+++De l’envoyé spécial de l’APS, Amadou Samba Gaye+++Rabat, 19 déc (APS) – ‘’Le type d’intervention philosophique qui constitue la contribution sénégalaise à la culture arabo-islamique’’ ne peut être considéré comme ‘’une littérature de vulgarisation poétique’’, affirme le philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne.‘’Ce n’est pas une littérature de vulgarisation poétique’’, a conclu le Pr Diagne, membre de l’Académie du Royaume du Maroc, au terme d’une analyse de deux exemples de contributions théoriques’’ à la philosophie soufie.Il s’agit du livre des Lances de Cheikh Oumar Fūtī et de La perle des sens ou l’œuvre d’El Hadj Malick Sy.Le philosophe a terminé sa réflexion en soulignant ‘’la responsabilité qui est la nôtre de poursuivre aujourd’hui dans la voie ainsi indiquée et de marquer de manière générale la « présence africaine » dans ce que Mohamed Iqbal a appelé : la reconstruction de la pensée religieuse de l’islam »’’.Il a souligné comme préalable l’importance de ‘’considérer la contribution théorique et de mettre l’accent sur celle-ci. Aller au-delà du propos poétique qui était l’objet du livre d’Amar Samb’’, ancien directeur de l’Institut Fondamental d’Afrique noire (Ifan).Il s’agit, pécise-t-il, de résoudre la problématique suivante : ‘’comment penser un apport original dans une œuvre qui se veut totalement inscrite dans l’univers intellectuel et spirituel d’une autre ?’’‘’C’est le cas du livre des Lances déjà dans sa configuration textuelle même puisqu’il est d’usage de le disposer dans les marges qui entourent les pages où sont consignées les enseignements du fondateur de la Tijāniyya comme s’il s’agissait ainsi de sertir une pierre précieuse entre toutes’’, relève-t-il.Il a rappelé à cet égard ‘’la promesse qui crée une des controverses que soulève la Tijaniyya, faite aux disciples que non seulement eux-mêmes ou elles-mêmes seront reçus au paradis le plus élevé mais qu’ils amèneraient avec eux ou avec elles leurs familles et leurs proches’’.Il explique que ‘’c’est une des raisons pour lesquelles non seulement ceux qui sont hostiles par principe au soufisme mais également d’autres voies soufies ont, parfois violemment, reproché à la Tijaniyya ce que Jean-Louis Triaud appelle une « arrogance théologique » frisant « l’hérésie »’’.‘’Il s’agit d’un défi bien entendu quand vient à l’esprit ce que dit le Coran de la responsabilité individuelle du musulman constituant un questionnement de l’intercession quand on sait que le jour du jugement signifie la rupture des liens de parenté’’, remarque-t-il.L’auteur convoque à cet effet les versets de la sourate Anaam : « Et voici que vous nous arrivez, un par un, tels que la première fois Nous vous avons créés. Vous avez laissé derrière votre dos tout ce que Nous vous avions octroyé. »Il convoque aussi la sourate Luqman dans laquelle Allah dit : ‘’« Craignez un jour où nul géniteur ne rachètera sa progéniture, pas plus que nulle progéniture ne rachètera en rien son géniteur. »’’Mais c’est aussitôt après pour faire remarquer le défi qu’il y a de ‘’réconcilier ces versets avec celui-ci qui dit : 13 : 23 (Ar-Ra’d, le Tonnerre) :« A ceux-là revient l’ultime demeure les jardins d’Eden. Ils y entrent avec les justifiés parmi leurs pères, leurs épouses, leur progéniture. »« Modèle d’intervention théologique »Le philosophe considère que ‘’sur ce point le texte du livre des Lances (en son chapitre 51 consacré au devoir d’émigrer si cela s’impose) est un modèle d’intervention théologico-philosophique’’.L’originalité de ce modèle d’intervention, dit-il, ‘’provient de la réflexion qui a son origine dans la doctrine de la Tijaniyya mais est nourrie par la grande érudition de son auteur et l’autorité de son jugement’’.‘’L’argument commence par rappeler le verset 31 : 33 puis quelques pages plus loin, Cheikhou Oumar rappelle la tradition qui dit qu’en envoyant Adam sur terre Dieu lui a dit : « construis pour le délabrement et engendre pour l’anéantissement ».Il indique que ‘’comme exemple illustrant le caractère périssable de toute chose en ce monde, l’auteur décrit la décrépitude à laquelle est promise la plus belle des épouses, celle qui peut empêcher le croyant de partir au combat quand le devoir l’appelle’’.