, ânes et chèvres se vendent ici.

Selon les autorités administratives locales et les associations d’éleveurs de la zone, certains animaux vendus à Dinguiraye sont le butin de bandes de voleurs qui continuent d’opérer, malgré la criminalisation du vol de bétail au Sénégal depuis 2017. C’est pour lutter contre ce fléau que le bureau ouest-africain de la FAO à Dakar a effectué ‘’une mission de sensibilisation’’ des autorités et des éleveurs sur les conséquences du vol de bétail, du 25 au 28 janvier 2025, dans les régions de Kaffrine (centre) et Kaolack. Le but visé est d’éradiquer ou de réduire fortement l’ampleur de ce fléau, qui est un ‘’frein’’ au développement de l’élevage.

Le foirail de Dinguiraye est la première étape de cette mission à laquelle participent des membres de l’Association nationale de lutte contre le vol de bétail au Sénégal (ANLCVB). Les membres de cette mission sont saisis de plaintes d’éleveurs récemment victimes du vol de leur bétail. Un phénomène qui, quelquefois, engendre des violences meurtrières. Aliou Ba, un habitant de Keur Bouba, un village du département de Nioro du Rip, dit avoir été victime, le 2 janvier dernier, du vol d’une trentaine de têtes de bétail. ‘’Malgré mes efforts pour retrouver le bétail volé, les témoignages d’un membre de la famille du présumé voleur et les plaintes déposées à la brigade de gendarmerie et au tribunal de grande instance de Kaolack, rien ne bouge. Le voleur circule librement. Il n’est nullement inquiété’’, s’inquiète M. Ba.

L’élevage est l’une des principales activités économiques des régions de Kaffrine et Kaolack.

Ce jeune éleveur, membre de l’ANLCVB, évalue le préjudice subi à une vingtaine de millions de francs CFA. Il dit avoir déposé une réquisition à la Sonatel, la Société nationale des télécommunications, dans le but d’identifier le voleur à l’aide de la traçabilité de ses appels téléphoniques. Aliou Ba affirme avoir conservé les enregistrements des appels d’un témoin, qui l’aidait à retrouver son bétail. Ce dernier est entré en contact avec le présumé voleur, qui réclame 500.000 francs CFA pour restituer le butin.

Le facilitateur, sentant le piège se refermer sur lui, se rétracte. Il dit craindre de se retrouver en prison par le simple fait d’aider l’éleveur à retrouver son bétail. ‘’À ma grande surprise, les gendarmes partis cueillir le voleur constatent qu’il a pris la fuite. Le lendemain, un témoignage est recueilli, selon lequel les animaux volés se trouveraient dans la forêt de Birkilane (dans la région de Kaffrine)’’, raconte Aliou Ba.

Arrêté quelques jours plus tard et placé en garde à vue, le présumé voleur est ensuite libéré sans jugement, selon lui. L’éleveur, qui a déposé une plainte auprès du tribunal de grande instance de Kaolack, dit toutefois espérer que justice lui sera rendue.

Arame Diop, une veuve du village de Thiamène Ousmane, dans la commune de Keur Mandongo, est l’une des nombreuses victimes des voleurs de bétail. Elle s’est fait voler six chèvres. ‘’J’ai décidé de mener des activités d’élevage pour gagner ma vie. Malheureusement, les voleurs m’ont privé de tout mon bétail, le seul moyen dont je disposais pour prendre en charge ma famille’’, témoigne-t-elle, désemparée.

Une réunion de sensibilisation et d’information sur les conséquences du vol de bétail

Selon le secrétaire général du foirail de Dinguiraye, Abdoulaye Ba, le vol de bétail est très courant dans la zone. À son avis, cette pratique délictuelle prospère parce que les voleurs sont rarement sévèrement punis. ‘’Les trafiquants et les consommateurs de drogues sont traqués et condamnés à de lourdes peines. Les voleurs de bétail, eux, n’ont pas à s’inquiéter’’, s’indigne M. Ba, qui est souvent informé des cas de vol de bétail.

Modou Fall Sow, un membre du comité communal de lutte contre le vol de bétail de Paoskoto, est d’avis qu’il reste beaucoup d’efforts à fournir par les pouvoirs publics pour mettre les voleurs hors d’état de nuire. ‘’L’État doit prendre des mesures énergiques pour mettre un terme à cette pratique’’, plaide-t-il. Selon Modou Fall Sow, les éleveurs, à eux seuls, ne peuvent pas faire grand-chose contre le fléau dont ils sont victimes, car les voleurs de bétail opèrent souvent en bande, en plus de disposer de voitures pour le transport de leur butin.

