SENEGAL-SANTE-PROFIL
Dakar, 8 avr (APS) – Au Sénégal, il est rare de parcourir une ville entière sans rencontrer des individus qui errent dans les rues. Si ces derniers n’ont pas eu la chance de guérir de leurs troubles mentaux, Ibrahima Ndiaye a, lui, réussi à les surmonter grâce au soutien de ses proches combiné à une prise en charge correcte.
Après une vingtaine d’années de souffrance, Ibrahima Ndiaye, âgé de 51 ans, a vu sa vie basculer du jour au lendemain. Plongé dans une démence, il lui a fallu 15 ans pour recouvrer la raison. Le natif de la cité des HLM a également retrouvé son activité professionnelle et s’y épanouit. Durant toute cette période, il a eu à souffrir de troubles mentaux causés par un cocktail fatal : une consommation abusive d’alcool associée à du chanvre indien.
D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un trouble mental se caractérise par une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu.
‘’Je suis tombé malade vers 2004. Lorsque je commençais à avoir des troubles mentaux, ma famille m’a amené à Rufisque pour organiser, à mon honneur, une cérémonie d’exorcisme communément appelé le ‘’ndëpp’’, un rituel traditionnel’’, confie M. Ndiaye. C’est une thérapie qui n’a pas servi à grand-chose à Ibrahima, car son état de santé ne s’était point amélioré.
Avant la survenue des troubles, Ibrahima était actif professionnellement. Ayant choisi comme métier, la teinture, le jeune ”lébou” vivait bien de son art jusqu’en 2004, le début des tourments.
”Je gagnais bien ma vie. Mes tableaux étaient même exportés à l’étranger. Un jour, un blanc avait passé une commande intéressante, j’avais gagné beaucoup d’argent. J’avais tout dépensé dans les boites de nuit. J’allais de fête en fête’’, se remémore M. Ndiaye, sourire au coin de la bouche.
Exposé aux produits chimiques, il croit fermement que la teinture a affecté son cerveau. Ce qu’il a tenté de cacher, c’est qu’il prenait aussi de l’alcool et fumait du chanvre indien à volonté.
‘´Pendant une décennie, j’ai pratiqué ce métier. Les produits chimiques avaient affecté ma santé mentale. Je travaillais chez une dame à la cité Sipres 1. En ce moment, j’habitais seul. Je vivais la belle vie comme tout jeune de mon âge. Je prenais de l’alcool, je fumais du chanvre indien’´, confie M. Ndiaye.
Ce cocktail alcool-chanvre indien et l’exposition aux produits chimiques ont fait leurs effets, Ibrahima Ndiaye finit par sombrer dans la démence. “Ce qui m’a sauva, c’est mon entourage dont le soutien ne m’a jamais fait défaut’’, a-t-il dit.
”Lorsque suis devenu malade, les gens m’accueillaient, discutaient avec moi et me donnaient un peu de monnaie. J’errais dans les rues mais pas loin de mon quartier’´, raconte-t-il avec un pincement au cœur.
”Les troubles mentaux sont très difficiles à vivre. Ma famille pensait qu’il s’agissait d’une maladie mystique causée par des Djinns. N’ayant pas trouvé de solution dans la médecine traditionnelle, ma famille s’est orientée vers la médecine moderne”, explique-t-il, précisant que c’est au service de psychiatrie Fann qu’il a senti une nette amélioration de son état de santé.
Durant cette période, il dit avoir perdu beaucoup de son poids. ‘’Avant, j’étais vigoureux. (Mais) actuellement je sens que je suis faible”, a soutenu ‘´Grand Ndiaye” comme le surnomme ses amis de à l’arrêt garage de Guédiawaye, non loin de sa maison familiale, aux abords du quartier Ouagou Niayes.
A son avis, cette perte de poids est due à l’effet des piqûres puisqu’il a été hospitalisé à trois reprises au service de psychiatrie de Fann.
”Tout le monde peut perdre la raison du jour au lendemain. En tant que malade mental guéri, je rends grâce à Dieu”, dit-il. ”Je ne restais pas longtemps avec ma famille ou mes amis. Dès que j’avais de la monnaie, je préférais m’isoler le plus souvent. Tant que j’avais mes affaires (alcool et cigarette) j’étais bien’´, indique ”Grand Ndiaye”.
Cette consommation abusive de chanvre indien a fini par dévier Ibrahima Ndiaye du bon chemin jusqu’à le conduire en prison. ”La maladie a fait de moi un homme courageux qui n’avait peur de rien. Cette situation m’avait poussé à voler un jour”, a-t-il confié.