‘’ A cette décrépitude il commence par opposer les 80 072 épouses qu’auront les hommes du paradis. Mais ensuite voici qu’il dit qu’à celui que la beauté périssable d’une épouse n’aura pas détourné de son devoir envers Dieu il sera donné de se retrouver au paradis avec elle « plus belle que les houris et autres avantages que Dieu seul connaît. ‘’ L’auteur de ‘’Comment philosopher en Islam’’ déclare qu’une telle réflexion ‘’n’est pas sans rappeler la philosophie platonicienne qui oppose le monde des réalités éternelles au monde de la génération et de la corruption’’.‘’L’au-delà est alors la demeure de la stabilité (la dār al muqāmati dont parle le verset 35 :35, Fātir), de la transmutation en éternité des relations d’amour et d’affection dont nous savons la fragilité en ce monde’’, estime-t-il.Le directeur de l’Institut des études africaines de Columbia University relève que ‘’cette leçon de Cheikhou Oumar est aussi celle que l’on trouve dans ce tafsir de Abdullah Yūsuf Ali (….)’’.« Les liens en cette vie sont temporaires mais l’amour dans la justice est éternel. Dans les Jardins de la félicité, les justes seront réunis avec les proches et les êtres chers qu’ils ont aimés, à la condition que ces derniers soient justes également (…) Ainsi ancêtres et descendants, maris et femmes, frères et sœurs dont l’amour est pur et saint trouveront une nouvelle félicité dans la perfection de leur amour et verront une nouvelle signification mystique dans les liens anciens et éphémères. »« Ancrage dans le Coran »Selon Souleymane Bachir Diagne, ‘’c’est cette position philosophique qui se trouve exprimée sous la plume de l’auteur du livre des Lances. Elle trouve son ancrage dans le Coran et se trouve affirmée en toute fidélité à la doctrine et avec toute l’autorité et l’originalité que confèrent l’érudition et la pénétration spirituelle’’.A l’en croire, ‘’lorsqu’il analyse « la démarche » d’El Hadj Omar Mouhamadou Alpha Cissé insiste sur l’érudition qui se traduit par la multiplicité des références dont se soutient l’argumentation à des « auteurs d’époques et d’horizons différents, en faisant abstraction de leurs obédiences confrériques et de leurs écoles juridiques, refusant par là toute balkanisation du savoir »’’.‘’Et il ajoute, pour ce qui concerne l’originalité : « Ensuite il donne son point de vue qu’il débute toujours par « qultu », (j’ai dit) pour étayer sa pensée sur la question posée.’’Démarche identique chez El Hadj Malick SyIl fait observer que ‘’c’est une telle démarche que l’on retrouve dans l’œuvre d’El Hajj Malick Sy, dans l’autorité qu’il manifeste par exemple, dans son ouvrage Ifhām (…)’’.Cela se voit selon lui ‘’lorsque dans le chapitre qu’il consacre à la grande question de la relation de l’essence divine aux attributs, après de nombreuses références à la riche littérature théologique, philosophique et mystique sur la question il présente son point de vue en annonçant : qultu , « je dis ».‘’On sait que ce qui est en jeu sur cette question a été déterminante dans la constitution des différentes écoles de Kalām, la littéraliste et celle du mutazilisme aux extrêmes, celle acharite qui se veut du « milieu » selon Al Ghazali, auteur de la « modération en matière de religion » (al I’tisad fil I’tiqad). Question théorique difficile, que celle de l’unicité divine et la mutiplicité des attributs.’’Le philosophe estime que ‘’si on nie purement et simplement les Attributs, on se retrouve avec un Dieu abstrait qu’il n’y a pas de sens à prier’’. ‘’Sans tomber dans l’anthropomorphisme, dit-il, il s’agit de comprendre la coexistence dont parle le Coran : « Et Il est avec vous où que vous soyez »’’.Cela est manifesté par ‘’ces paroles prophétiques : « anta sãhibu fis-safari wa khalīfatu fįl ahli wal māli wal waladi » en tenant en même temps « notre incapacité à appréhender le « comment ».Il ajoute que la parole coranique parle non pas de la coexistence telle qu’entendue par tous mais de celle à laquelle ouvre une connaissance savoureuse.Il dit s’en tenir à ‘’ces exemples pour conclure sur deux points’’. Le premier est ‘’le type d’intervention philosophique qui constitue la contribution sénégalaise à la culture arabo-islamique’’. ‘’Ce n’est pas une littérature de vulgarisation poétique’’, soutient-il.Le second point, précise-t-il, est ‘’la responsabilité qui est la nôtre de poursuivre aujourd’hui dans la voie ainsi indiquée et de marquer de manière générale la « présence africaine » dans ce que Mohamed Iqbal a appelé : la reconstruction de la pensée religieuse de l’islam ».’’ASG/MTN
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