‘’Les comités de vigilance sont impuissants, et les voleurs bien équipés’’

Après Dinguiraye, la ‘’mission de sensibilisation’’ de la FAO sur les conséquences du vol de bétail se rend dans la région de Kaffrine, en compagnie de membres de l’Association nationale de lutte contre le vol de bétail. La commune de Missirah Wadène, une zone d’élevage et d’agriculture, accueille les membres de la mission. Le vol de bétail est pratiqué à une grande échelle dans cette municipalité, selon les éleveurs et les autorités locales. ‘’Chaque jour, nous enregistrons des cas de vol. Face à ce phénomène, les comités de vigilance sont impuissants, et les voleurs bien équipés’’, raconte Cheikhna Ba, un habitant du village de Guinté Pathé. En parlant d’équipements, il fait allusion aux véhicules utilisés par les voleurs pour transporter les bêtes volées.

Le vol de bétail s’accompagne de manœuvres à la fois cocasses et vexantes, dans cette partie du pays. ‘’Chaque fois qu’on vous vole vos animaux, il y a quelqu’un qui vient vous assurer qu’il est possible de les retrouver si vous acceptez de payer pour cela’’, témoigne Cheikhna Ba.

Maire de Missirah Wadène depuis 2014, Moustapha Ndong fait de la lutte contre le vol de bétail un sacerdoce. La zone est un important carrefour pour les éleveurs maliens, mauritaniens, sénégalais et d’autres pays de la région, selon lui. ‘’Le marché hebdomadaire de Missirah Wadène est le plus important de la région de Kaffrine. Le vol de bétail y est monnaie courante. Avec l’aide des forces de l’ordre et du comité de vigilance constitué par la mairie, nous sommes en train de réduire l’immensité du fléau’’, rassure M. Ndong.

Samba Thioye, le chef du service départemental de l’élevage de Birkelane

La position carrefour rend la recherche du bétail volé complexe, laisse-t-il entendre. ‘’Notre marché hebdomadaire accueille une vingtaine de camions remplis de bétail’’, signale Moustapha Ndong, laissant deviner toute la complexité de l’identification des animaux volés parmi des milliers de têtes de bétail.

Selon le maire de Missirah Wadène, même les femmes qui pratiquent l’élevage de petits ruminants (chèvres et moutons) sont victimes du fléau. Le président du comité communal de lutte contre le vol de bétail de Missirah Wadène, Babou Sow, signale que ce fléau est en train d’‘’anéantir’’ les efforts visant à développer l’élevage dans la région de Kaffrine. ‘’Nous sommes fatigués du vol de bétail […] Les voleurs sont souvent en armes et n’hésitent pas à s’en servir’’, s’indigne M. Sow. Selon lui, les membres du comité communal de lutte contre le vol de bétail exercent leur mission à titre bénévole et sans les moyens nécessaires.

‘’On n’ose plus investir de l’argent dans les activités d’élevage à cause du vol de bétail. Il faut que l’État vienne davantage en aide aux populations’’, plaide la présidente d’une association d’éleveuses de Missirah Wadène, Yacine Wade. Aly Dicko, l’un des responsables de la communauté maure de Koungheul, pense que les comités de lutte contre le vol de bétail sont à encourager et à doter d’équipements leur permettant de faire leur travail en toute sécurité. ‘’Ils doivent être protégés. Ils sont souvent victimes d’agressions menées par les malfaiteurs’’, s’inquiète-t-il, signalant que le vol de bétail est surtout fréquent pendant les heures de marché hebdomadaire.

Certains éleveurs de Koungheul, pour éviter le vol de leur bétail, rémunèrent les membres du comité de vigilance constitué par la mairie, selon leurs délégués. Gallo Maïga, l’un des éleveurs maliens de Missirah Wadène, soutient que les voleurs de bétail bénéficient de ‘’complicités locales’’, parmi certains vendeurs de bétail et transporteurs.