‘’J’ai été emprisonné pendant un mois’’, raconte-t-il. Ce séjour carcéral a transformé sa vie, contrairement à la plupart des personnes qui considèrent la prison comme une fatalité. ”La prison a renforcé ma foi. Je priais beaucoup, je faisais des zikr (des invocations de Dieu chez les soufis), à part le coucher, tout allait bien. Ma vie était stable. la prison est plutôt un lieu de socialisation pour moi. C’est là-bas que j’ai senti une nette amélioration’’.
Après ce moment de repenti, Ibrahima n’en avait pas fini avec ses déboires. Il rechute dans sa démence. A cause des mauvaises fréquentations, il recommence à fumer du chanvre et à prendre de l’alcool.
‘´La dernière fois que j’étais hospitalisé, cela a créé un déclic chez moi. Entre temps, tous mes compagnons que je fréquentais à l’époque étaient décédés, excepté quelques-uns’’, explique t-il.
2019, l’année de ‘’lumière’’
La disparition de ses compagnons créa un déclic chez lui. A sa sortie d’hôpital et depuis, il s’efforce d’aller de l’avant en abandonnant tout ce qui nuit à sa santé tant physique que mentale.
‘’A ma sortie d’hôpital en 2019, après 3 semaines d’hospitalisation, j’ai tout laissé tomber. Et depuis, je suis mon traitement, j’achète mes ordonnances. Aujourd’hui, la seule chose qu’il me reste, c’est la cigarette. Et je veux arrêter de fumer. Même si je suis conscient que ce n’est pas chose aisée, je fais des efforts’’, a-t-il confié, impuissant.
Conscient du danger de côtoyer l’alcool, entre autres substances addictives, Ibrahima a décidé de les abandonner pour son bien. ”La plupart des gens que je fréquentais ne sont plus de ce monde à force de trop fumer et de trop boire. Dans nos délires, nous fumions et nous buvions de l’alcool à volonté. Et comme tout le monde le sait, cette addiction n’est pas sans conséquences”, dit-il.
15 ans de supplice
”De 2004 à 2019, j’ai été malade. Après avoir senti une amélioration, j’ai pu trouver un travail’’, a dit Ibrahima Ndiaye d’un ton empreint d’espoir. Une reprise pas de tout repos pour lui qui reprend sa vie en main depuis 6 ans. ”Les médicaments, pour la plupart, ont des effets somnolents. Dés que je les prenais, je passais des heures à dormir’´, révèle-t-il.
Pour preuve, après avoir trouvé un travail dans une pharmacie près de l’hôpital Le Dantec où il se rendait très tôt le matin, Ibrahima se couche sur un banc à ses heures de pause pour s’endormir.
”Mon patron me demandait souvent si je dormais la nuit. Je lui répondais par une affirmation. Je mettais tout sur le dos de la fatigue, tellement je dormais. Lorsqu’il a poussé ses questions plus loin en me demandant si je prenais des médicaments, j’ai décidé de lui expliquer mon état de santé. Plus de peur que de mal, il m’a compris et m’a aidé”, a expliqué M. Ndiaye.
Il considère sa maladie comme étant un coup du destin. ”Je pense que la maladie est le fruit de la volonté divine. Il m’a fallu du temps pour prendre conscience. J’ai compris que le chanvre indien et l’alcool me déviaient du bon chemin. J’ai décidé d’abandonner, de reprendre ma vie en main, de me ressaisir et d’aller de l’avant’’, dit-il.
”J’ai été bien traité à l’hôpital. Les médicaments m’ont beaucoup aidé. Je rends grâce à Dieu. La chance que j’ai eue, c’est que j’ai été aidé par mon entourage”, insiste-t-il.
Ibrahima Ndiaye est convaincu que ”si les fous errent dans les rues, c’est parce qu’ils ne sont pas soutenus par leur famille. S’ils étaient aidés, ils n’allaient pas errer dans les rues. Et s’ils étaient pris en charge dans un service psychiatrique, beaucoup d’entre eux auraient recouvrer la raison’’.
Une fois qu’il a repris la raison, il a décidé de chercher à nouveau du travail. ”Grace à Dieu, j’ai eu un boulot qui me rapporte 45 000 francs CFA à la fin du mois et je l’utilise pour régler mes problèmes et payer mes médicaments”, se réjouit-il.
Actuellement, Ibrahima Ndiaye, ”Grand Ndiaye” pour les proches, ou encore ”Boy Hlm”, a retrouvé son chemin et ne tend plus la main pour subvenir à ses besoins.
NSS/SKS/ADL/HK/ADC