Le président de l’Association nationale de lutte contre le vol de bétail, El Hadji Aboubacar Bitèye

La commune de Birkelane, voisine de Missirah Wadène, abrite l’un des plus grands marchés de bétail du Sénégal, que la ‘’mission de sensibilisation’’ de la FAO a visité. Samba Thioye, le chef du service départemental de l’élevage et des productions animales, salue l’initiative de l’agence onusienne. Amadou Seydou Ba, le responsable du foirail de Birkelane, une infrastructure construite par l’Union économique et monétaire ouest-africaine, estime qu’il faut ‘’nécessairement’’ appliquer la loi criminalisant le vol de bétail pour éradiquer ce phénomène ou le réduire à de faibles proportions.

La loi de 2017 sur le vol de bétail prévoit une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, ‘’si le vol […] a été commis au préjudice d’une personne qui tire de l’exploitation dudit bétail l’essentiel de ses revenus ou fait de son élevage son activité principale’’. Le législateur exclut le sursis et élève la peine d’amende jusqu’au quintuple de la valeur du bétail volé et fixe un plancher d’amende de 500.000 francs, y compris en cas de tentative de vol. Une dizaine d’années après son vote, cette loi ne décourage nullement les voleurs de bétail.

‘’Certains conducteurs de motos peuvent opérer en toute complicité avec les voleurs’’

Samba Ba, leader d’une association d’éleveurs à Birkelane, soutient que certains ménages ne veulent plus s’adonner à l’élevage à cause du vol de bétail. Ils sont obligés, dès lors, d’acheter le mouton de Tabaski à un prix élevé. ‘’Si nous parvenons à éradiquer ce fléau, nous atteindrons l’autosuffisance du Sénégal en moutons’’, assure M. Ba.

Les éleveurs de Ndramé Escale et Ndiédieng, deux communes situées dans la région de Kaolack, sont régulièrement victimes des voleurs de bétail. El Hadji Sow, l’un des leaders de l’association communale de lutte contre le vol de bétail de Ndramé Escale, salue le ‘’dynamisme’’ de la lutte menée contre les voleurs, avec le soutien, selon lui, du maire Hamidou Diop et des conducteurs de deux-roues. Par contre, d’autres propriétaires de motos sont sollicités par les voleurs de bétail, selon El Hadji Dramé. ‘’Certains conducteurs de motos peuvent opérer en toute complicité avec les voleurs. Ceux-là ne sont jamais sollicités par notre association’’, soutient-il.

Le sous-préfet de Ndiédieng, Abdoulaye Diop

L’abattage clandestin facilite le vol de bétail, selon les éleveurs. Hamidou Diop, le maire de Ndramé Escale, dit compter sur ‘’l’efficacité’’ des services vétérinaires. Le préjudice subi par les éleveurs est tellement important que certains d’entre eux ‘’n’osent plus prendre le risque d’investir’’ dans l’élevage, craignant que leur bétail soit subtilisé par les voleurs, selon M. Diop.

‘’Cette situation crée le désœuvrement et l’appauvrissant des populations, des éleveurs surtout. C’est un phénomène qu’il faut combattre’’, insiste le maire de Ndramé Escale.

Mbaye Seck, l’adjoint du sous-préfet de Ndiédieng, a relevé l’opportunité de la mission menée par la FAO et l’Association nationale de lutte contre le vol de bétail. Il salue la ‘’forte implication’’ et l’‘’engagement’’ du président de l’ANLCVB, El Hadji Aboubacar Bitèye. Cette association veut installer des comités de vigilance contre le vol de bétail dans les 557 communes du Sénégal, selon M. Bitèye. ‘’Si nous parvenons à installer partout dans le pays des comités de vigilance dont les membres sont bien formés, on arrivera à éradiquer ce fléau. Une fois cette étape franchie, nous arriverons facilement à identifier ceux qui s’adonnent au vol de bétail et à les mettre hors d’état de nuire’’, assure le président de l’ANLCVB.

Le maire de Ndiédieng, Abdoul Aziz Mbodj, signale que l’élevage, l’une des principales activités économiques de cette commune, est de plus en plus délaissée par certains à cause du vol de bétail. ‘’À cause du développement de ce phénomène, beaucoup de personnes comme moi hésitent à investir dans l’élevage.’’ Or, selon M. Mbodj, l’élevage est l’une des principales activités économiques du monde rural.

Ibrahima Thiam, le chef de la ‘’mission de sensibilisation’’ de la FAO sur le vol de bétail dans les régions de Kaffrine et Kaolack

Le sous-préfet de Ndiédieng, Abdoulaye Diop, soutient que ‘’l’État n’a jamais cessé de lutter contre le vol de bétail’’. La répression de cette pratique bute sur le manque de ‘’culture de la dénonciation’’ des éleveurs, des populations en général, selon M. Diop. ‘’L’État n’a jamais failli à son devoir d’assistance des populations confrontées au vol de bétail. Nous avons toujours été présents à leurs côtés et leur demandons de dénoncer les cas de vol pour que l’État puisse prendre ses responsabilités et mettre fin à ce phénomène’’, soutient-il.

‘’Malheureusement, la non-dénonciation est un obstacle à l’éradication de cette pratique’’, relève Abdoulaye Diop, faisant remarquer avec regret : ‘’Le délit de vol de bétail a été criminalisé mais il persiste.’’

‘’On ne veut pas dénoncer les voleurs de bétail’’

Ceux qui s’y adonnent bénéficient de la complicité d’une partie des populations, selon lui. Pourtant, ‘’toutes les conditions sont réunies pour encourager la dénonciation. Quelquefois, en raison des liens de parenté qu’on a avec eux, on ne veut pas dénoncer les voleurs de bétail’’, révèle le sous-préfet de Ndiédieng.

Selon Abdoulaye Diop, le vol de bétail favorise le trafic des armes légères. Certains voleurs n’hésitent pas à se munir de ces armes et à s’en servir le cas échéant, signale l’administrateur civil.

Des malfaiteurs arrêtés pour vol de bétail sont souvent ‘’responsables’’ d’attaques à main armée menées contre des commerces et de braquages signalés dans les zones rurales, selon Astou Fall, la coordonnatrice de la cellule de lutte contre le vol de bétail au ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage. Les voleurs de bétail profitent quelquefois de ‘’l’insuffisance de la présence des forces de défense et de sécurité’’ dans certaines zones pour opérer en toute tranquillité, signale Mme Fall, précisant que cela arrive souvent le long des frontières avec d’autres pays.

Le vol de bétail et la circulation des armes légères ou le trafic de drogue vont de pair dans certaines régions du pays, confirme-t-elle.

L’ingénieur agronome Ibrahima Thiam, expert du bureau de la FAO pour l’Afrique de l’Ouest, tire un bilan ‘’satisfaisant’’ de la mission menée par la FAO pour la sensibilisation, l’information, la communication et le plaidoyer sur le vol de bétail dans le centre du Sénégal. ‘’Notre objectif est de faire en sorte que le vol de bétail soit reconnu au Sénégal et partout en Afrique de l’Ouest comme une entrave au développement de nos pays’’, explique M. Thiam, le chef de ladite mission.

Les échanges des membres de la mission avec des éleveurs et des autorités administratives des régions de Kaffrine et Kaolack ont permis à la FAO d’appréhender le phénomène, selon M. Thiam. ‘’La FAO va fournir de l’expertise à l’État du Sénégal et aux organisations d’éleveurs, pour les aider à éradiquer le vol de bétail’’, promet-il, invitant les populations à en dénoncer les auteurs.

‘’L’implication des [autorités] et des organisations communautaires suffit pour l’éradiquer’’

Ibrahima Thiam encourage la création des comités de lutte contre ce fléau dans les villages et les communes. Il préconise aussi le recours à la technologie pour retrouver le bétail volé et prévenir les vols, la reconnaissance juridique et administrative des comités de lutte contre le vol de bétail et l’encadrement de leurs activités par les pouvoirs publics.

Le chef de la mission de la FAO appelle, par ailleurs, à éradiquer les abattages clandestins. ‘’On sait que le mal est profond’’, reconnaît-il, tout en estimant que ‘’l’implication des gouverneurs, des préfets, des sous-préfets, des maires, des chefs de village et des organisations communautaires suffit pour l’éradiquer’’.

‘’Le vol de bétail cause énormément de dégâts en Afrique de l’Ouest […] Il existe rarement des données là-dessus mais on parle de pertes estimées à 2 milliards de francs CFA par an au Sénégal. Cette ampleur devrait encourager les pouvoirs publics à investir dans la traçabilité du bétail, pour éviter ces pertes et l’appauvrissement des éleveurs’’, propose-t-il.

ADE/ASB/HK/OID/ESF/ASG

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